Certains dignitaires, explorateurs et dirigeants politiques ou religieux ont contribué à l’histoire de la musique canadienne en mettant à profit leur propre talent, en tant que mécènes ou plus passivement comme dédicataires de compositions canadiennes. Une étude rétrospective de la musique et de ses rapports avec des personnages de l’histoire du Canada peut être trouvée dans l’article Histoire du Canada dans la musique.
XVIIe siècle
Dans Histoire du Montréal, François Dollier de Casson décrit Paul de Chomedy de Maisonneuve, fondateur (1642) et premier gouverneur de Montréal, comme un musicien : « [la providence divine] le tint toujours dans une telle crainte des redoutables jugements derniers que pour n’être pas obligé d’aller dans la compagnie des méchants se divertir, il apprit à pincer du luth, afin de passer son temps seul lorsqu’il ne se trouverait pas d’autres camarades » (Dollier de Casson, p. 9). Selon Eric McLean, ce luth serait maintenant en possession des Sulpiciens.
XVIIIe siècle
Claude-Thomas Dupuy, intendant de la Nouvelle-France de 1726 à 1728, est reconnu pour son amour de la musique. Dans la biographie Claude-Thomas Dupuy (Montréal, 1969), Jean-Claude Dubé affirme qu’en plus d’importer des instruments au Canada, l’intendant offre des performances et possède une grande culture musicale, sa collection comprenant de nombreux motets de Campra, cantates de Clérambault et opéras de Lully.
Semblable à Claude-Thomas Dupuy dans son amour de la musique et sa corruption politique, François Bigot, dernier intendant de la Nouvelle-France entre 1748 et 1760, n’est pas en reste. Ses bals, mascarades et autres événements en effet alimentent les conversations dans tout Québec, au grand dam d’au moins un curé de la région, qui aurait dit, selon Madame Bégon dans ses lettres, que toutes ces manières lascives ne pouvaient mener qu’au péché (« La correspondance de Madame Bégon, 1748-1753, » Rapport de l’Archiviste de la Province de Québec pour 1934-1935). De même, l’entrée du 18 décembre 1757 du Journal du Marquis de Montcalm durant ses campagnes en Canada de 1765 à 1769, édité en 1895 par H.-R. Casgrain à Québec, raconte que l’intendant Bigot aurait invité de nombreux convives à un concert donné par ses officiers et leurs épouses, mais que cet événement aurait été suivi d’une soirée de jeux d’argent.
Le prince Edward (1767-1820), futur duc de Kent et père de la reine Victoria, est sans doute le premier visiteur royal au Canada à manifester un grand intérêt pour la musique. Durant la décennie 1790, qu’il passe à Québec et à Halifax en tant que commandant du régiment des Royal Fusiliers, il met sur pied une fanfare régimentaire aussi coûteuse (800 livres par an) que talentueuse. Celle-ci participe aux concerts de souscription, en plus d’offrir des performances extérieures et durant les fêtes. À Halifax, le prince Edward fait même ériger un belvédère pour son groupe (toujours intact aux dernières nouvelles en 1990). Lorsqu’il est posté à Québec, il suit de près les activités du musicien Frederick Glackemeyer.
XIXe siècle
Le 27 février 1819, à l'occasion de l'entrée du gouverneur en chef de l’Amérique du Nord britannique, le duc de Richmond, à l'hôtel du gouvernement à Québec, Jean-Chrysostome Brauneis fit jouer par la musique du 60e régiment sa Grand Overture of Quebec, qu'il avait dédiée à la fille du duc, lady Mary Lennox. Il annonça la vente d'exemplaires de cette oeuvre et, en septembre 1819, de ceux d'une pièce composée à la mémoire du duc qui était décédé en août.
