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Peinture : 1840-1940

En même temps que Krieghoff cède à la fascination de la vie quotidienne au Québec, un cas semblable se produit dans l'Ouest du pays.
\u00ab Maple Woods, Algoma \u00bb
A.Y. Jackson, 1920, huile sur toile (avec la permission du Musée des beaux-arts du Canada).
\u00ab Under the Cliffs, Port Stanley \u00bb
Lucius O'Brien, 1873, aquarelle (avec la permission de Mme Eigil Simmelhag).
Portrait de Mme Oscar Taylor
Lawren Harris, 1920, huile sur toile ( avec la permission du Musée des beaux-arts du Canada).
\u00ab Laurentian Splendour \u00bb
John A. Fraser, vers 1867, aquarelle (avec la permission du Musée des beaux-arts du Canada).
\u00ab Laurentian Landscape \u00bb
Lawren Harris, 1913-1914, huile sur toile (avec la permission de R.M. Hogarth, à Toronto).
\u00ab Pin, Le \u00bb (peinture)
Tom Thomson, huile sur toile, 1916-1917 (avec la permission du Musée des beaux-arts du Canada).
\u00ab Habitant Farm \u00bb
Cornelius Krieghoff, 1856, huile sur toile. Ce genre de scène pittoresque a fait de Krieghoff le peintre le plus populaire de son époque au Canada (avec la permission du Musée des beaux-arts du Canada).
\u00ab Wharf on the St. Lawrence \u00bb
James Wilson Morrice, vers 1900, huile sur toile (avec la permission du Musée des beaux-arts du Canada).
\u00ab Devotion \u00bb
Paul Peel, 1881, huile peinture sur toile (avec la permission du Musée des beaux-arts du Canada).
\u00ab Clouds, Lake Superior \u00bb
Lawren Harris, 1923, huile sur toile (avec la permission de la Winnipeg Art Gallery).
\u00ab L
Ozias Leduc, 1892-1899, huile sur toile (avec la permission du Musée des beaux-arts du Canada).
September Gale, Georgian Bay
Arthur Lismer, 1920, huile sur toile, peinture terminée (legs de Vincent Massey).

Peinture : 1840-1940

Avant les années 1840, la peinture canadienne est fortement influencée par les conventions et les goûts européens. Il n'y a pas de changement majeur après cette période, mais le contenu, de plus en plus canadien, influencera grandement la pratique artistique au Canada. Le peintre romantique canadien le plus populaire et le plus prolifique demeure CorneliusKRIEGHOFF qui, après 1841, peint plusieurs scènes des alentours du Saint-Laurent. Certaines sont humoristiques, d'autres anecdotiques. D'un tempérament exubérant, Krieghoff, après avoir vu la peinture de genre à la Düsseldorf Academy, transforme ses portraits de la vie quotidienne en tableaux d'une immense popularité. Il s'intéresse depuis toujours aux Indiens et, comme sa femme est d'origine française, il connaît intimement le style de vie des habitants. Il est intéressant de noter que le soutien qu'obtient Krieghoff pour son travail lui vient de ses protecteurs canadiens-anglais, car la bourgeoisie française de l'époque est offusquée par ses tableaux, qu'elle considère comme une caricature vulgaire de la vie du peuple et une insulte à leur mode de vie.

