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Musique religieuse catholique romaine au Québec

Musique religieuse catholique romaine au Québec. L'histoire de la musique religieuse catholique au Québec suit l'histoire de l'Église dans laquelle l'historien Nive Voisine distingue plusieurs périodes dont s'inspire le présent article.
L'histoire de la musique religieuse catholique au Québec suit l'histoire de l'Église dans laquelle l'historien Nive Voisine distingue plusieurs périodes dont s'inspire le présent article.

Voir aussi Cantique, Graduel romain, Hymnes, Maîtrises, Missionnaires au XVIIe siècle, Orgue - Facture, Plain-chant, Religions et musique.

1608-1760 : une Église naissante
Cette Église, missionnaire et enseignante n'est pas vraiment d'obédience romaine. Si les titres des recueils de plain-chant rappellent leur fidélité aux principes du Concile de Trente et aux recommandations des papes, cette nouvelle Église est essentiellement gallicane. En ces temps où les urgences pratiques prévalent sur la théorie, les prêtres, missionnaires et religieux ou religieuses font flèche de tout bois et utilisent des livres de chant sans grand souci apparent pour leurs origines parisiennes, lyonnaises ou autres. À côté des motets en usage en Nouvelle-France, et dont Erich Schwandt a déjà bien rendu compte, la musique religieuse catholique repose sur le plain-chant, les cantiques en français, les messes composées et les pièces d'orgue tel le Livre d'orgue de Montréal.

1760-1838 : une Église soumise

Après la Conquête, l'Angleterre maintient les structures de l'Église à cette condition qu'elle relève uniquement de Rome. Mais les relations avec la France ne sont jamais réellement coupées : l'histoire de la musique religieuse au XIXe siècle en est la preuve. Malgré la baisse des effectifs religieux et de la dévotion, cette époque contient en germe un paradoxe : d'obédience officiellement romaine, mais en relation avec la France, l'Église, et dans une certaine mesure sa musique, se canadianisent.

1840-1896 : le renouveau

Les communautés religieuses sont à nouveau florissantes : en France, la Révolution et les événements politiques provoquent une nouvelle émigration de certaines congrégations : les Oblats arrivent au Canada en 1841; les Jésuites reviennent en 1842; les Clercs de Saint-Viateur suivent. Les établissements d'enseignement comme les séminaires (Québec, La Pocatière, Saint-Hyacinthe, Nicolet et Trois-Rivières) s'agrandissent et se multiplient. La province résonne des fêtes patronales, des fêtes d'obligation, des visites d'évêques, des événements religieux de tout ordre, des prières quotidiennes, des chapelets, des processions, des communions fréquentes, des dévotions particulières, des pèlerinages et des Te Deum.

Les sources au XIXe siècle

La musique religieuse catholique dans le Canada français du XIXe siècle se caractérise par trois grands ensembles de sources qui impliquent aussi l'usage de l'orgue : les ouvrages de plain-chant (et de polyphonie) européens, les recueils similaires édités au Québec et les compositions pour choeurs religieux et liturgiques.

Dans les institutions comme les séminaires de Québec et de Trois-Rivières ou le séminaire des Sulpiciens de Montréal, les prêtres érudits enseignent le plain-chant à l'aide des principaux ouvrages théoriques alors en vogue en France. L'ensemble des sources que nous possédons donne une idée très fidèle du plain-chant européen à l'époque de Berlioz ou de Liszt. Parmi elles on relève l'Encyclopédie Roret (1836, 1849), les méthodes, manuels du chantre, ouvrages théoriques de Le Besnier, Chaussier, Clément, d'Ortigues, Choron et Lafage. Les travaux de Lambillotte ou de dom Pothier sont bien connus.

Les livres de chants, de graduels, d'antiphonaires ou de vespéraux, arrivent de Paris et des différents évêchés français (Lyon, Poitiers, Dijon, Rennes), mais en nombre peu élevé. Les éditions dites de Ratisbonne (Allemagne), qui font longtemps obstacle aux travaux des moines de Solesmes, sont curieusement en nombre restreint, même quand elles prétendent proposer un « supplementum » pour le Canada, comme le Vesperale romanum de 1883 (Pustet).

