Project Mémoire

Rodolphe Blanchard (source primaire)

« Quand j’avançais, j’entendais parler les Allemands. On avait trop avancé et on a été obligé de cacher dans le bois. On est resté là deux jours et une nuit. On ne pouvait pas bouger du tout. »

Pour le témoignage complet de M. Blanchard, veuillez consulter en bas.

Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.

Rodolphe Blanchard se tient devant sa tente alors qu'il passait l'hiver à Goose Bay, Labrador en octobre 1942.
Rodolphe Blanchard se tient devant sa tente alors qu'il passait l'hiver à Goose Bay, Labrador en octobre 1942.
Avec la permission de Rodolphe Blanchard
Des civils néerlandais accueillant les troupes de la 4ème Division Blindée Canadienne dont les Rangers du Nouveau Brunswick, alors qu'elles entraient dans Bergen op Zoom aux Pays-Bas le 29 octobre 1944.
Des civils néerlandais accueillant les troupes de la 4ème Division Blindée Canadienne dont les Rangers du Nouveau Brunswick, alors qu'elles entraient dans Bergen op Zoom aux Pays-Bas le 29 octobre 1944.
Avec la permission de Rodolphe Blanchard
Rodolphe Blanchard en mars 1945 lors d'une permission de sept jours à Paris en France après neufs mois de combat ininterrompu.
Rodolphe Blanchard en mars 1945 lors d'une permission de sept jours à Paris en France après neufs mois de combat ininterrompu.
Avec la permission de Rodolphe Blanchard
Rodolphe Blanchard (6ème à droite, dernière rangée) et ses camarades des Rangers du Nouveau Brunswick en Hollande après la guerre, 1945.
Rodolphe Blanchard (6ème à droite, dernière rangée) et ses camarades des Rangers du Nouveau Brunswick en Hollande après la guerre, 1945.
Avec la permission de Rodolphe Blanchard
Rodolphe Blanchard le 18 septembre 2005.
Rodolphe Blanchard le 18 septembre 2005.
Avec la permission de Rodolphe Blanchard

Transcription

De Fredericton, ils nous ont envoyés à Edmundston [Nouveau-Brunswick]. J’ai fait mon « basic training » [cours de recrue], ça c’est fait tout en anglais. Je ne comprenais pas l'anglais et je ne parlais pas l’anglais dans ce temps-là. D’Edmundston, j’ai été envoyé à Sussex [Nouveau-Brunswick]. C'est là qu'ils m’ont transféré de régiment parce que j’étais dans le « North Shore » [The North Shore Regiment]. J’ai été transféré dans les New Brunswick Rangers [The New Brunswick Rangers] Ils étaient encore plus anglais que les autres régiments. J’ai commencé à apprendre l’anglais et à me débrouiller. Depuis ce temps-là je parle anglais. C’est là que je l’ai appris.

Ce dimanche-là, avant d’aller sur la côte de Normandie [dans le cadre du débarquement du 6 juin, 1944], ils ont apporté les catholiques à l’église le dimanche matin. Il y avait un aumônier français [francophone] dans notre régiment. La messe était pour la 4eDivision [4e Division Blindée canadienne]. Dans l'église, j'ai vu qu'il y avait un monsieur, un soldat. Il ressemblait à un soldat que je connaissais. Je me suis avancé vers lui: : « Es-tu un nommé Roméo Landry? » Il dit: « Oui. », Je lui ai dit: « Tu viens de Grande-Anse ? » Il dit: « Oui. » Je lui ai dit: « Tu sais où l'on s’en va là ? On ne s’en va pas en pique-nique! D’ici une semaine nous serons sur des bateaux pour aller en Normandie. » Rendu sur la côte de Normandie, près de Caen, à Saint-Urbain, je rencontre encore mon petit Landry , car il avait débarqué en même temps que nous, parce qu'il était dans la 4eDivision. Je suis allé lui parler. Il y avait un autre monsieur qui était avec lui que je ne connaissais pas. On a fait connaissance. Je lui ai ensuite dit: « Si je me faisais tuer sur le champ de bataille, irais-tu donner des nouvelles à mes parents? » Il a accepté et je lui ai confirmé que je ferais la même chose. Si jamais il se faisait tué, j’irais donner des nouvelles à ses parents, car je les connaissais.

Quand on arrivait dans une ville qu’on venait de libérer, on était bien accueilli par les Français. Ils venaient nous rencontrer, ils se massaient le long des rues. Ils étaient très contents qu’on les ait libérés. Souvent, ils nous donnaient des bouteilles de vin français. De temps en temps on en buvait un peu trop.

Chaque peloton du régiment avait huit mitrailleuses. Des grosses mitrailleuses. Nous nous en sommes servis pour attaquer les Allemands. C’est avec ça qu’on a pu libérer la Hollande dans ce temps-là, en 1944 [au cours de la campagne militaire de l'automne 1944 et de l'hiver 1945].

Ça a été bien dur. Nous avons été faits prisonniers. On avait trois tanks [chars] en avant. Nous avons avancé trop rapidement avec notre peloton. J’étais en avant du peloton. J’avais une « job » qui était pas mal dure, dangereuse. Quand j’avançais, j’entendais parler les Allemands. On avait trop avancé et on a été obligé de [se] cacher dans le bois. On est resté là deux jours et une nuit. On ne pouvait pas bouger du tout. Il aurait fallu qu’on ait du support aérien pour nous sortir de là, pour bombarder les Allemands. Il y en a eu deux ou trois qui ont eu des « shell shock » [syndromes post-traumatiques]. Ils ont dû s’en aller. Ils ne sont pas revenus sur le champ de bataille. Il y en avait un que je connaissais. Un gars du coin. Il est resté « shell shocked » [traumatisé] toute sa vie. Il est décédé il y a cinq ans. Il est resté perdu, il criait.

On était rendu tellement habitué à se faire bombarder par des obus. Quand on entendait le cillement des obus, on savait à peu près où ils allaient tomber. On les appelait le « morning many »; c’est les obus qui nous réveillaient, si on dormait. On ne dormait pas souvent pendant la nuit. Neuf mois de temps dehors à coucher dans les tranchées. On était chanceux, car il ne pleuvait pas beaucoup cette année-là. Presque pas de neige n’ont plus. En Hollande, il y a eu peut-être un peu de neige dans le temps des Fêtes. La guerre a arrêté le jour de Noël [1944]. Les Allemands ont recommencé à tirer avant que Noël soit fini, alors nous avons été obligés de sortir nous aussi.

On était comme le petit Jésus, on couchait dans une crèche. On était dans une grange. C’est là qu’on a eu notre repas de Noël. On avait eu du poulet pour souper. Un petit verre de boisson forte, du rhum noir, et deux cigares. Je n’avais jamais fumé, je les ai fumés pareil.

J’ai passé mon premier Noël à Goose Bay [Labrador]. J’ai passé mon deuxième Noël en Angleterre. J’ai passé mon troisième Noël en Hollande [1944]. C’était ennuyant parce qu’on savait que c’était Noël. Nos femmes et nos familles savaient qu’on était sur le champ de bataille. Ça leur faisait quelque chose. Nous étions avec les autres soldats sur le champ de bataille, il fallait se tenir ensemble. Les soldats à l’époque, les jeunes soldats comme moi, on n’avait pas fait d’études. Il y en a beaucoup qui ne savait ni lire ni écrire. Ils recevaient des lettres de leurs parents et ils n’étaient pas capables de lire. Ils venaient me trouver, car je savais lire et écrire un peu. Je répondais à leurs parents pour eux. C’est comme ça que ça marchait sur les champs de bataille.