En même temps que Krieghoff cède à la fascination de la vie quotidienne au Québec, un cas semblable se produit dans l'Ouest du pays. L'immigrant suisse, PeterRINDISBACHER , qui arrive à laCOLONIE DE LA RIVIÈRE ROUGEen 1821, à l'âge de 15 ans, est tellement impressionné par le style de vie à Fort Garry qu'il peint une série d'aquarelles remarquables. Celles-ci représentent des Indiens vêtus de costumes étranges ainsi que des bisons dans les prairies en hiver. Vingt ans plus tard, PaulKANE devient célèbre pour ses tableaux dans lesquels il représente l'Ouest et ses habitants. Il n'est au départ qu'un petit portraitiste de l'Ontario qui aspire à devenir un grand peintre et part étudier en Europe. Inspiré par les portraits d'Amérindiens des États-Unis qu'expose alors le peintre George Catlin à Londres, Kane envisage de réaliser un projet similaire pour représenter les autochtones du Canada. Au cours des années 1846-1848, lors d'une excursion dans des régions sauvages qui le mène, en compagnie de marchands de fourrures, de l'Ontario jusqu'à Fort Vancouver, il fait des croquis de paysages et de tribus qu'il rencontre sur sa route. Plus tard, il produira 100 toiles à partir de ces esquisses et publiera le récit de ses voyages. Kane inspire d'autres artistes. Ainsi, en 1872, FrederickVERNER entreprend un voyage semblable au cours duquel il réalise des croquis d'Indiens et de bisons. De son côté, William G.R.HINDpart en expédition pendant une saison entière avec son frère Henry, un scientifique, pour explorer le Labrador. Plus tard, il se joint auxOVERLANDERSde 1862, un groupe de chercheurs d'or qui se dirigent par voie de terre vers des mines récemment découvertes en Colombie-Britanique. Il immortalisera ces aventures.

Avant la Confédération, la peinture de style documentaire domine au Canada. Elle représente tantôt les frontières, tantôt les gens de la haute société dans les villes de garnison ou encore les paysages merveilleux des nouvelles contrées. Jusqu'à la fin du XIXe siècle, l'atmosphère est à la croissance et à l'optimisme. On assiste à l'industrialisation, à la rébellion de Riel et au développement de l'Ouest canadien. Pourtant, rares sont les artistes de l'époque qui représentent cette évolution. À mesure que laPHOTOGRAPHIEs'investit dans la documentation sociale, les artistes victoriens se tournent vers le monde idéalisé du paysage rural. Ils fondent des sociétés d'art professionnel grâce auxquelles ils peuvent exposer, promouvoir et vendre leurs oeuvres, le plus souvent à Montréal et à Toronto.

Plusieurs artistes de talent travaillent dans les studios de WilliamNOTMAN, un photographe de Montréal qui, dès les années 1860, s'est taillé une réputation internationale avec ses portraits et qui obtient, par la suite, une reconnaissance encore plus grande grâce à ses paysages et à ses photographies de genre. Ils possèdent leur propre salle d'exposition et leur collection d'oeuvres d'art, et leur compagnie devient, quoique officieusement, la plus importante école d'art du pays. Il existe une atmosphère de camaraderie entre les membres du groupe qui, dans leurs temps libres, organisent des séances de peinture ou partent en excursion pour dessiner les lacs et les monts des Cantons de l'Est et des environs. JohnFRASERchef de file reconnu, ouvre une succursale à Toronto et aide à la mise en place de l'Ontario Society of Artists. Il prévoit d'ailleurs un espace dans la succursale du studio Notman afin de présenter, en 1873, la première exposition annuelle de la société. Parmi ses associés figurent son beau-frère, Henry Sandham, qui fondera plus tard une succursale du studio Notman à Saint-Jean, de même qu'AllanEDSON, formé à Paris, et Otto Jacobi, dont la carrière a commencé en Allemagne.

La recherche du paysage canadien à laquelle s'adonnent les photographes et artistes du studio Notman est étroitement liée au développement du chemin de fer qui ouvre l'accès à un nouveau territoire. Alors qu'auparavant les peintres voyageaient en train à partir de Montréal pour croquer des scènes du Québec, jusqu'à la vallée de la Matapédia, ils peuvent désormais élargir leur vision grâce à la ligne transcontinentale du Canadien Pacifique qui leur fait traverser les Prairies et les Rocheuses. Sir WilliamVAN HORNE, président de la compagnie de chemin de fer et lui-même collectionneur d'oeuvres d'art, fournit des laissez-passer aux artistes afin qu'ils produisent du matériel publicitaire pour le Canadien Pacifique. Notman envoie une équipe de photographes dans les trains pour rendre compte en détail de la progression de la construction du chemin de fer à travers les montagnes. Fraser et d'autres artistes associés à Notman se rendent dans l'Ouest afin de peindre des aquarelles et des huiles de ces paysages magnifiques. Ces tableaux, techniquement exceptionnels et emprunts d'un réalisme photographique, sont accueillis dans de nombreuses expositions jusqu'à la fin du siècle.

