Leçons de la guerre
Comme la plupart des Canadiens nés après la victoire de 1945 en Europe, Marc Garneau ne sait pas grand-chose de la guerre. Ses trois séjours dans l’espace lui ont par contre permis de constater à quel point certains apprentissages ne sont possibles que par l’expérience vécue.
« C’est une question de perspective », a-t-il dit. « Lorsqu’on voit la planète à partir de l’espace et la très fine membrane de l’atmosphère qui rend la vie possible sur terre, on est profondément touché. »
Dans le même ordre d’idées, selon Garneau, les Canadiens qui se sont battus et ont vécu la Première Guerre mondiale et la Deuxième Guerre mondiale ont appris des leçons sur la fragilité de la paix et la chance des sociétés libres qui ne sont pas menacées et ne vivent pas dans la peur et la violence – des leçons qui sont, pour beaucoup de gens, difficiles à comprendre aujourd’hui.
Soixante-ans de bonne fortune, a-t-il dit, ont fait oublier ces événements et ont transformé l’expérience de guerre passée et les responsabilités militaires actuelles du pays en simples « abstractions » pour beaucoup de Canadiens.
« Je crois que cela vient du fait que depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les Canadiens ne se sont jamais sentis menacés », a-t-il dit lors d’une entrevue à Montréal en 2005, quand il présidait l’Agence spatiale canadienne.
« Quand j’étais au collège militaire », rapporte-t-il, « le livre d’histoire que j’utilisais avait le sous-titre suivant : "l’histoire militaire d’un peuple non militaire". »
« Je crois que c’est dans la mentalité canadienne. Nous n’aimons pas parler de la guerre; nous ne nous sommes jamais vraiment sentis menacés, sauf à quelques rares exceptions, et il nous est désagréable de penser et d’imaginer ces événements. »
Officier de marine
Pourtant, avant la naissance de Marc Garneau en 1949, sa famille a vécu une longue et réelle expérience de guerre. Son grand-père, le colonel Gérard Garneau, a été blessé à deux reprises au cours de la Première Guerre mondiale à Passchendaele et Lens. Son père, le brigadier-général André Garneau, était un soldat d’infanterie de carrière qui s’est battu durant la Deuxième Guerre mondiale en France, en Belgique, en Hollande et en Allemagne.
« Mon père et mon grand-père étaient deux officiers militaires types de l’époque; intense sens du devoir, très grande loyauté envers leur pays, patriotisme au cœur sans être chauvin et sentiment d’être destinés à une noble profession », a dit Garneau.
Inspiré par cet exemple de service national, Garneau s’est engagé dans la marine en 1965. Contrairement à l’expérience militaire de son père en temps de guerre, l’époque bénie des Forces canadiennes, il s’est enrôlé au début d’une longue période de déclin. En 1967, après avoir vu leurs ressources réduites pendant plusieurs décennies, l’Armée canadienne, l’Armée de l’air et la marine ont été unifiées en une seule organisation par le gouvernement du premier ministre Pierre Elliott Trudeau.
Garneau a servi en tant qu’ingénieur naval dans les années 70 et 80, incluant un poste de trois ans sur le contre-torpilleur NCSM Algonquin. Cette période lui rappelle des moments difficiles pour toutes les personnes portant l’uniforme.
« Le soutien offert par le pays, particulièrement après la Deuxième Guerre mondiale, fut très différent de celui dont mon père et son père avaient pu profiter pendant leurs carrières militaires respectives », a-t-il dit.
« De mon temps, le sentiment d’indifférence se faisait sentir au sein de la population et se reflétait par une baisse des budgets. Je sentais bien que le souci de servir mon pays n’habitait personne d’autre que moi. »
« Toute cette indifférence ne m’a pas aigri, mais m’attristait beaucoup. »
Lorsque Marc Garneau s’est engagé dans l’armée, les Forces canadiennes comptaient 110 000 membres d’active.
« On n’en compte aujourd’hui que 55 000, la moitié. Il n’est pas faux de dire que nous en sommes aux questions de survie dans certaines régions, malgré la grande qualité des gens qui travaillent et déploient d’incommensurables efforts au sein des Forces. C’est vraiment désolant. » Garneau considère que cette négligence se voit dans la façon dont le Canada se souvient de ses anciens combattants.
« Je crois que nous témoignons du respect et de l’attention à nos anciens combattants lors des événements du jour du Souvenir. Par contre, si vous parlez des 60 000 Canadiens morts au combat tant lors de la Première Guerre mondiale que lors de la Deuxième Guerre mondiale, vous constaterez que cette réalité est, pour la plupart des gens, très abstraite », a dit Garneau. « La population ne réalise pas les efforts et les sacrifices qu’ont impliqués ces événements. »
Sens du devoir
Même s’il regrette le manque de fierté et de prestige des Canadiens à l’égard de leurs militaires, Marc Garneau continue de croire en la force fondamentale de ses concitoyens. Advenant une autre crise nécessitant un sacrifice national, il croit que les valeurs qui ont poussé un million de Canadiens à se porter volontaires lors de la Deuxième Guerre mondiale motiveraient à nouveau le pays.
« Les Canadiens savent faire la part des choses. Ils sont hautement motivés par leur sens de la justice. Si nous devons faire à nouveau face à des conflits, les gens uniront leurs forces. »