À la fin du XVIIIe siècle, le besoin d'éditions nouvelles se fait sentir : « La pénurie des livres de chant liturgique, la diversité des manuscrits encore en usage et copiés parfois par des personnages (souvent) malhabiles [...] sont autant de causes qui laissent désirer une édition commune » (J. Pelletier, « Aperçu historique sur le chant liturgique de l'Église en Europe et dans la province ecclésiastique de Québec », thèse de doctorat, Université Laval 1933).

John Neilson publie donc les premières éditions de manuels de chants liturgiques : le Graduel romain (1800), le Processional [sic] romain (1801) et le Vespéral romain (1802). La préface du Graduel romain nous apprend que cette édition est faite conformément à celle des Livres de Lyon, considérée comme la plus correcte et la plus proche du vieux fonds grégorien. La première moitié du siècle voit paraître des éditions revues et augmentées de ces ouvrages auxquels vient s'ajouter en 1883 le premier Recueil de messes, d'hymnes, de proses et de motets...., dû à Alexis Mailloux du séminaire de Québec. Tous ces livres vont connaître de nombreuses rééditions jusqu'au XXe siècle.

À la suite du premier Concile provincial de Québec (1851), Augustin Côté imprime une nouvelle édition du Graduel, du Vespéral et du Processionnal (1854). Ces éditions, qui s'inspirent des livres de Malines, de Paris, de Reims et de Cambrai, se distinguent des précédentes et montrent l'influence croissante de la tonalité sur la modalité, entre autres par l'ajout de sensibles. Il est vrai que ces éditions se placent dans le cadre plus général de la période de transition que connaît la France et l'Europe, alors que coexistent deux courants : le premier qui veut rester dans l'esprit des éditions modifiées à la suite du Concile de Trente, le second qui se veut plus traditionnel, dans le cadre de la Commission dite de Reims et de Cambrai, et qui cherche à retourner aux manuscrits médiévaux. Ce renouveau est illustré en particulier par celui que dom Guéranger impose à Solesmes, et qui aboutit à l'édition de la Vaticane (1903).

Au Québec, les travaux de la seconde moitié du XIXe siècle reflètent cette période de transition. Pierre-Henry Bouchy, rédacteur des livres de 1854, n'hésite pas à souligner, dans la préface du Graduel, que cette édition « ne peut avoir qu'une durée limitée ». Le rapport de la Commission pour la réimpression des livres de chant (1861) trahit lui aussi la même indécision en soulignant les « mérites » et les « défauts » des deux éditions antérieures, laissant à l'évêque le fardeau de choisir. Finalement, en 1864, une édition très voisine de celle de 1854 sort des presses de Desbarats, éditeur à Québec.

La seconde moitié du XIXe siècle voit aussi de nombreuses rééditions de ces ouvrages, et la parution de nouveaux titres qui indiquent combien la pratique du plain-chant est alors répandue : Chants liturgiques extraits du Graduel, du Vespéral, du Processionnal (1860), le Paroissien noté (1883). La plupart de ces recueils conservent un répertoire caractéristique du Canada français : Messe royale et Messe du 2ème ton de Du Mont, ou Messe bordeloise et Office de la Sainte-Famille.

Proches de ce répertoire il faut signaler l'importance considérable des recueils de cantiques, qui ne sont pas toujours de conception « religieuse », mais où se mêle la notation du plain-chant.

Au cours du XIXe, ce plain-chant se compose en fait de plusieurs plains-chants :

- le « chant orthophone » (Le Besnier, Manuel du chantre, 1838, utilisé au séminaire de Québec) : récitatifs et psalmodie;

- le « plain-chant proprement dit » (Processionnal romain de la province ecclésiastique de Québec, 1854), réservé à la schola et aux solistes entraînés (antiennes, répons, pièces du propre : introïts, graduels, alléluias, offertoires, communions, etc.);

- le plain-chant peut être ou non mesuré, ce qui soulève la question des valeurs longues ou brèves, en rapport proportionnel ou fondé sur la métrique de la versification latine. C'est celui que nous proposent nombre de méthodes, comme la Méthode nouvelle de La Feillée (2e édition, Poitiers 1754) dont on retrouve plusieurs rééditions au Québec. Ce plain-chant « battu » est repris par nombre de méthodes du XIXe siècle dispersées partout dans la province;

- le « plain-chant musical » ou « chant figuré », mesuré et orné, des compositeurs baroques, dont les recueils imprimés au Canada conservent de nombreuses traces jusqu'au XXe siècle (messes de Du Mont, Messe bordeloise).