Le petit-fils du prince Edward (plus tard le roi Edward VII), qui visite le Canada en 1860 en tant que prince de Galles, est le dédicataire de la première œuvre canadienne majeure écrite pour un dignitaire, la Cantata in Honour of the Prince of Wales (v. 1860) de C. W. Sabatier. La visite inspire aussi Antoine Dessane, qui écrit Marche-Cantate pour la visite du Prince de Galles, ainsi que les compositeurs Henry Prince et Henry Francis Sefton qui composent respectivement The Prince of Wales Gallop et « Welcome to Canada ».
Selon l’Encyclopédie Canadiana, sir William Robinson, lieutenant-gouverneur de l’Île-du-Prince-Édouard de 1870 à 1873, est aussi un compositeur de talent et l’auteur de nombreuses chansons bien connues.
XXe siècle
Parmi les mécènes notables de la musique canadienne, on compte lord Strathcona (1820-1914), bienfaiteur auprès de plusieurs musiciens et institutions et créateur de la Montréal Scholarship (plus tard appelée Strathcona Scholarship) pour les études au Royal Conservatory of Music, et lord Beaverbrook, qui a commandé à Louise Manny la mission de répertorier et d’enregistrer les chansons des bûcherons de Miramichi au Nouveau-Brunswick.
Les ministres fédéraux des années 1970 ayant un goût pour la musique sont, entre autres, Mitchell Sharp, pianiste accompli, et Paul Hellyer, ténor. Au niveau municipal, Paul Pratt, maire de Longueuil (Québec) entre 1935 et 1966, est compositeur, chef d’orchestre et clarinettiste, alors que le renommé chef de fanfare Edmond Hardy défend aussi le mandat de maire de Montréal-Sud (Longueuil) pendant huit ans.
XXIe siècle
Charlie Angus connaît un certain succès en Ontario dans les années 1980 et 1990 avec le groupe punk L’Étranger et le groupe country alternatif en nomination pour un Juno Grievous Angels, avant d’être élu dans le comté de Timmins–Baie James et de devenir député fédéral en 2004 pour le Nouveau Parti démocratique. Il est réélu en 2006, en 2008 et en 2011. Cette même année, un des anciens membres de L’Étranger, Andrew Cash, qui joue aussi pour les groupes Ursula et The Cash Brothers et comme musicien solo, est élu député du NPD dans la circonscription de Davenport à Toronto. En 2013, ils donnent un concert sur la colline parlementaire pour commémorer les décès de Stompin’ Tom Connors et de Stan Rogers.
Musique et explorateurs
Il existe de nombreux explorateurs du Nord canadien également musiciens au XIXe siècle. Louis Jolliet est un des premiers explorateurs nés au Canada. Il a découvert la source de la rivière Mississippi et est aussi un des premiers organistes du pays. Ferdinand Wentzel, pour sa part, est un Norvégien au service de la Compagnie du Nord-Ouest jouant la flûte et le violon et qui a compilé une collection de chansons de voyageurs. Bien qu’on croie que l’œuvre lui ait survécu jusqu’à au moins 1890, le contenu parfois obscène de certaines chansons a fait en sorte qu’elles n’ont jamais été publiées. Edward Ermatinger, un explorateur suisse pour la Compagnie de la baie d’Hudson, a lui aussi écrit des chansons de voyageurs qui, au contraire de Wentzel, ont survécu.
Sir William Edward Parry, lors de ses expéditions dans le passage du Nord-Ouest entre 1819 et 1827, met en partition la musique inuit qu’il entend. Pour passer le temps, il amène plusieurs flûtes et même un orgue de Barbarie sur ses navires, le Fury et le Hecla. Il est également coauteur de The North West Passage, or Voyage Unfinished, un « opéra » présenté à bord de son navire malgré des températures de -24 degrés Celcius, créant un incontestable précédent dans l’histoire de l’opéra en matière de lieu géographique et de température.
Musique et gouverneur général
De nombreuses pièces de « bienvenue » et « d’adieu » sont écrites pour le représentant de la monarchie au Canada, le gouverneur général. Welcome to Canada (1839) de Vincenzo Mazzocchi est une œuvre dédiée au baron de Sydenham et sans doute la pièce imprimée la plus vieille du genre.
