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Olivier Le Jeune

Nous ne connaîtrons peut-être jamais le nombre exact de navires britanniques ayant transporté des esclaves du continent africain vers le Nouveau Monde (voir Esclavage des Noirs au Canada). La première mention d’esclaves noirs africains en Nouvelle-France concerne toutefois la vente d’un garçon originaire ou bien de Madagascar, ou bien de Guinée. En 1629, l’enfant d’environ six ans est amené en Nouvelle-France à bord d’un navire britannique comme esclave de sir David Kirke, commerçant et corsaire à la solde de Charles Ier, roi d’Angleterre. Il est ensuite vendu à un commis français nommé Olivier Le Baillif, puis remis à Guillaume Couillard. En 1633, le garçon est baptisé et reçoit le nom d’Olivier Le Jeune. Il restera en Nouvelle-France tout au long de sa vie jusqu'à sa mort le 10 mai 1654.

Le navire négrier britannique Brookes

Premier esclave noir recensé en Nouvelle-France

Sir David Kirke et ses frères ont pour mission de mener des raids contre les Français dans le Nouveau Monde. Ceux-ci ont pour raison d’être d’affaiblir l’emprise de la France sur la colonie. En juillet 1629 à Québec, les frères Kirke parviennent à obtenir, sans effusion de sang, la reddition des colons français assiégés et affamés. La ville revient toutefois sous la gouvernance française en 1632. Avant de repartir pour l’Angleterre en juillet 1632, sir David Kirke vend son jeune esclave, alors âgé d’environ 9 ou 10 ans, à Olivier Le Baillif, un commis français qui collabore avec les Anglais. Le prix d’achat de 50 écus correspond à ce qu’un ouvrier qualifié gagne alors en six mois.

Cette transaction fait d’Olivier Le Jeune (comme il sera baptisé plus tard) le premier esclave officiellement vendu en Nouvelle-France. Lorsqu’Olivier Le Baillif quitte le pays par la suite, le jeune esclave passe aux mains de Guillaume Couillard. On ignore toutefois s’il est vendu ou donné à celui-ci.

Premier élève noir en Nouvelle-France

En marge de son travail à la propriété de Guillaume Couillard, Olivier Le Jeune est envoyé à l’école, où il reçoit un enseignement religieux catholique du père jésuite Paul Le Jeune. Le journal intime du père Le Jeune donne une idée de la façon de penser du jeune garçon :

Guillemette Hébert [la femme de Guillaume Couillard] […] lui a demandé s’il voulait devenir chrétien et être baptisé, pour qu’il puisse être comme nous, et il a dit oui; mais il a aussi demandé si nous allions l’écorcher vif pendant la cérémonie du baptême; il devait avoir vraiment peur, car il avait vu de pauvres sauvages écorchés. Et quand il nous a vus rire […] il a répondu dans son patois : « Vous dites que par le baptême je deviendrai comme vous : je suis noir et vous êtes blancs, alors vous devrez m’écorcher pour que je devienne comme vous », après quoi nous avons commencé à rire de plus belle; voyant qu’il s’était trompé, il s’est mis à rire avec nous.

Le 14 mai 1633, au bout de nombreux mois de tutorat, le garçon est baptisé Olivier Le Jeune, le prénom « Olivier » venant du commis Olivier Le Tardif, et le nom de famille « Le Jeune » venant du père jésuite Paul Le Jeune. Olivier Le Jeune devient ainsi le premier élève noir inscrit dans une école au Québec.

Premier prisonnier noir en Nouvelle-France

L’éducation d’Olivier Le Jeune ne constitue pas sa dernière mention en Nouvelle-France. En 1638, Olivier Le Jeune se retrouve en cour, accusé de diffamation pour avoir prétendument répandu une fausse rumeur au sujet de Nicolas Marsolet, un interprète au service de Samuel de Champlain. À ce moment-là, Olivier aurait eu environ 15 ans. Selon l’historien Marcel Trudel, Oliver Le Jeune affirme que Nicolas Marsolet a reçu une lettre du collaborateur Olivier Le Baillif, qui à l’époque est ouvertement dénoncé comme un traître. Outré, Nicolas Marsolet poursuit Olivier Le Jeune. À la suite d’une enquête, Olivier Le Jeune est contraint d’admettre devant Guillaume et Guillemette Couillard que son affirmation était sans fondement. Le 20 août 1638, le tribunal ordonne à Olivier Le Jeune de demander pardon à Nicolas Marsolet, tout en le condamnant à être « enchaîné pendant vingt-quatre heures ». Olivier Le Jeune devient ainsi le premier noir, et le premier d’âge mineur, à être emprisonné au Québec.

L’héritage d’Olivier Le Jeune : un cas unique

Jusqu’à sa mort en 1654, quand il aurait été au début de la trentaine, aucune autre mention d’Olivier Le Jeune n’a été mise à jour. Son extrait d’inhumation, daté du 10 mai 1654, le catégorise comme « domestique ». En tout et partout, il aurait passé quelque 25 ans de sa vie sous ce statut de domestique. Le terme « domestique » est couramment employé dans les documents du Québec de cette époque pour désigner les esclaves. Les historiens ignorent toutefois si à sa mort Olivier Le Jeune est toujours esclave appartenant aux Couillard ou plutôt homme libre ayant choisi de continuer à travailler pour eux. En tant que premier esclave, élève et prisonnier noir de l’histoire du Québec, il constitue, sans l’ombre d’un doute et comme l’a souligné l’historien Marcel Trudel, « un cas unique ».

En 2020, le gouvernement du Québec désigne Olivier Le Jeune en tant que personnage historique. Le gouvernement fédéral le reconnaît comme personnage d'importance historique nationale en 2022.