Par ailleurs, il faut mentionner les ouvrages destinés aux « sauvages », les cantiques en français, voire même les manuels destinés aux pèlerins.

Les recueils venus de France proposent souvent du plain-chant mis en polyphonie, en particulier en faux-bourdon, des oeuvres chorales originaires de France ou d'Italie et du plain-chant accompagné par l'orgue (D'Anjou, Nisard, Niedermeyer). Au Québec, après les oeuvres des Jean-Chrysostome Brauneis II ou Joseph-Julien Perreault, il faut signaler celles des compositeurs, organistes et maîtres de chapelle. Jean-Baptiste Labelle publie Le Répertoire de l'organiste en 1851, Pierre-Minier LagacéLes Chants d'Église, harmonisés pour l'orgue suivant les principes de la tonalité grégorienne (1860), Romain-Octave Pelletier l'Accompagnement du nouveau manuel de chants liturgiques de l'abbé [Cléophas] Borduas (1889). Antoine Dessane, tenant d'une musique chorale dramatique, proche de l'oratorio, et Ernest Gagnon sont divisés par une querelle restée célèbre à propos de l'accompagnement. Gagnon préfère suivre de près la récitation du texte liturgique et la psalmodie (Accompagnement d'orgue, v. 1903) dans un traitement syllabique du texte, un style homophonique, un accompagnement discret de l'orgue, qui fait écho à l'École de Niedermeyer de Paris et aux préceptes des sociétés Sainte-Cécile européennes.

Comme en Europe, le plain-chant du XIXe siècle est mêlé à un répertoire profane, voire théâtral, où l'opéra et le bel canto ont leur place; les harmonies et les fanfares, comme celle de la Société Sainte-Cécile au séminaire de Québec, prennent part à certains offices où apparaît encore le serpent.

1896-1940 : une Église triomphante

L'Église du Québec, qui obéit à la doctrine sociale et missionnaire de l'encyclique Rerum novarum de Léon XIII, est nationale et omniprésente. Le Québec est une forêt de clochers, de presbytères, de collèges. Les nouvelles fêtes (Sacré-Coeur, Christ-Roi) créées par Rome sont immédiatement adoptées. Léon XIII officialise la fête et l'office de la Sainte-Famille. C'est l'époque des grands rassemblements, des congrès eucharistiques, des pèlerinages, voire des croisades et des ligues.

Le Motu proprio de Pie X (1903) ordonne la disparition des chorales mixtes au profit des voix d'enfants et l'interdiction d'instruments autres que l'orgue. Le Canada français est un des rares pays au monde à suivre fidèlement ces directives. C'est l'âge d'or des chorales, du plain-chant et de la polyphonie de type Palestrina. L'enseignement du chant grégorien, les congrès, les revues (Revue Saint-Grégoire), la création de la Schola cantorum à Montréal (1915) en sont la preuve. L'abbaye de Saint-Benoît-du-Lac est fondée en 1912 et dom Georges Mercure publie publia en 1937 sa Rythmique grégorienne. Si l'« École de Solesmes », plus précisément celle de dom Mocquereau, s'impose, certaines pratiques du XIXe siècle persistent encore chez les chantres (lenteur des tempos, syllabes détachées dans le plain-chant, « bel canto », chant français).

Après 1940 : l'Église en question

En quelques décennies, l'état religieux s'effondre. Dans la grande bourrasque de l'après-Vatican II, l'Église, qui cherche de nouvelles avenues, cherche aussi sa musique. Les textes conciliaires sur la musique sont mal interprétés, le chant grégorien, la polyphonie, les chorales et les organistes, se voient évincés des églises. Commence alors une période confuse et pénible de conflits qui opposent les tenants d'une musique dite « populaire » (guitare, rock, chanson) (voir Musique pop canadienne-anglaise) aux défenseurs de la tradition ou simplement de la qualité musicale et du professionnalisme.

