« Quand on s’enrôle, c’est pour se joindre au combat et non pour servir de cobaye. Mais je n’ai aucune amertume et si c’était à refaire, je servirais à nouveau mon pays. »
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Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.
Transcription
Je m’appelle Léonard Roy Link et je suis né à Osoyoos en Colombie Britannique. Mon père travaillait pour la compagnie du chemin de fer et il est retourné au Saskatchewan et on habitait au Saskatchewan quand je me suis engagé. Je suis sorti du lycée et tous les autres s’engageaient, alors, dans ma classe, donc on s’est tous engagés, certains dans les forces aériennes, quelques uns dans la marine et d’autres ont rejoint l’armée de terre.
J’espérais entrer dans la GRC [Gendarmerie Royale du Canada], mais on est partis à six pour aller pour se faire examiner à la GRC et à cette époque il fallait mesurer 1,80 mètres pour être accepté. Et je ne mesurais que 1,75 mètres et il me manquait 5 centimètres alors ils m’ont rejeté. Mais l’officier a aussi dit au même moment, il a dit : « Qui d’entre vous les gars veut – une bande jaune le long de la jambe ou une bande jaune le long du dos. » Une bande jaune c’est ce qu’il y a sur les jambes de pantalon de la GRC. Et une bande jaune le long du dos ça veut dire être un poltron. Il a dit : « Je vous conseillerais plutôt d’aller vous engager dans l’armée. » Ce qu’on a fait.
J’ai fait mes classes et ensuite on m’a nommé caporal pour être instructeur d’exercice. Et à ce moment-là, juste avant Noël 1942, une vingtaine d’entre nous ont été emmenés à Suffield en Alberta, pour faire des essais avec des gaz toxiques. On n’avait aucune idée de là où on allait et le lieutenant Smith est venu dans notre baraquement une nuit et il dit : « Je veux 20 d’entre vous pour un petit voyage demain. » Il dit : « Soyez prêts pour le petit-déjeuner à 5 heures, et portez votre tenue militaire complète, mais pas d’armes. » Et il a choisi 20 d’entre nous. Il a choisi comme ça, toi, toi, toi, toi et toi et il a fait en sorte qu’on soit prêts pour le petit-déjeuner le matin où on a pris le petit déjeuner. Et après avoir terminé le petit-déjeuner, le camion a reculé et on est monté à l’arrière. Il y avait des sièges le long de l’avant de la partie arrière et sur les côtés et c’était un camion à bâche, et l’officier et le chauffeur étaient à l’avant et on est partis.
Et quand on est descendu du camion là-bas, on devait aller dans cette baraque-là et mettre nos masques à gaz et les vérifier pour voir s’ils fonctionnaient correctement. Ensuite ils ont lâché le gaz et c’était juste comme une sorte de brouillard bleuté et on a dû faire le tour en marchant pendant un moment et puis l’officier a dit : « Bon, mettez le doigt derrière votre masque et respirez une bouffée. » Bon, laissez-moi vous dire que ça m’a pris et brûlé comme du café très chaud de haut en bas. C’était du chlore gazeux, voilà ce que c’était, du chlore gazeux. Du chlore gazeux, on nous a fait sortir et marcher jusqu’à une autre baraque et on est entrés dedans. Et quand on est entrés on nous a tendu une serviette humide et on nous a dit de nous déshabiller jusqu’à la ceinture, ce qu’on a fait. Et ils ont dit quand deux officiers se sont approchés avec des vaporisateurs et ont vaporisé du gaz moutarde sur nos bras et nos épaules. Ils ont dit « Bon, quand ça commence à brûler, vous pouvez l’enlever avec la serviette. » Et ça a brûlé, ça brûlait sérieux.
Bon quoiqu’il en soit, on a essuyé tout ça, mais on n’a pas eu le droit de prendre une douche pendant les deux jours qui ont suivi les essais avec les gaz. Et quand on est rentrés de ces essais, l’officier responsable de notre camp nous a fait mettre en rang tous les vingt et il a marché le long en large et nous a parlé et ils nous regardait droit dans les yeux en disant : « Maintenant écoutez, ceci messieurs était une mission secrète, alors si j’entends un seul mot à propos de ce que vous avez fait, » il a dit : « Nous sommes en temps de guerre, vous serez exécuté sur le champ. »
Après avoir faits les essais avec les gaz toxiques, ma santé était complètement délabrée. Deux semaines après qu’on soit rentrés, j’ai été admis à l’hôpital militaire de Maple Creek [Saskatchewan] et j’avais eu les oreillons des deux côtés et j’ai eu une double pneumonie et la scarlatine, et ma gorge était tellement brûlée et pleine de cicatrices à cause du chlore gazeux que je pouvais seulement parler aux médecins en chuchotant. Et ils ont envoyé un télégramme chez moi à mes parents et ils ont dit que j’étais à l’hôpital, et que j’étais un jeune homme sévèrement malade, mais qu’ils allaient faire tout ce qu’ils pouvaient pour me sortir de là, ce qu’ils ont fait.
Les répercussions dues aux gaz m’ont sidéré. J’ai perdu les sensations dans ma jambe gauche toute entière, elle était complètement morte et mes ongles sont tombés, ils ont viré au bleu et sont tombés. Les docteurs m’ont mis sur une civière à roulettes et ils ont enlevé ma chaussure, mais pas ma chaussette, et ils me donnaient des petits coups avec un objet pointu et bon sang je n’ai rien senti du tout et ils ont dit : « Bigre, vous êtes sacrément têtu, vous ne bougez pas d’un pouce. » Je ne sentais rien du tout parce que ma jambe était complètement insensible, et quand je suis retourné dans mon baraquement, j’ai été exempté de service et le sergent du baraquement a apporté une bassine d’eau chaude et ma lavé le pied parce que quand j’ai enlevé ma chaussette, il était couvert de sang. A enlevé ma chaussette et m’a lavé le pied et l’a enveloppé dans une serviette propre et il est parti et m’a rapporté une nouvelle paire de chaussettes, que j’avais. Et j’avais, j’ai été exempté de service pendant une semaine ou deux et ensuite deux psychiatres m’ont examiné et là je me suis complètement effondré. J’étais complètement dans les vapes. Alors ils ont recommandé qu’on me réforme du service pour raisons médicales, et le lendemain ils m’ont emmené à Brandon pour avoir des vêtements civils et ensuite il m’a fallu emballer mes affaires et ils m’ont mis dans le train pour rentrer chez moi. Et ça a été la fin de ma vie militaire.
Bon, J’espérais devenir officier et diriger des troupes. C’est ce que j’espérais. Quand vous vous engagez, vous vous engagez pour vous battre, vous ne vous engagez pas pour être un cobaye. Mais je n’ai pas d’amertume à ce sujet et si c’était à refaire, je le ferais pour mon pays.