« Ici on porte la jupe juste en bas du genou et on dit toujours "ma'am, yes ma'am" même si elle n'avait pas raison! »
Pour le témoignage complet de Mme Leury, veuillez consulter en bas.
Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.
Transcription
J'avais passé presque toute mon enfance dans un orphelinat. Les religieuses m'ont donné beaucoup d'instruction. J'avais seulement un diplôme d'enseignement. Quand je suis sortie la guerre s'est déclarée et je n'avais pas d'emploi, je n'avais pas de famille, je n’avais pas de place à rester, rien. J'étais pas mal pépée et je voulais avoir quelque chose à faire. J'ai vu sur la rue Saint-Jean une grosse annonce qui annonçait la vente des bons de la victoire. C'était des femmes qui faisaient la formation militaire. Je voulais faire ça. J'ai arrêté dans une petite église sur la rue Saint-Jean, peut être 10-15 minutes et ensuite je suis allée au bureau d'engagement sur la rue Buade. Je leur ai dit: moi, je veux m'enrôler. Après deux ou trois semaines, après des examens, ils m'ont dit «Oui, mais tu es trop petite, que vas-tu faire là dedans ? »
Pour commencer, on m'a demandé « what is your name? ». J'ai dit « Quoi ? » Je ne comprenais pas un mot. J'ai eu un peu de difficulté, mais vu qu'on était un gros groupe de francophones qui s'entrainaient en même temps, je n’ai pas eu besoin de parler tellement anglais. Quand est arrivé ma formation de comptable à Trenton, j'étais la seule [canadienne-]française. Après trois jours, ils ont bien vu que cela ne donnait rien. Je ne pouvais pas lire l'anglais et je ne comprenais rien. Ils sont allés chercher un sergent canadien-français. Toute la semaine il m'a donné mon cours. Il m'a expliqué ce que j'avais à faire. Il n'y avait plus de problèmes, car j'aimais ce que je faisais. Je comprenais tout. Lorsque j'ai commencé mon travail à Mont-Joli, ça allait très bien.
Il y avait un bon mélange. C'était la station la plus bilingue au Canada à part de St-Hubert, St-Hubert étant plus proche de Montréal. À Mont-Joli, il y avait beaucoup de francophones.
Les sous-marins allemands arrivaient au Canada de Pointe-au-Père jusqu'à Rimouski et Mont-Joli était juste là. On avait nos avions, on avait le droit d'embarquer une fois par mois et on survolait le fleuve très bas. Ils cherchaient des sous-marins.
À la base de Rockcliffe on a vu Glenn Miller et son orchestra américain. C'était très gros, il y avait beaucoup de monde sur cette base. On dansait le jitterbug. On avait beaucoup d'amusements. On était gâté. On était bien protégé, les petites filles. On avait des “ma’ams” (les femmes officiers) qu’on les appelait, « yes ma'am, no ma'am ». Elles s'occupaient de nous autres. Elles nous disaient: « Les cheveux, c’est tout en bas de l’oreille. Les bijoux on n'en porte pas. Quand vous serez chez vous, en furlough [en permission], d’accord. Ici on porte la jupe juste en bas du genou et on dit toujours « yes ma'am, no ma'am » même si on n'a pas raison ». Elles prenaient bien soin de nous. Le soir à 10 heures les Jeeps passaient dans les rues à Rockcliffe avec des gros spotlights [phares] pour voir s’il y avait une fille qui était rentrée dans les baraques. Des fois ils en trouvaient en couple dans les coins, c'est comme ça quand on est jeune. Le padre, le chapelain [militaire], il surveillait ses petites filles, comme il disait. Il nous disait qu'il nous avait vues descendre à la plage à Sainte-Flavie avec nos couvertes. Il nous disait de nous surveiller. En s'en venant dans le train, le train a arrêté, car il devait faire un ajustement à une roue. Nous sommes sorties dehors. Il [mon future mari] m'a demandé si je parlais français. Il m'a demandé si j'allais à Rockcliffe. Il m'a dit qu'il était chez ses parents pour trois semaines. Il m'a dit qu'on allait se rencontrer. Il venait me chercher. On sortait le soir et on allait chez lui. On devait courir pour rentrer à la base pour arriver juste avant 10 heures. On est sorti ensemble pendant trois semaines. Il continuait à m'écrire. Il voulait se marier. Dans ce temps-là, il fallait se marier. Je n'ai pas réfléchi tellement. Il était propre, beau et fin.
Les gens étaient rationnés. Nous [les militaires] on mangeait du beurre et de la viande de première qualité. Mon mari Paul disait toujours, « regarde-les gaspiller ». Les gens [autour de nous] se mettaient en ligne pour recevoir leur portion et par la suite ils jetaient ce qu'il n'aimaient pas manger. Mon mari était choqué. Les civils n'avaient pas de viande, pas de sucre. Mes beaux-parents mangeaient du cheval ici à Vanier.
Je me souviens d'avoir été à Ottawa pour « VE-Day », ils appelaient ça « Victory Day » [le jour de la victoire]. C'était la grande démonstration. Tout le monde était dans la rue. C'était une bien belle journée. Je pense que c'était au mois de mai [le 8 mai, 1945]. C'est assez vague ça.
J'étais déçue, il fallait que je redevienne civil. Comme si la grande aventure était finie. J'avais fait quelque chose que j'aimais.
Quand il y a des cérémonies, je reçois toujours des invitations et il y a toujours un ou deux de mes fils qui veulent m'accompagner. J'ai amené ma petite fille à la cérémonie à la chandelle à l'automne. Elle avait les larmes aux yeux de voir tous les vétérans arriver en chaise roulante et avec leurs cannes. Tout le monde arrive en procession. On était accompagné des jeunes qui nous remettaient les chandelles. Tu la déposes en avant et tu fais ton salut militaire. La cérémonie se fait à la peine ombre, il y a seulement des chandelles. Quand je suis arrivée à ma chaise, elle pleurait. « C'est tellement beau grand-maman. »