Project Mémoire

Rodolphe Charles « Rudy » Lavoie (source primaire)

« En d’autres mots, certains viseurs de lance-bombe et certains capitaines étaient consciencieux et bombardaient autant que possible la cible qui leur était assignée. Mais je suis sûr que certains des gars chargés des bombes, ils s’en débarrassaient pour pouvoir repartir le plus vite possible. »

Pour le témoignage complet de M. Lavoie, veuillez consulter en bas.

Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.

Photographie de l'équipage, 1944.
Photographie de l'équipage, 1944.
Dernier rang, de gauche à droite: pilote Guy Sicotte, navigateur Paul Laforce, bombardier André LeBoeuf, ingénieur Ron Smith. Premier rang: opérateur télégraphiste Urbain « Pete » Lanthier, artilleur aérien Paul Lebel, artilleur arrière Rudy Lavoie.
Avec la permission de Rudy Lavoie
Portrait de Rudy Lavoie après avoir obtenu son diplôme de l'École des artilleurs bombardier, 1943.
Portrait de Rudy Lavoie après avoir obtenu son diplôme de l'École des artilleurs bombardier, 1943.
Avec la permission de Rudy Lavoie
Carnet de vol, 1945, avec les derniers vols effectués par Rudy Lavoie.
Carnet de vol, 1945, avec les derniers vols effectués par Rudy Lavoie.
« Premier tou complété avec succès sans perdre un membre de l'équipage. J'espère vous voir dans la rue civile les gars ». « Pour finir sur une beauté ».
Avec la permission de Rudy Lavoie
Rudy Lavoie debout près du turreton arrière d'un bombardier Halifax, 1941.
Rudy Lavoie debout près du turreton arrière d'un bombardier Halifax, 1941.
Avec la permission de Rudy Lavoie
Portrait de Rudy Lavoie pris après qu'il ait été promu Lieutenant des Forces Aériennes, 1944.
Portrait de Rudy Lavoie pris après qu'il ait été promu Lieutenant des Forces Aériennes, 1944.
Avec la permission de Rudy Lavoie

Transcription

Mon nom raccourci est Rudy Lavoie. Je suis né à Campbellton au Nouveau-Brunswick, le 4 avril 1923. On a commencé à bombarder aux alentours du mois d’août je pense. Quand on ne bombardait pas, on s’exerçait à autre chose. On ne restait jamais inoccupé. Ils vous trouvaient toujours un travail à faire. Il fallait sortir l’aéronef, faire un tour en avion, aller sur la côte et revenir, ou aller au nord ou au sud. Il fallait s’entraîner.

Un jour, on devait partir avec un certain aéronef pour faire un passage de bombardement. On était assis dans l’aéronef, prêt à y aller, on attendait les instructions pour sortir de la piste et décoller. Et tout à coup, une petite Jeep se dirige vers notre expédition et s’adresse au capitaine, il lui parle et le capitaine nous dit : « Les gars, il va falloir qu’on laisse cet avion ici et qu’on aille dans l’autre aéronef là en bas parce que le détachement qui arrive, on leur a assigné notre avion parce qu’ils ne savent pas comment se servir du H2S », c’est un type de radar, « et nous, nous savons comment nous en servir. Donc on va y aller, on va changer d’avion et eux ils vont prendre le nôtre ». OK. Donc ça voulait dire qu’on devait refaire toutes les inspections de l’aéronef qu’on allait prendre, tous les préparatifs, s’assurer qu’on avait les bombes et ce genre de choses.

À ce moment-là, tout le monde avait décollé, les avions décollaient et nous on était encore là. Tout à coup, il y a une énorme explosion au bout de la piste. Oh mon Dieu, il a dû se passer quelque chose. Je ne savais pas ce que s’était passé, quelqu’un avait dû larguer sa charge sur la piste ou quelque chose comme ça. On ne savait pas. Donc on est quand même parti, on a fait notre passage de bombardement et quand on est revenu, on est allé dans la salle de briefing, et on s’est retrouvé face-à-face avec quelqu’un. Et on raconte notre histoire, qu’est-ce que vous avez vu, qu’est-ce qui est arrivé et tout ça. Et on nous pose la question « Bon Dieu, qu’est-ce qui est arrivé au bout de l’aéronef parce que je… » Oh, je suis en avance sur mon histoire. Quand on a décollé, quand on a décollé au bout de la piste, j’étais assis à l’arrière de l’avion et j’ai regardé en bas et j’ai vu tout ce feu au bout de la piste. Et je voyais tout ce feu au loin et tout ça et on est parti.

Donc j’ai demandé, ou quelqu’un a demandé « qu’est-ce qui s’est passé? » quelqu’un dit : « oh, c’est le lieutenant d’aviation Desmarais et son équipage », je pense que c’était son nom ou quelque chose d’approchant. « Ils n’ont pas décollé, ils se sont écrasés au décollage au bout de la piste et l’avion a explosé ». C’était notre aéronef, c’était l’aéronef qu’on allait prendre. C’était quelque chose ça, voir notre propre aéronef détruit.

