« Les jeunes hommes n'aiment pas montrer leur peur. La peur est là, mais autant que possible ils évitent de l’exprimer. »
Lisez et écoutez le témoignage de M. Coward ci-dessous.
Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.
Transcription
Je suis le lieutenant-colonel Woodrow W. Coward. J’ai servi dans la Deuxième Guerre mondiale à Londres, pendant la Bataille d’Angleterre, puis en Italie. Et bien entendu, en mission de maintien de la paix en Corée, en 1953-1954. Mon baptême de feu, je l’ai eu pendant la Bataille d’Angleterre. Il y a d’abord eu les sirènes, qui annonçaient un raid aérien, puis le bruit des bombes qui chutent et explosent au sol. Et enfin, le son caractéristique des ambulances et des véhicules d’incendie. Un jeune homme ne montre pas sa peur. Il est terrifié mais essaie le mieux possible de garder cette peur pour lui. Je crois que d’une certaine manière, j’étais honteux d’avoir peur. Mais je voyais autour de moi des milliers de gens exposés aux mêmes dangers et qui surmontaient leur peur. Alors je me disais que s’ils pouvaient y arriver, je le pouvais aussi. Puis le temps a passé et il y a eu la guerre froide, avec la crainte que des armes nucléaires soient utilisées au combat. Les Forces canadiennes ont mené une série d’exercices de survie et j’avais pour tâche d’organiser dans un bunker les services de transport du Canada. Pendant ce temps, ma famille – j’étais stationné à Ottawa – était censée être réunie quelque part au sommet d’une colline et se faire irradier. Et ça me semblait vraiment incongru d’être relativement à l’abri dans un bunker pendant qu’elle était exposée. En 1962, j’étais aussi en service au Centre des opérations d’Ottawa quand a éclaté la crise des missiles de Cuba. Et je ne crois pas que le monde ait vraiment compris qu’on a alors frôlé d’une vingtaine de minutes un duel nucléaire. J’ai pris ma préretraite des Forces canadiennes en 1967, et j’ai participé 13 ans plus tard à la création d’un organisme appelé VANA (Anciens Combattants contre les armes nucléaires). Pour qualifier cet engagement de ma part, les Chinois parleraient de fan chen, c’est-à-dire d’un virage à 180 degrés. En tant qu’officier de l’armée, j’étais passablement réactionnaire. Mais en 1967, ma famille a rejeté beaucoup des valeurs et des principes auxquels je croyais. Elle m’a fait comprendre que pour maintenir une certaine ouverture d’esprit, je devais regarder ailleurs qu’à la droite de l’échiquier politique. Quand je participe à des manifestations pacifistes ou m’adresse à des élèves ou des étudiants, je suis fier des médailles et des étoiles de campagne qui témoignent de mes états de service. Si je les porte en public, c’est pour montrer que j’ai connu la guerre et que mon expérience personnelle n’a rien à voir avec la vision aseptisée qu’en donnent la télévision ou les prétendus reportages d’actualité. Mes souvenirs les plus forts ne viennent pas de ce que j’ai vu ou entendu, mais des odeurs. Je n’oublierai jamais l’odeur du diesel dégagé par les tanks quand nous remontions la colonne d’Italie, l’odeur de la cordite quand nous passions près d’un site d’artillerie lourde peu après un barrage, l’odeur étouffante et douceâtre des corps calcinés dans des tanks bombardés en Italie, l’odeur caractéristique des animaux de ferme morts dans les vallées fluviales italiennes, l’atroce odeur des dépouilles de soldats quand je suivais à Okinawa un camion qui les transportait à l’unité d’embaumement américaine située en zone arrière. Ces souvenirs, je les ai profondément enfouis dans ma mémoire… Mais je crains qu’ils reviennent aujourd’hui me hanter.