En 2010, le Projet Mémoire s’est entretenu avec John H. Hamilton, ancien combattant de la Deuxième Guerre mondiale. L’enregistrement et la transcription qui suivent proviennent de cet entretien. De 1942 à 1946, John H. Hamilton a été carabinier, puis caporal, dans le Royal Winnipeg Rifles de la 3e Division d’infanterie canadienne. Né à Brandon, Manitoba, le 22 août 1922, il s’est enrôlé dans l’Armée canadienne à 20 ans. Il a fait partie de la première vague de Canadiens à prendre d’assaut Juno Beach le jour J et a également participé à la bataille de l’aéroport de Carpiquet. Dans son témoignage, il décrit son expérience à Juno Beach, sa blessure et les efforts déployés par la suite pour sauver son œil. Il évoque également le sabotage des obus d’artillerie allemands par les ouvriers des usines de munitions tchèques. Il est décédé le 29 juillet 2017 à Brandon, Manitoba.
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Transcription
La [Marine] nous [la compagnie A du Royal Winnipeg Rifles] a donc amenés sur le rivage [Juno Beach, le 6 juin 1944] sous un feu nourri. J’étais le deuxième de ma section, et le gars devant moi a reçu une balle de mitrailleuse dans l’estomac et est mort sur le coup. En traversant la plage étroite, j’ai été frappé au visage par un obus d’artillerie et je suis resté assommé plusieurs heures. Il n’y avait personne quand je suis revenu à moi. Il y avait à ma gauche beaucoup de corps du Can Scots [The Canadian Scottish Regiment], une compagnie de soutien pour nous qui a essuyé beaucoup de pertes. Il s’agissait d’un peloton cycliste, et il n’y avait que des cadavres et des vélos éparpillés. Les coquelicots étaient en fleur et ce qui m’a frappé en reprenant conscience, c’est le contenu du poème du [lieutenant] colonel [John] McCrae, Au champ d’honneur : « les coquelicots sont parsemés de lot en lot ». Il n’y avait donc personne à proximité, personne pour me bander le visage et tout le reste. J’ai parcouru la plage et je me suis allié à deux ou trois blessés, je ne me souviens plus de leurs noms. C’était le calme plat, les forces initiales avaient envahi l’intérieur des terres si rapidement qu’il n’y avait personne, pas de médecins ni qui que ce soit d’autre. Toute la journée, nous avons donc été sur la défensive, craignant que certains ennemis soient encore en train de tirer. Nous n’avons eu aucun ennui de cette manière. Il était environ 21 h 30; il faisait nuit lorsque nous sommes arrivés à la gravière de Creully, CREULLY, où le [Royal Winnipeg] Rifles était bivouaqué pour la nuit. Notre médecin militaire, le colonel Caldwell, a examiné ma blessure et m’a dit qu’il croyait que j’avais reçu un coup de poing. Ce n’était pas le cas; il a nettoyé la blessure et m’a bandé parce qu’une bosse s’était formée, résultat de l’éclat d’obus que je vais vous montrer. Ce dernier est sorti en mars [1945] lorsque je faisais partie de l’état-major à [la base d’outre-mer de l’Armée canadienne] Aldershot. Nous avons rapidement pris la direction du champ. Il y avait cinq gars de Brandon [Manitoba] dans notre peloton [peloton no 7]. Johnnie Banducziak était dans ma section. Nous avons traversé le bocage et sommes entrés dans un champ. Jerry larguait des obus de 88 millimètres [artillerie antichar allemande] près de nous, et un d’entre eux est tombé tout près de John et moi sans exploser. Plus tard, nous avons découvert que les ouvriers des usines tchèques installaient des détonateurs défectueux ou remplissaient certains obus de sable. Il est arrivé deux fois, à deux occasions différentes, que des obus de 88 [mm] tombent près de nous sans exploser. Certains d’entre nous ont donc eu de la chance de s’en sortir. Nous avons atterri [après avoir été envoyés en Angleterre à cause de ses blessures] à Southampton et une infirmière anglaise dans la quarantaine a dit que je devais retourner à la maison (parce qu’on croyait que j’avais perdu un œil). Si on perdait un membre ou un œil, on nous ramenait rapidement au Canada. Quoi qu’il en soit, j’ai passé six jours à l’hôpital d’urgence de Leatherhead [Royal Blind School], en plein dans la Doodlebug Alley [sud de Londres]. Ce n’était pas de tout repos; il y avait un gars, un commandant de char qui avait été touché alors que l’écoutille était relevée, je suppose. Tout l’équipage a bien sûr été incinéré, et il a été projeté à l’extérieur. Ce devait être un compatriote canadien, je suppose, je ne sais pas s’il était des Fusiliers de Sherbrooke [27e Régiment blindé] ou de l’unité de Winnipeg, le Fort Garry Horse [10e Régiment blindé]. De toute façon, il avait perdu la tête; quand les bombes volantes [allemandes V-1] sont arrivées, il ne faisait que pleurer et crier, et il nous réveillait au milieu de la nuit. C’était difficile là-bas. Six jours. Je pense qu’à cause de mes blessures aux yeux, on a fini par obtenir une place pour moi dans le service de soins des yeux, du nez et de la gorge de l’hôpital général canadien no 18 à Horley. C’est là que se trouve aujourd’hui l’aéroport de Gatwick. Le médecin canadien m’a dit qu’il pouvait sauver mon œil si je le laissais faire. Bien sûr, je voulais ravoir ma vue. Il a donc commencé l’opération. Je pense que j’en ai eu environ sept sur l’œil droit. L’œil droit a été le plus touché, il a fallu enlever les fragments de plomb qui s’y étaient logés. En revenant au pays, j’ai vu qu’il y avait encore des coupons de sucre ici. Il y avait encore des rations pour certains produits!