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Paul-Émile Borduas

Paul-Émile Borduas, peintre (Saint-Hilaire, Qc, 1er nov. 1905 -- Paris, France, 22 févr. 1960). Chef de file du mouvement Automatiste et auteur principal du manifeste Refus global, Paul-Émile Borduas a une profonde influence sur le développement des arts au Québec.
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Paul-Émile Borduas, 1957, huile sur toile (avec la permission du Musée des beaux-arts de Montréal).
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Paul-Émile Borduas, 1956, huile sur toile (avec la permission du Musée des beaux-arts du Canada).
Maurice Gagnon
Huile sur toile de Paul-Émile Borduas, 1937 (avec la permission de la National Gallery of Canada/Musée des Beaux-Arts du Canada, Ottawa).\r\n \r\n
 La Tahitienne
Huile sur toile de Paul-Émile Borduas, 1941 (avec la permission de la National Gallery of Canada/Musée des Beaux-Arts du Canada, Ottawa).
Les arbres dans la nuit
Huile sur toile de Paul-Émile Borduas, 1943 (avec la permission de la National Gallery of Canada/Musée des Beaux-Arts du Canada, Ottawa).\r\n \r\n\r\n

Paul-Émile Borduas, peintre (Saint-Hilaire, Qc, 1er nov. 1905 -- Paris, France, 22 févr. 1960). Chef de file du mouvement Automatiste et auteur principal du manifeste Refus global, Paul-Émile Borduas a une profonde influence sur le développement des arts au Québec. Il a la chance, dans sa jeunesse, de rencontrer Ozias Leduc, qui habite le rang des Trente à Saint-Hilaire. Celui-ci lui fit faire son premier apprentissage de peintre en l'emmenant avec lui à Sherbrooke, à Halifax et à Montréal (baptistère de l'église Notre-Dame et église des Saints-Anges à Lachine) et en l'initiant à la décoration d'église. Ozias Leduc l'encourage à s'inscrire à l'École des beaux-arts de Montréal (1923-1927) et obtient de Mgr Olivier Maurault, alors curé de Notre-Dame à Montréal, les crédits nécessaires pour l'envoyer ensuite étudier en France (1928-1930), aux Ateliers d'art sacré, dirigés par Maurice Denis et Georges Desvallières à Paris. Ce premier contact avec l'Europe est extrêmement important pour le jeune Borduas, lui faisant découvrir les peintres de l'école de Paris, de Pascin à Renoir. Cependant, contrairement à son confrère Alfred Pellan, qui passera 14 ans à Paris, Borduas n'a pas alors de contact avec les surréalistes.

De retour au Canada, il ne peut se lancer dans la carrière de décorateur d'église, à l'instar de son maître « Monsieur Leduc » et pour laquelle il est parfaitement préparé, à cause de la crise économique. Il doit se rabattre sur l'enseignement du dessin dans les écoles primaires de la métropole. En 1937, il obtient un poste à l'École du meuble, poste tout de même plus à la hauteur de ses aspirations. Durant toute cette période, il peint peu et détruit beaucoup de tableaux. Sa peinture est encore figurative et trahit les influences de ses maîtres parisiens, de James W. Morrice et finalement de Cézanne et de Rouault. La découverte du surréalisme et la lecture de « Château étoilé » d'André Breton, un texte qui va devenir le chapitre V de L'Amour fou, mais que Borduas lit dans la revue Minotaure est déterminante pour la suite de son développement. Breton y cite le fameux conseil de Léonard de Vinci, enjoignant ses élèves à regarder longuement un vieux mur pour y voir apparaître dans ses craquelures et ses taches des formes que le peintre n'a qu'à copier par la suite. Cela donne l'idée à Borduas de considérer la feuille de papier ou la toile sur laquelle il veut peindre comme une sorte d'écran paranoïaque. En y traçant au hasard (« automatiquement », sans idée préconçue) quelques traits, Borduas recrée le « vieux mur » de Léonard. Il n'a alors qu'à y découvrir des formes, les compléter, puis dans une seconde étape les détacher du fond par la couleur. L'automatisme pictural est né.

Paul Borduas, 1946.
Crédit : Ronny Jaques/Biblioth\u00e8que et Archives Canada/e010957743.

Le premier tableau automatiste de Borduas, s'il faut l'en croire, est Abstraction verte (1941). En 1942, il expose 45 « oeuvres surréalistes », des gouaches, au Théâtre de l'Ermitage, à Montréal. Cette exposition remporte un franc succès. L'année suivante, il tente de transposer à l'huile les effets obtenus dans les gouaches, non sans introduire des changements importants. À la dichotomie dessin/couleur encore présente dans les gouaches, il oppose désormais celle du fond et des objets en suspension devant le fond, comme dans Viol aux confins de la matière (1943).

