Sacrifice en temps de guerre
Même si Norman Jewison a établi sa carrière au milieu des vedettes, du culte de l’ego et de l’abondance d’Hollywood, le réalisateur le plus célèbre au Canada a grandi dans un monde bien différent : celui du rationnement des vivres, du sacrifice et de l’austérité.
Lorsque Jewison atteignit l’âge de 13 ans, la Deuxième Guerre mondiale faisait déjà rage et tous les habitants du Canada, certainement tous ceux de Toronto, lui semblait-il, mettaient de côté leurs rêves et prenait part au service collectif. L’effort de guerre était alors la seule chose qui comptait.
« La production globale du pays, qu’il s’agisse de nourriture, d’équipements ou de vêtements, était centrée sur la guerre », dit-il. « Comme il n’y avait pas de bas de satin, les femmes peignaient leurs jambes. C’était incroyable. Tout le monde s’impliquait et s’engageait à gagner cette guerre et à soutenir les troupes. Je n’ai jamais vu une société aussi concentrée. »
En 2005, âgé de 78 ans, Jewison, regardant par les fenêtres de son bureau ensoleillé, au-delà des gratte-ciel et des plages, se souvient des personnes de la classe ouvrière de la rive du lac où il a grandi. « Je regarde autour de moi et constate qu’il s’est écoulé tant d’années. Lorsqu’on revient en arrière, on se rend compte à quel point le pays a changé. »
Engagement dans la marine
Les proches de Norman Jewison ont presque tous servi en tant que réservistes de l’armée pendant la guerre. Son oncle Charlie était un sergent-major dans le 48e Highlanders et son père était un tireur d’élite des Fusiliers de la Reine. Jewison s’est engagé quant à lui dans les rangs des cadets de la marine à l’école secondaire, « une façon pour lui d’attirer l’attention des filles », et s’est porté volontaire dans la Marine royale du Canada à 17 ans.
Après une formation de base dans la ville de Québec, il a été envoyé à Cornwallis, en Nouvelle-Écosse, la plus importante base de formation navale de l’Empire britannique, où l’on trouve, peints sur le côté d’un édifice se trouvant juste à côté du terrain d’exercice, en format géant, trois mots qui expriment le sentiment du temps : « Apprendre à servir ».
La guerre en était à ses derniers mois lorsque Jewison parcourut la mer à titre de signaleur à bord d’une corvette canadienne escortant les bateaux marchands sur la côte est, du Maine jusqu’à Terre-Neuve où les cargos et les navires transportant le pétrole formaient des convois pour rejoindre l’Angleterre.
La bataille de l’Atlantique a été remportée en 1945 sans que Jewison ne puisse prendre part aux combats.
« J’étais déçu ne pas avoir eu l’occasion de traverser l’Atlantique et d’abattre quelques U-boots [sous-marins allemands] », a-t-il dit. « C’était vraiment ce que je voulais faire. »
Les U-boots, cependant, se promenaient toujours aux alentours des ports américains et canadiens et coulaient, à l’occasion, des bateaux dans le golfe du Saint-Laurent. « Nous étions conscients du danger et de la guerre qui faisait rage », a dit Jewison.
Son seul contact direct avec l’ennemi eut lieu en mai après l’abandon de l’Allemagne alors que le bateau sur lequel il se trouvait escorta un groupe de prisonniers allemands d’un sous-marin qui s’était approché d’un port canadien pour se rendre. « Les soldats étaient fatigués; leurs redoutables chandails à col roulé blancs étaient imbibés de pétrole et de sueur. Ils puaient. Lorsque nous les avons rassemblés dans le train en direction d’un camp d’internement se trouvant dans le Nord, je me souviens avoir remis un paquet de cigarettes à l’un d’entre eux. »
Confiance en nous
Plus tard, Norman Jewison est revenu à Toronto pour travailler pour la CBC, puis est ensuite parti pour Londres et Los Angeles, où il a établi sa réputation de réalisateur. On compte parmi ses films les plus connus Dans la chaleur de la nuit, Jesus Christ Superstar, Éclair de lune et Crimes contre l’humanité.
Lorsqu’il est revenu à Toronto à la fin des années 70, le Canada avait, selon lui, perdu cette unanimité et cette confiance collective qui avaient su rassembler la population du pays pendant la guerre et l’alimenter par la suite.
« Le Canada a atteint un certain degré de maturation et s’est découvert lors de la Deuxième Guerre mondiale. Je ne sais pas si le sacrifice d’autant de jeunes hommes constitue une bonne façon de se découvrir, mais je crois que nous nous sommes tenus debout pour nos croyances; nous nous sommes battus contre le fascisme et avons fait plus que notre part. »
« Le Canada avait un sens de la passion et un sens de la vie partagé par tous que je n’ai jamais revu depuis », a-t-il affirmé. « J’observe les gens et je sens qu’ils ne savent plus qui ils sont. »
« Mais, regardez ce que nous avons accompli dans l’histoire, malgré notre petit nombre et ce que nous avons accompli en temps de guerre. »
« Je crois que c’est encore ce dont nous avons besoin aujourd’hui… avoir confiance en nous. »
Il y a plusieurs années, Jewison s’est rendu en France avec ses fils adolescents pour visiter les cimetières des soldats canadiens. Il leur a d’abord fait visiter la crête de Vimy, puis le cimetière canadien en Normandie dans les champs au-delà de Juno Beach pour qu’ils comprennent, comme l’a dit Jewison « l’ampleur des sacrifices de notre petit, mais héroïque pays ».