Cependant, on voit se dessiner au début des années 1990 quelques tendances qui font croire à un retour vers un équilibre plus serein. Les propositions de renouveau, voire de retour au chant grégorien, ne se fondent plus tant sur la nostalgie que sur des musiciens et organistes sérieusement formés et sur la diffusion des travaux musicologiques de Solesmes (dom Cardine, Graduale Triplex de Solesmes, 1979), de l'Institut pontifical de musique sacrée de Rome et de nombreux musicologues européens, américains et canadiens. La connaissance historique de la liturgie et du répertoire grégorien classique suscite maintenant des propositions sérieuses nées de la Semaine de Fribourg (1965), du Congrès de Strasbourg (1975) et du Congrès international de chant grégorien de Paris (1985) : réflexion sur la notion de participation des fidèles et sur la part professionnelle des scholas, des chantres et de l'orgue; sur la notion de modalité et de formes musicales; sur la place du latin et du français, etc. Créé en 1978, le Conseil national de musique pour la liturgie, organisme de consultation de l'Office national de liturgie, fait la promotion d'un répertoire de qualité pour la liturgie et favorise l'unité entre les milieux francophones du Canada. Voué à la recherche et à l'animation, il assure un lien entre les responsables de musique et de liturgie des diocèses.

À la suite des Lucien Brochu, Claude Lagacé et Antoine Bouchard, les spécialistes canadiens prônent un retour aux sources de la paléographie grégorienne. Des scholas sont actives : les Chanteurs Saint-Coeur-de-Marie de Québec dirigés par Claude Gosselin, le Choeur des moniales de Sainte-Marthe-sur-le-Lac, le Choeur grégorien de l'église Saint-Jean-Baptiste de Montréal dirigé par dom André Saint-Cyr, également responsable de la schola de Saint-Benoît-du-Lac, les Petits chanteurs de Trois-Rivières dirigés par l'abbé Claude Thompson, tous deux docteurs de l'Institut pontifical de musique sacrée de Rome, institut qui décerne en 1986 un doctorat h.c. à Clément Morin, infatigable pédagogue et chef de choeur à l'église Saint-Germain d'Outremont (Montréal), et qui, au Canada comme en Europe, répand le goût de la lecture des manuscrits anciens, assurant ainsi une relève convaincue et dynamique.

Au début du XXIe siècle, le chant grégorien est conservé dans la liturgie chez les moines de Saint-Benoît-du-Lac et les moniales bénédictines de Sainte-Marie-des-Deux-Montagnes. Quelques chœurs formés de laïcs relèvent le défi du chant grégorien et certains sont même appelés à orner la liturgie d'un plain-chant renouvelé selon les travaux paléographiques les plus récents.

Bibliographie

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Jules MARTEL, « Church music I », Music in Canada (Toronto, 1955).

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Pierre LAPALME, « Un "fond de poubelle" pour le pape », Le Devoir (Montréal, 6 sept. 1984).

« L'État de la musique religieuse au Québec » (entrevue d'Antoine Bouchard accordée à Jacques BOULAY), Sonances, IV (oct. 1984).

Nive VOISINE dir., Histoire du catholicisme québécois, 4 vol. (Montréal, 1984-1989).

Louis CYR, « Une musique liturgique pour aujourd'hui et demain : entre la continuité, la rupture et le défi de créer », Le Devoir (Montréal, 27 mars 1986).

Erich SCHWANDT, « Le Motet classique en Nouvelle-France : cent années d'adaptation (1652-1755) », Actes du colloque international de musicologie sur le grand motet français (Paris, 1986).

Anne-Marie LAPALME, « L'Utilisation liturgique des antiennes, psaumes et hymnes avant et après Vatican II : étude analytique », mémoire de M.Mus. (Université Laval, 1989).

Marie-Claire BOUCHARD, « Le Plain-chant au Québec au milieu du XIXe siècle : sa spécificité et le reflet du plain-chant en France », Cahiers de l'ARMuQ, 12 (avril 1990).

Marie-Thérèse LEFEBVRE, « The role of the church in the history of musical life in Quebec », Canadian Music: Issues of Hegemony and Identity, dir. Beverley Diamond and Robert Witmer (Toronto 1994).

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Anne-Marie POULIN, « Pour la suite de la "beauté": le parcours de Claude Gosselin, chanter de Québec depuis 1943 », From chantre to djak: Cantorial traditions in Canada, dir. Robert B. Klymasz (Hul, 2000).

Élisabeth GALLAT-MORIN et Jean-Pierre PINSON, La vie musicale en Nouvelle-France (Québec, 2003; révision en 2004).