Un jour, on travaillait là-haut en Italie, un petit groupe d’entre nous est tombé sur un camion d’explosifs allemand. Or, dans cette partie de l’Italie, il a plein de rivières en crue et des torrents qui coulent entre les hautes cimes sur lesquelles étaient situés la plupart des villages. La saison des pluies là-bas faisait énormément monter les rivières et causait une érosion extrêmement importante. Alors avoir des ponts très solides était impératif pour ces villages et aussi pour faire traverser les véhicules de l’armée.
Ces ponts devaient être intacts pour être utilisés et aider les Alliés à continuer d’avancer. Ce camion allemand était sans cesse en train de placer des explosifs pour détruire les ponts dans le but de nous ralentir, et leur donner le temps de se regrouper. Je suis arrivé à escalader le côté du pont, et je pouvais les voir de l’autre côté. Mes hommes devaient me suivre pendant que j’essayais de me faire une idée de la situation. Juste au moment où j’étais en train de grimper par dessus, les Allemands m’ont vu. Ils m’ont vu venir et ils ont tout laissé tomber et sont retournés précipitamment à leur camion. Mon fusil mitrailleur Bren était chargé et je les ai visés avant même de prendre le temps de réfléchir. J’ai dénombré huit soldats allemands qui s’entassaient dans le camion et ont commencé à s’échapper. J’ai déchargé mon fusil mitrailleur Bren sur l’arrière de leur camion, qui était plein de soldats et d’explosifs. Et quand le camion a commencé à tourner au coin, il y a eu une énorme explosion et un grondement assourdissant quand les explosifs se sont allumés. Le camion a explosé en petits morceaux, avec les huit hommes à l’intérieur. Il y avait un cratère d’une bonne taille marquant l’endroit où le camion a fini sa carrière dans cette guerre.
Ça m’est resté comme l’une des choses les plus intenses qui me soient arrivées. Ça s’est passé tellement vite, l’ampleur des camions bourrés d’explosifs s’évaporant pour ainsi dire était très grande. Une action de ce type arrivait à empêcher les Allemands de ralentir l’avancée des Alliés. Vous imaginez sans peine le temps que ça aurait pris s’il avait fallu qu’on construise nos propres ponts pour nos mouvements de troupes. La pensée que ces soldats allemands avaient des mères et une famille là-bas chez eux, qui allaient recevoir la nouvelle de leur garçon perdu pendant cette guerre, me trottait toujours dans la tête.
La bataille la plus marquante dont je me rappelle c’est une de nos dernières batailles en Italie, avant d’être envoyés en France. On était éparpillés sur une ligne et l’extrémité était en train de se faire épingler. On était sous le coup des tirs de roquettes, des assauts de l’infanterie et de l’artillerie. Notre force de combat s’amenuisait peu à peu avec les victimes et on n’avait plus d’hommes supplémentaires à faire entrer dans la bataille. Le capitaine qui commandait savait que sa seule chance c’était de faire venir des renforts en attendant que l’armée de terre arrive pour aider.
On avait été dans un camp à quelques kilomètres de là, mais c’était en territoire dangereux. Il y avait encore beaucoup d’hommes dans le camp qui seraient bien utiles dans un combat. On n’avait qu’un seul camion avec nous et le capitaine a décidé que Dunkirk (surnom de Morton Beazley) serait le plus à même de repartir en camion jusqu’au camp, sous le feu de l’ennemi sans aucun doute, pour aller chercher des renforts. Un messager avait été envoyé pour me trouver. Quand ce fut fait, j’ai donné ma Bren à Jonezy et lui ai demandé d’en prendre soin. J’ai suivi le messager jusqu’au camp et j’ai découvert ce qu’on attendait de moi. Il a expliqué à quel point c’était important. Si la ligne tombait ici, les nazis pourraient nous contourner et encercler les forces alliées et se rendre maîtres de la ligne. On devait empêcher ça, à tout prix.