En 1880, grâce aux efforts du Gouverneur général, le marquis de LORNE et de sa femme, la princesse Louise, l'ACADÉMIE ROYALE DES ARTS DU CANADA (ARC) est créée, conférant ainsi un nouveau prestige à l'art canadien. LuciusO'BRIEN, premier président de l'ARC, s'enthousiasme pour cette nouvelle exploration du visage du Canada. Il parcourt la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, puis dès que le chemin de fer rejoint le Pacifique, il voyage vers l'Ouest pour peindre les montagnes et la région de Vancouver. Quelques-unes de ses plus belles toiles, notamment les magnifiques vues du Québec ou son lever du soleil sur le Saguenay, introduisent la luminosité que l'on retrouvera par la suite dans les peintures américaines de la Hudson River School.

Modèles européens

Durant les années 1880 et 1890, l'Europe redevient le modèle à suivre pour les artistes canadiens, qui aspirent à faire des études dans les écoles parisiennes et à exposer au Salon de Paris. Les jeunes Canadiens admirent non pas l'avant-garde, mais les maîtres français et anglais les plus conservateurs, qui peignent des tableaux épiques dans un style naturaliste hautement raffiné. WilliamBRYMNERet RobertHARRIS suivent cette voie et, à leur retour au Canada, enseignent « à la française » à Montréal et à Toronto. En 1883, le gouvernement fédéral commande à Harris un tableau des Pères de la Confédération. PaulPEEL est acclamé à Paris et au Canada pour ses études de baigneurs et d'enfants dont on ne reconnaît pas le style canadien, tandis que GeorgeREIDa recours aux mêmes traditions monumentalistes dans ses scènes figuratives de l'Ontario rural, comme on peut le constater avec Mortgaging the Homestead.

HomerWATSONet OziasLEDUC, deux jeunes peintres qui s'inspirent du Canada rural, ne visitent l'Europe qu'après avoir été reconnus comme artistes chez eux. Quand la reine Victoria acquiert le Pioneer Mill pour l'ajouter à sa collection d'oeuvres d'art, Watson devient vite une célébrité. Leduc vit à Saint-Hilaire, au Québec. Pour subsister, il décore des églises, mais pour sa propre satisfaction personnelle, il peint des natures mortes, des personnages et des paysages. Entre-temps, à Paris, le style narratif doucereux du Salon subit les attaques de plus en plus fortes des artistes innovateurs des écoles impressionnistes et des écoles de Barbizon et de La Haye. HoratioWALKER est influencé par la peinture naturaliste et, à son retour au Canada, ses scènes rurales inspirées par l'ÎLE D'ORLÉANS lui valent des éloges dans toute l'Amérique du Nord. En 1910, la Galerie nationale du Canada verse 10 000 dollars pour Oxen Drinking.

MauriceCULLEN et James WilsonMORRICE figurent parmi les premiers artistes à appliquer les principes de l'impressionnisme français aux paysages canadiens. Cullen attire l'attention à Paris, puis revient au Québec à un âge avancé. La critique est acerbe envers lui et il vend peu. Il exerce cependant une grande influence en enseignant à la Société des Arts de Montréal. Pour sa part, Morrice, dont la fortune lui garantit une indépendance, passe une grande partie de sa vie à Paris. Il voyage beaucoup, fréquente Henri Matisse et est influencé par James Whistler. Entre 1907 et 1915, Cullen, Morrice et Marc-Aurèle de FoySUZOR-COTÉservent de modèles aux jeunes artistes qui viennent voir leurs oeuvres aux expositions annuelles du Canadian Art Club de Toronto.

