Jim Jones était sergent dans le régiment blindé des Sherbrooke Fusiliers pendant la Deuxième Guerre mondiale. Il a débarqué le jour J (le 6 juin 1944) en France dans l’après-midi et a combattu en Normandie sur le chemin de la Rhénanie, en Allemagne. Au mois d’août 1944, pendant la bataille de Falaise en France, son char a été touché et il a contribué à sauver les membres de son équipe de char. C’est ainsi qu’il a été cité à l’ordre du jour.
Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.
Transcription
Un jour, j’étais là et je faisais des corvées, je nettoyais les casernes et j’ai croisé le même officier avec qui j’avais eu des problèmes à Édimbourg [en Écosse]. Et avec son franc-parler, il m’a dit : « Comment diable est-ce que ça se passe pour toi ? », ou quelque chose de ce genre, et j’ai répondu : « Épouvantable, ai-je dit, je n’ai jamais été aussi découragé de ma vie. » Et il a demandé : « Où est le problème ? » Et j’ai répondu : « Je ne me suis pas engagé dans l’armée pour faire des corvées, j’aurais pu faire ça chez moi. » Et j’ai ajouté : « Je suis cantonné à ça, et il n’y a nulle part où aller, c’est tout ce que vous avez trouvé à me donner, je me suis engagé dans l’armée pour être dans un char. » Et alors il m’a demandé quel genre de formation j’avais reçue et je lui ai dit que j’avais suivi une formation d’opérateur-radio et que je m’étais plutôt bien débrouillé, mais que ça n’avait rien donné. Et en tout cas, pour résumer, le lendemain, j’étais dans son char avec le grade de caporal suppléant.
On le savait, on savait même avec qui on allait être. Le Sherbrooke Fusiliers était l’un des trois régiments dans la 2e brigade blindée canadienne. Et on nous a affectés à la 9e brigade d’infanterie (canadienne) pour le combat et autres choses de ce genre, comme l’entraînement. Et on s’entendait bien avec eux, bien, oui. C’était des gens agréables. En particulier, le North Nova Scotia Highlanders a été affecté au Sherbrooke Fusiliers et les deux autres régiments et leur brigade étaient avec nos deux autres [régiments blindés] à nous, le Fort Garry Horse et le 1st Hussars et on a combattu comme ça le jour J en tout cas, et on a suivi l’entraînement avec eux.
J’ai débarqué en France avec le grade de caporal, mais je n’ai pas débarqué avec le régiment. Je n’étais pas le seul, il fallait qu’ils en fassent une trentaine comme ça, vous savez, pour le groupe. Et l’idée, c’était de faire partie du débarquement le jour J plus tard dans la journée et en fait, on était pour remplacer les chars, pour remplacer ceux qui avaient été détruits le jour J. Et comme ça, il y avait encore quelques chars dans la bataille, il fallait qu’ils les fassent venir. Vraiment incroyable l’organisation jusqu’à ce moment-là.
Et tout à coup, le barrage commence, le début de la bataille. On devait pousser jusqu’à la route de Falaise Caen, pour commencer le combat plus bas sur cette route. Et c’est ce qu’on a fait, mais quand le barrage a commencé, il a démarré juste sur la ligne de départ. Autrement dit, où on se tenait et la pauvre infanterie, sans protection aucune, et ils avaient tous ces obus qui leur tombaient dessus, bon, on a fait tout ce qu’on a pu pour empêcher ça et un gars avait rampé sous notre char et cogné sur le fond, et on avait une trappe, vous savez, comme ça vous pouvez sortir par là au cas où, alors on l’a ouverte et il est entré et il nous a rejoints. Et ensuite, on l’a refermée, et les choses se sont arrangées, et les gars, l’infanterie a commencé à pousser en bas de la route, et aller dans les maisons et lancer des grenades partout et des trucs comme ça. Ou tirer dessus avec des mitrailleuses.
On n’a pas croisé de chars, mais ce n’était pas très loin, sans doute aux alentours d’Ifs [en France], on s’est arrêtés, on ne pouvait pas aller plus loin, les Allemands nous ont eus. Alors il a fallu qu’on s’arrête. Et ensuite, ça a commencé sur la route de Falaise Caen, en essayant de combattre cette chose, c’était horrible. Et tous les jours, ils essayaient de nouveaux régiments d’infanterie et toujours avec quelques chars et ils y allaient, et on se faisait taper dessus. C’était décourageant. On était sur la route là-bas, l’escadron C, et on a été mis hors de combat. On essayait de rouler sur cette route, on s’est fait anéantir. Et, le char était immobilisé, ça avait touché les chenilles et on ne pouvait plus bouger, alors Spattern, qui était notre lieutenant, a donné l’ordre d’évacuer le char et je pensais : « Je me demande ce que je vais me prendre sur le nez quand je vais sortir de ce char, quand je mets le nez dehors, je me demande ce qui va me tomber dessus. Est-ce que ça va être des mitrailleuses ou des armes du genre fusils qui vont me tirer dessus. » Alors je suis sorti sur le côté et l’obus nous avait démolis, et c’était le côté opposé et je me suis retrouvé par terre et j’ai commencé à partir à l’opposé en courant.
Et puis à toute allure. Et ils avaient des projectiles qui me passaient au-dessus de la tête et après ce qui m’a semblé être une éternité, mais n’a duré que quelques secondes, je pense : « Bon, ce sont des tirs de mitrailleuses ou d’armes légères, ce sont des balles perforantes. » Ils tiraient sur notre char, pour essayer de l’incendier et ils manquaient leur coup, et elles passaient au-dessus tout près de moi, vous savez, et je ne voulais pas me prendre une balle perforante. Alors à droite toute, et je ne sais pas où les autres étaient arrivés, je n’en voyais pas un seul, j’étais tout seul. En tout cas, à droite toute, j’ai continué à courir, et tous ces projectiles, ils ont disparu, il n’y en avait plus, alors j’ai ralenti et j’ai commencé à m’inquiéter, est-ce que j’allais croiser un groupe de soldats canadiens qui gardaient leur position à cet endroit ? Mais non, je n’en ai croisé aucun. C’était donc le front duquel j’avais réussi à échapper.
J’aimais beaucoup mon char. Je l’adorais. C’était mon chez-moi. Et je pouvais aller dedans, m’asseoir sur mon siège, j’allumais la radio et je me branchais sur la BBC et je suivais les dernières nouvelles, j’écoutais la musique du moment et ce genre de choses. Et je pouvais allumer le plafonnier et je lisais, j’écrivais à ma famille. Et je me sentais en sécurité aussi. Même si j’étais le seul à faire ça en général, mais bien sûr, j’étais responsable de la radio. Alors j’étais vraiment le seul à pouvoir l’utiliser. Et en tout cas, c’est ce que je faisais. Et après je comparais la situation, j’étais là-bas, avec le PBI, ces pauvres diables de fantassins, qui devaient creuser un trou pour se mettre dedans et quand il pleuvait, ils étaient trempés, il nous pleuvait dessus aussi dans les chars, il y avait toutes sortes d’ouvertures par où la pluie pouvait s’infiltrer. Mais quand même, c’était largement mieux que d’être là-bas. Et la solitude, vous savez, au moins j’avais des amis autour de moi. Eh oui, j’aimais vraiment beaucoup mon char.