Je me suis installé dans le camion pour retourner à notre ancien camp. Le camion était un gros véhicule de deux tonnes et demi. Il avait un énorme volant et à cette époque il n’y avait pas la direction assistée. Heureusement j’étais capable de conduire à peu près n’importe quoi. Les routes étaient rudimentaires et j’ai essuyé quelques tirs sporadiques sur le chemin de l’ancien camp. Quand je suis finalement arrivé là-bas, j’ai trouvé la personne avec le grade le plus élevé possible et lui ai expliqué ce qui se passait et que j’avais besoin d’autant de soldats que possible pour retourner au front et tenir la ligne. Il m’a demandé combien je pouvais en caser et j’ai répondu que je les empilerais comme du bois de chauffage à l’arrière s’il le fallait, mais que je prendrais tous ceux qui pouvaient venir. Bon, on a réussi à entasser près d’une cinquantaine d’hommes à l’arrière du camion et je me suis retrouvé avec le caporal assis à côté de moi.
Quand on a commencé à se rapprocher du front, on a commencé à essuyer des tirs de roquettes et d’obus. Il était clair que les nazis avaient vu le camion revenir et avaient réalisé qu’on avait dû aller chercher du renfort ou quelque chose d’important. Alors ils essayaient vraiment de nous abattre. Les roquettes et les obus pleuvaient pendant la traversée de cet immense champ à découvert. Je jouais sur les vitesses comme un malade et je conduisais d’une manière démente en zigzaguant. On ne s’est pas fait toucher, plein de missiles atterrissaient vraiment tout près passant juste au dessus de nous, c’était à la seconde près, mais on n’a pas été touchés. Si on s’était pris un obus, 50 hommes auraient pu mourir ou on n’aurait jamais réussi à y retourner. Le jeune caporal assis à côté de moi était dérouté et complètement paniqué. Je l’aurais bien assommé, il se conduisait comme un fou. C’était très dur de se concentrer sur la conduite, il aurait dû être à l’arrière avec les hommes, pour les avoir calmes et détendus et pas ici à faire l’enfant, en distrayant le chauffeur qui essayait de sauver la vie de tout le monde.
Il a fini par complètement disjoncter et a sauté du camion au fond du champ. Il pensait qu’il serait plus en sécurité à pied. Je l’ai revu plus tard dans la rue dans une petite ville en Italie et il m’a vu aussi. Je ne me suis même pas embêté à lui parler parce que je n’avais plus du tout de respect pour lui.
J’ai appris plus tard que le capitaine avait surveillé mes péripéties au volant sous les tirs de roquettes depuis sa position et il regardait avec inquiétude tout en priant pour qu’on arrive à passer. Je suis content de ne pas l’avoir déçu. Il a montré à quel point mes qualités de chauffeur l’avaient impressionné en me voyant conduire cet énorme camion peu maniable. On a réussi à retenir les nazis et maintenir la ligne, grâce aux hommes en plus que j’avais réussi à amener au combat.
J’avais l’habitude de leur parler, chaque fois que je partais au combat, je parlais aux gars et leur disais, je disais, « Écoutez, vous les gars, vous savez, vous n’aimez pas tuer et moi non plus, alors voilà ce que vous allez faire. N’essayez pas de les tuer, essayez de les blesser, tirez-leur dans les bras ou dans les jambes ou quelque part et il faut deux personnes pour évacuer un soldat blessé. Si vous blessez 10 soldats, si leur force diminue de 30 hommes, une trentaine d’hommes qui s’en vont parce que dix sont blessés, il faut deux hommes pour chaque soldat qui est blessé, pour les évacuer. » Alors je disais : « De cette manière, leur puissance diminue et il faut qu’ils reculent et on les repousse. » Et j’avais l’habitude de parler comme ça avec eux. Alors finalement, ils ont compris ce que j’essayais de leur dire. Je disais : « De cette manière, vous n’aurez pas cela sur la conscience comme c’est le cas quand vous venez de tuer un homme. »
J’ai eu une bonne conversation avec ma mère avant de partir. Juste comme pour quand tu es né, il y a un jour, c’est écrit quelque part le jour où tu vas mourir. Alors elle dit comme ça : s’il t’arrive d’être là-bas quand ton heure est venue, c’est comme ça. » Elle a dit : « Fais ce que tu as à faire, mais sois très prudent, » dit-elle. « Et si Dieu veut te rappeler à lui, il te rappellera. Et si ce n’est pas le cas, n’aie pas peur. » Et je n’avais pas peur, je n’avais pas peur de mourir.