On peut dire qu'à partir de ce moment, le schéma principal de ses compositions est le paysage, entendu dans son sens le plus large, de manière à s'accommoder de visions intérieures, plus proches du rêve et de l'inconscient que de la réalité extérieure. Cette nouvelle production est présentée à la Dominion Gallery, à Montréal (1943), mais ne rencontre pas autant d'enthousiasme chez les collectionneurs que les gouaches. C'est aussi l'époque où son influence sur les jeunes, tant ses étudiants de l'École du meuble que ceux de l'École des beaux-arts ou du Collège Notre-Dame, va grandissant. C'est ainsi qu'il devient le chef de file du mouvement automatiste, exposant en 1946 et 1947 avec ses jeunes amis dans des endroits de fortune, successivement sur la rue Amherst, chez Madame Gauvreau, au 75 ouest rue Sherbrooke, à Montréal et, finalement, à la petite Galerie du Luxembourg, à Paris. C'est dans le cadre de l'une de ces expositions qu'il présente son tableau Sous le vent de l'île (1947). On y voit un continent plutôt qu'une île, au dessus duquel virevolte dans l'espace comme des fragments d'objets. Cette action culmine dans la publication, en 1948, du Refus global, un manifeste collectif mais dont les textes principaux sont rédigés par Borduas. La vieille idéologie de conservation (Notre maître le passé, Je me souviens...) y est dénoncée, et la nécessité d'une plus grande ouverture aux courants de la pensée universelle y est proclamée.

Ses attaques contre la religion catholique et le nationalisme de droite de Maurice Duplessis lui valent la perte de son emploi. Il tente de justifier son action dans un pamphlet autobiographique, Projections libérantes (1949) mais c'est peine perdue. Il ne reviendra jamais à l'enseignement. Il ne lui reste que sa peinture pour survivre. Les conditions difficiles provoquées par son renvoi de l'École du meuble l'amènent à se séparer de sa famille et à songer à l'exil. Il vend sa maison de Saint-Hilaire et se prépare à partir pour New York. On est cependant alors en plein maccarthysme, et on lui fait de la misère aux frontières, parce qu'on le soupçonne de sympathie pour les communistes. Il a en effet donné un interview à Gilles Hénault, pour la revue communiste Combat. Si certains de ses disciples, comme Jean Paul Mousseau ont été attirés par le communisme, Borduas ne l'a jamais été. Il consacre d'ailleurs un paragraphe du manifeste, intitulé « Règlement final des comptes » à prendre ses distances avec le communisme.

Borduas vit à New York de 1953 à 1955, y rencontrant des conditions moins étouffantes qu'au Québec. Sa peinture connaît un épanouissement extraordinaire au contact de l'expressionnisme abstrait américain, dont il visite les expositions. Il y rencontre quelques expressionnistes abstraits, dont apparemment Franz Kline. Les signes s'envolen (1953), dont le titre est symbolique du sentiment qui l'anime, annonce la dissolution de l'objet dans sa peinture. Celle-ci devient de plus en plus matérielle, le peintre ne travaillant plus qu'à la spatule. Sa première exposition à New York se fait à la Galerie Gisèle Passedoit, mais c'est finalement Martha Jackson qui représente Borduas à New York. Pendant le même temps, son élève Jean Paul Riopelle expose déjà à la Pierre Matisse Gallery, une galerie beaucoup plus prestigieuse. Même si la critique américaine a conscience que Borduas a été le « professeur » de Riopelle et va jusqu'à saluer en lui « le Courbet du XXe siècle », elle s'enthousiasme davantage pour la peinture de Riopelle, ce qui contribua grandement à les éloigner l'un de l'autre.

Espérant être mieux reconnu en France, Borduas part pour Paris en 1955. Toutefois, cet exil parisien lui est particulièrement pénible. Il n'y rencontre pas le succès espéré, n'obtenant sa première exposition solo à Paris qu'en 1959 à la Galerie Saint-Germain, donc quatre ans après son arrivée et un an avant sa mort. Sans beaucoup d'amis sauf Michel Camus, Marcelle Ferron et de rares visiteurs canadiens comme les collectionneurs Gisèle et Gérard Lortie, Borduas s'ennuie à Paris et sa santé décline. Ses derniers tableaux sont tout en contraste de noir et de blanc, avec parfois une autre couleur, comme dans L'Étoile noire (1957), probablement son chef-d'oeuvre. Plus près de Piet Mondrian, de Pierre Soulages ou de Franz Kline à Paris, Borduas s'est détaché complètement du surréalisme, n'ayant gardé de l'automatisme que sa manière spontanée d'appliquer la peinture sur son support. Ses dernières toiles, calligraphiques pour ainsi dire, reflètent son projet (jamais réalisé) d'un nouvel exil, au Japon cette fois. Bien que sa production demeure recherchée par les collectionneurs canadiens (les marchands de tableaux Max Stern de la Dominion Gallery de Montréal et G. Blair Laing de la galerie torontoise du même nom le visitent et lui achètent des tableaux), Borduas n'arrive pas à percer le marché européen. De plus en plus seul, rêvant de revenir au pays, Borduas meurt à Paris en 1960, laissant derrière lui une oeuvre considérable particulièrement bien représentée dans les musées canadiens (Musée des beaux arts du Canada à Ottawa, Musée des beaux-arts de l'Ontario, Vancouver Art Gallery, Musée d'art contemporain et Musée des beaux arts de Montréal).

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