En se basant sur le nombre de pièces leur étant dédiées, on peut dire que lord Dufferin (1872-1878) et le marquis de Lorne (1878-1883) sont les plus populaires représentants de la Couronne. Canada’s Welcome (1879), masque écrit par le directeur du Governor General’s Foot Guards Band, Arthur A. Clappé, et dédié au marquis de Lorne et sa femme, la princesse Louise, est la plus complexe composition de la sorte. Lady Dufferin, quant à elle, a organisé plusieurs performances théâtrales et musicales au Parlement (voir Frederick W. Mills), en plus d’être l’auteure de poèmes sur musique publiés au Canada. Pour sa part, G. Raineri écrit Dufferin Galop en l’honneur de la visite des Dufferin à Halifax en 1873.
Le marquis de Lorne écrit les mots du « Dominion Hymn » (1880), auxquels Arthur Sullivan appose une mélodie. Malheureusement pour eux, l’œuvre ne devient jamais l’hymne national officiel. Le marquis de Lorne reste néanmoins présent dans le paysage musical canadien. En effet, il est, avec la princesse Louise, le dédicataire de la Cantate en l’honneur du Marquess de Lorne et de la Princesse Louise de Calixa Lavallée, qui est jouée par plus de 300 musiciens et chanteurs à Québec le 11 juin 1879. La princesse Louise a aussi l’honneur de voir la pièce Soyez la bienvenue de Célestin Lavigueur spécialement écrite pour elle.
Au XXe siècle, le comte de Grey fait partie des gouverneurs généraux s’intéressant à la musique. Celui-ci, en mandat de 1904 à 1911, organise des concours pour les orchestres, chœurs, chanteurs et musiciens amateurs. On compte parmi les gagnants du concours la Société symphonique de Québec (Orchestre symphonique de Québec) et l’Orchestre symphonique d’Ottawa. À l’occasion du jubilé de diamant de la Confédération canadienne, lord Willingdon (gouverneur général, 1926-1931) compose une suite, jouée à Ottawa le 1er juillet 1927 par l’Orchestre du Château Laurier et radiodiffusée sur le réseau national de CNR. Il fonde aussi la Willingdon Arts Competition for excellence in Music, Literature, Painting and Sculpture, et écrit plusieurs chansons sous un nom de plume.
Avant de devenir en 1952 le premier gouverneur général né au Canada, Vincent Massey montre son engagement envers les arts en tant que mécène du Quatuor à cordes Hart House. Il siège aussi à la Commission royale d’enquête sur l’avancement des arts, des lettres et des sciences, aussi appelée Commission Massey. Le violoniste et compositeur montréalais Maurice Zbriger écrit The Vincent Massey March en l’honneur de cet engagement. En 1978, Jules Léger (gouverneur général, 1974-1979) crée le prix Jules-Léger pour la nouvelle musique de chambre.
Musique et royauté
En 1869-1870, la visite du prince Arthur, fils cadet de la reine Victoria, inspire une marche à F. J. Hatton, un galop à Hunter Gowan et une mazurka à William Bohrer. En l’honneur de la même visite, G. Raineri écrit Dominion State Ball Galop et Jean-Chrysostome Brauneis II compose les Royal Welcome Waltzes. Le jubilé d’or (1887) de la reine Victoria inspire F. H. Torrington pour son « Queen’s Jubilee » et François Vézina dans l’écriture du Jubilé de la Reine. Le jubilé de diamant de Victoria (1897), quant à lui, est la source d’inspiration d’une quinzaine de compositions canadiennes publiées.