Nouveau mouvement paysagiste

Dans les années qui précèdent immédiatement laPREMIÈRE GUERRE MONDIALE, l'émergence du nouveau mouvement paysagiste à Toronto modifie radicalement la peinture canadienne. TomTHOMSON est mort en 1917, mais les autres peintres, FrankCARMICHAEL, Lawren HARRIS, A.Y. JACKSON, Franz JOHNSTON, Arthur LISMER, J.E.H. MACDONALD et F.H.VARLEY , organisent, en 1920, le première exposition duGROUPE DES SEPT. Le style du Groupe dominera l'art canadien pendant les 30 années suivantes. Il s'agit d'une peinture audacieuse et imaginative, aux couleurs éclatantes et tendant vers un maniérisme postimpressionniste. C'est aussi un mouvement artistique qui suscite des controverses amères et des ferveurs patriotiques, qui capte l'intérêt du public mais qui laisse peu de place à l'émergence de styles artistiques différents. Dissous en 1933, le Groupe fait place à une autre association plus vaste composée d'artistes de tout le pays, le Canadian Group of Painters, qui encourage la peinture figurative et le modernisme aussi bien que le style paysagiste.

Deux artistes qui travaillent à la même époque que le Groupe des Sept, EmilyCARRet DavidMILNE, ne seront pas appréciés avant la fin des années 30. Demeurés fidèles au milieu où ils ont grandi, ils travaillent dans un quasi-isolement, poursuivant leur propre cheminement artistique dans la pauvreté financière et la non-reconnaissance de leur travail. À la suite d'un voyage en Angleterre et en France, Carr est touchée par les couleurs vives et les vigoureux coups de pinceau des Fauves. À son retour, elle peint les forêts denses du Pacifique ainsi que des villages et des totems indiens avec une exubérance qui exprime la célébration de la nature et de ses mystères. Contrairement à Carr qui peint avec encore plus de dynamisme après avoir rencontré le Groupe des Sept, Milne ne partage pas la conscience nationale du Groupe et s'intéresse plutôt à l'expression esthétique individuelle et aux problèmes liés à son art. Il part étudier à New York et participe au célèbre Armory Show de 1913 qui introduira le modernisme en Amérique. Par la suite, dans les Catskills et dans diverses régions rurales isolées du Sud de l'Ontario, il expérimente des formes évocatrices, des contrastes de ton et des plans picturaux singuliers, tout en simplifiant sa technique.

Plusieurs excellents peintres sont complètement ignorés à cette époque, d'abord à cause de la Crise des années 30, mais aussi en raison de l'importance du Groupe des Sept dans le milieu artistique canadien. Les écoles et les sociétés d'art contrôlent l'accès des artistes aux expositions, l'acquisition d'oeuvres d'art nouveau est rare, et le public autant que les institutions expriment de la réticence ou même de l'indifférence face au changement. Lionel LeMoineFITZGERALDpeint des scènes intimes et douces ayant pour cadre Winnipeg. CharlesCOMFORT , avec le portrait de son ami Carl SCHAEFER, intitulé Young Canadian, représente encore mieux cette époque. En février 1927, l'Arts and Letters Club de Toronto expose des tableaux de BertramBROOKER. C'est la première exposition d'art abstrait au Canada. Un peu plus tard cette même année, Lawren Harris aide à organiser une exposition d'art abstrait européen au Musée des beaux-arts de Toronto, mais celle-ci est ridiculisée, tant par la critique que par les artistes contemporains. Il faudra attendre la Deuxième Guerre mondiale et une nouvelle génération d'artistes québécois avant que la peinture canadienne ne connaisse un nouvel essor.

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