Une autre histoire dont je me souviens où il y a eu de la peur et de la panique, c’est celle-ci. On avait une cible en Allemagne du Nord. Il y avait des nuages très denses, ten-tenths cloud ça s’appelle, est-ce que vous savez ce que c’est? Ça veut dire que c’est complètement nuageux du haut en bas, de la terre jusqu’en haut. Complètement. Vous ne pouvez rien voir, c’est noir. Pour moi, c’était un bombardement raté parce que quand on a atteint notre objectif de bombardement, on ne voyait absolument rien, à l’exception d’éclairs de feu reflétés dans les nuages, on voyait du rouge ou de l’orange, vous pouviez voir que les nuages n’étaient pas blancs, ils avaient différentes couleurs, donc on ne voyait jamais, on ne voyait jamais notre objectif.

En tout cas, on a fait demi-tour et on est revenu. On retourne. Quand vous aviez une cible en Allemagne du Nord, vous deviez voler au ras de l’eau dans la Mer du Nord, vous deviez être au ras du sol. Ils appelaient ça le 150 m, 180 m. Et ensuite, quand vous arriviez sur la côte allemande, vous remontiez pour aller vers la cible. Sinon leur radar vous aurait repéré, si vous étiez à une certaine hauteur, le radar vous aurait repéré donc vous deviez rester en dessous de ce niveau. Ça c’était le commencement du vol.

Au retour, vous faisiez la même chose. Vous larguiez vos bombes et ensuite vous commenciez à descendre. Quand vous arrivez sur la côte de la Mer du Nord, vous descendez pour aller en Angleterre. Eh bien, je ne m’y connaissais pas dans les aéronefs. Je savais un peu ce que j’avais à faire pour mon travail, mais je ne savais rien des aéronefs. Eh bien, on a eu de la glace, beaucoup de glace. Le pilote a dit « il y a beaucoup de glace ». Je savais que la glace affectait l’air et l’aéronef. J’étais à l’arrière, bien sûr, et j’entends ça, et ensuite il dit à quelqu’un « oh, on a perdu un autre instrument, on a perdu l’instrument pour s’orienter », le niveau, pour savoir si l’aéronef est en niveau. « On perd notre indicateur de vitesse aérienne, notre vitesse de vol ». Il parle comme ça. Il me rend fou à l’arrière. Je dis « Il ne peut pas piloter cet avion ». Je dis :« on a un problème », je dis « on a un problème » et la peur commence à s’installer. Il faut comprendre qu’il savait ce qu’il faisait, mais il ne transmettait aucun message au reste de l’équipage. Du moins, pas à moi.

En descendant, il y a eu des turbulences, beaucoup de turbulences. Donc l’avion chavirait d’un côté et de l’autre et j’étais assis à l’arrière, à la queue de l’avion et la queue allait d’un côté et j’allais de ce côté et j’étais secoué de haut en bas. Je ne savais pas si l’aéronef était à l’envers. Je ne savais pas s’il était de côté, tout ce que je savais c’est qu’il allait se fracasser, qu’il allait être détruit. Donc là j’ai commencé à paniquer. Je ne m’y connaissais pas en aéronef, peur, quelque chose allait m’arriver et c’était la panique. Je me disais « quelque chose va vraiment m’arriver ». Donc j’ai l’appelé le pilote et je lui ai dit : « si on quitte cet avion, il vaut mieux atterrir en parachute sur terre que sur mer ». Alors il m’a pas répondu très gentiment, il m’a plus ou moins dit de me la fermer. Donc je me suis assis dans mon siège et j’ai prié. Et tout s’est bien passé.

Quand je suis sorti de l’avion, je suis allé vers lui et je lui ai dit « pour l’amour du ciel pourquoi on m’a pas dit ce qui se passait » ou « pourquoi on nous a pas dit ce qui se passait? » il me répond : « je n’avais rien à vous dire, je savais ce qui se passait ». Il n’était pas très plaisant de ce côté-là, mais à partir de ce moment-là, j’ai eu toute la confiance du monde. Les bombardements n’étaient pas tellement précis. En d’autres mots, certains viseurs de lance-bombe et certains capitaines étaient consciencieux et bombardaient autant que possible la cible qui leur était assignée. Mais je suis sûr que certains des gars chargés des bombes, ils s’en débarrassaient pour pouvoir repartir le plus vite possible. Ils ne voulaient pas rester plus longtemps que nécessaire. Donc il ne s’agissait pas de faux calculs, c’était juste larguer les bombes sur les Allemands et qu’on en finisse. Donc, il y avait aussi des destructions, la population, les femmes, les enfants, les vieilles personnes et tout ça. Je n’aimais pas cette part. Mais je pense que la guerre n’est pas très belle de toute façon. Mais elle était nécessaire. L’armée avançait sur terre. Ils avaient besoin de soutien. La force aérienne nous attaquait et nous on les attaquait les Allemands. Ils bombardaient les villes anglaises, les régions côtières et tout ça. Réciprocité, je pense que c’est comme ça que ça s’appelle. Vous me faites ça et je vous fais ça. Et c’était pas beau. C’était pas beau.

On se sent assez fier, assez fier d’avoir fait quelque chose, d’avoir été là-bas. D’une certaine manière, je plains les gens qui n’étaient pas là-bas. Pourquoi est-ce que vous n’étiez pas là-bas, vous auriez dû être là-bas. J’étais pas très content des gens qui se cachaient et tout ça ou qui disparaissaient ou trouvaient une raison ou une autre pour ne pas être là-bas. Je pense que je devais défendre mon pays. Je ne pensais pas que j’allais être tué. Je me suis dit que j’allais m’en sortir et tout s’est bien passé. Je pense que c’était grâce à toutes les prières, beaucoup de prières de la part des gens autour et tout ça.