Après la visite du prince de Galles (plus tard roi Edward VIII), Lillian Casselman écrit la chanson « His Smile », arrangée par Jules Brazil et publiée à Toronto en 1921. À l’occasion de la tournée royale du roi George VI et de la reine Elizabeth, on publie le « King’s Jubilee » d’Oscar O’Brien (les paroles anglaises par Charles F. Larkin, celles en français par Hector Beauregard) dans l’édition du 13 mai 1939 de La Presse à Montréal. Écrite en l’honneur du prince Charles, la pièce Music for a Young Prince de Godfrey Ridout, quant à elle, est une commission de la CBC pour l’ouverture de la voie maritime du Saint-Laurent et la tournée royale du Prince Charles en 1959.
(Voir aussi : Couronnements et musique canadienne)
Musique et premiers ministres
Chez les premiers ministres canadiens, il n’y a que Stephen Harper qui ait manifesté son intérêt pour la musique. En 2009, il profite du gala du Centre national des arts pour donner sa première prestation publique en chantant et jouant au piano la pièce des Beatles « With a Little Help from My Friends » en compagnie du violoncelliste Yo Yo Ma. De façon occasionnelle, Stephen Harper a depuis chanté ou joué du clavier avec le groupe ottavien Herringbone. En 2014, il interprète « Hey Jude » lors d’un souper d’état officiel en Israël.
Trois premiers ministres gagnent la palme du nombre de dédicaces musicales : sir John A. Macdonald, Alexander Mackenzie et sir Wilfrid Laurier. Ce dernier, avec sa femme, était le mécène d’Eva Gauthier. Parmi les pièces écrites pour ces trois politiciens, on compte Loyal Opposition Galop de George Orme, Sir John A. Macdonald Waltz d’Annie Douglas, The Premier’s NP (la politique nationale) Galop d’Arthur Koerber, le Ministerial Galop (dédié au Parti libéral et comprenant une photo de Mackenzie sur la couverture) de A. Overell, Vive Laurier d’Alexis Contant et la pièce « Our Chieftain », écrite par une « dame d’Ottawa. »
John A. Macdonald et sir George-Étienne Cartier, les deux chefs du gouvernement de la province du Canada entre 1857 et 1862, sont tous deux dédicataires d’une marche funèbre : la Grand Requiem March (1873) de A. Koch et la Sir John A. Macdonald Funeral March de Charles Bohner. L’apport de sir George-Étienne Cartier ne s’arrête toutefois pas là : il est en effet l’auteur des paroles de deux chansons (voir Chants patriotiques). Pour sa part, John A. Macdonald, grand ami de la soprano Emma Albani, a raconté dans une lettre adressée au Dr James Williamson le 18 février 1889 qu’elle « a chanté pour mon anniversaire. Quelle gentillesse de sa part! J’ai été charmé par sa voix » (The Letters of Sir John A. Macdonald and His Family, ed. J.K. Johnson [Toronto, 1969]).
Sont dignes de mention plus tard au XXe siècle « Dief Will Be the Chief Again » (1975), un salut à John Diefenbaker par Bob Bossin, du groupe Stringband, et l’album Graham Townsend Salutes Canada’s Prime Ministers 1867-1967 (Londres SBS -5275), qui comprend des airs de violons traditionnels pour chaque premier ministre canadien jusqu’à Lester Pearson.
Musique et figures religieuses
Quelques compositions canadiennes honorent aussi des dignitaires religieux, comme « Hymne à Pie IX » (v. 1864) de dame Emma Albani, la Marche funèbre Hommage à Pie IX (v. 1878) de Calixa Lavallée, la Marche pontificale (1886) écrite par Gustave Gagnon pour le cardinal Taschereau et l’Oratorio à Léon XIII (1885) de Frantz Jehin-Prume.
De nombreuses œuvres sont écrites à l’occasion de la première visite du pape Jean-Paul II au Canada en 1984, dont la pièce d’orgue Tu es Petrus de Roger Matton, présentée le 9 septembre à la Basilique-Cathédrale Notre-Dame de Québec.
Une version de cet article a été publiée à l’origine dans l’Encyclopédie de la musique canadienne.