Politique scientifique
La politique scientifique est un terme entré dans l'usage dans les années 60 pour désigner les mesures coordonnées que devraient prendre les gouvernements pour promouvoir le développement de la recherche scientifique et technologique et, en particulier, pour guider l'exploitation des résultats de la recherche dans le but de faire progresser la croissance et le bien-être économiques du pays. Le patronage des SCIENCES et de la TECHNOLOGIE par l'État n'est pas un concept nouveau, il a au contraire une longue histoire. Est nouveau, par contre, le sentiment croissant parmi le public et les dirigeants politiques de l'importance primordiale des sciences et de la technologie dans le monde moderne et de la nécessité d'une approche plus systématique des gouvernements afin d'en orienter et d'en encadrer l'utilisation. Dans un rapport datant de 1963, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) déclare que le fait de dire qu'un gouvernement a besoin d'une politique scientifique articulée signifie simplement qu'incombe à ce gouvernement l'importante et incessante responsabilité de faire des choix au sujet des enjeux scientifiques. Les sciences sont devenues un « bien national » (voir INVENTEURS ET INNOVATIONS).
Des organismes internationaux (dont l'OCDE) et une multitude d'organisations officielles et non officielles dans de nombreux pays ont largement appuyé dans les années 60 et au début des années 70 la nécessité d'établir des politiques scientifiques nationales. Cependant, il existe de profondes divergences quant à la forme que doit prendre au juste une politique scientifique et quant aux institutions gouvernementales qui doivent l'élaborer. Au Canada, ce sont la création du Secrétariat des sciences (1964) au BUREAU DU CONSEIL PRIVÉ, l'établissement du CONSEIL DES SCIENCES DU CANADA (1966) et la création du ministère d'État chargé des Sciences et de la Technologie (1971) qui ont été les principales réalisations de l'époque. Les documents les plus importants à émerger du débat ont été des rapports produits par le Conseil des sciences, et en particulier son quatrième rapport intitulé Vers une politique nationale des sciences au Canada (oct. 1968), l'Examen des politiques scientifiques nationales, Canada par l'OCDE (1969), ainsi que les trois rapports exhaustifs du Comité spécial de la politique scientifique du Sénat (le comité Lamontagne), qui a été mis sur pied en 1967 et a siégé plus de cinq ans.
On peut dire de la politique scientifique qu'elle comporte deux aspects complémentaires : une politique visant la promotion des sciences, c'est-à-dire des dispositions gouvernementales qui favorisent un milieu propice à l'acquisition de connaissances scientifiques et technologiques, et une politique d'utilisation des sciences, c'est-à-dire l'exploitation de ces connaissances dans le domaine du développement et de l'innovation. Le premier volet peut signifier un ensemble de politiques mises en oeuvre de façon plus ou moins autonome par des organismes gouvernementaux afin de parrainer la recherche qui a uniquement trait à leurs responsabilités fonctionnelles particulières. Dans ce sens, on peut dire des pays les plus « avancés » (dont le Canada, très certainement) qu'ils ont en place une politique de promotion des sciences depuis plus d'un siècle. Toutefois, cette définition minimale ne suffit pas. En effet, on vise une politique gouvernementale globale et cohérente de soutien des sciences et de la technologie en général. La commission Glassco (voir COMMISSION ROYALE D'ENQUÊTE SUR L'ORGANISATION DU GOUVERNEMENT), dans un rapport publié en 1962, l'a clairement exprimé. Elle a fortement critiqué ce qui est alors considéré comme l'expansion désordonnée et non encadrée des sciences et de la technologie au Canada après la Deuxième Guerre mondiale, une critique qui a directement mené à la création du Secrétariat des sciences. De plus, à une époque où les progrès en matière scientifique ouvrent des possibilités d'exploitation beaucoup plus nombreuses que les ressources disponibles en mesure de les satisfaire, il est nécessaire d'établir des priorités.
Dans un pays comme le Canada, notamment, où les sciences occupent une place modeste, il y a des limites importantes aux genres de sciences et de technologies qui peuvent bénéficier de soutien. En conséquence, on a avancé qu'une politique de promotion des sciences devait être fondée sur des « critères de choix scientifiques » soigneusement définis, c'est-à-dire sur des principes permettant de décider de l'ampleur du soutien, sous forme de fonds publics et d'autres ressources (p. ex., un personnel qualifié), qui devrait être accordé au domaine des sciences et de la technologie du pays dans son ensemble, sur la façon dont cette « réserve » devrait ensuite être répartie parmi les différents secteurs (c'est-à-dire la recherche universitaire, la recherche interne par les organismes gouvernementaux et la recherche par l'industrie) et, enfin, sur la façon dont chacune de ces répartitions sectorielles devrait être faite parmi les différentes disciplines scientifiques et technologiques. La mise en oeuvre de tels critères aurait des conséquences indirectes sur le taux de croissance et l'orientation des diverses sciences et technologies, et des conséquences directes sur l'équilibre entre les sciences fondamentales, les sciences appliquées et le développement découlant des innovations technologiques. Le Conseil des sciences, l'OCDE et le comité Lamontagne ont tous fortement soutenu que la promotion des sciences au Canada a été alignée de façon trop prononcée sur la recherche fondamentale et que la recherche fondamentale et la recherche appliquée sont trop éloignées des possibilités de développement (à savoir l'INDUSTRIE). La situation s'est grandement redressée depuis les années 70, mais le problème persiste, car une forte proportion de l'industrie canadienne est une « industrie de succursales », pour laquelle la recherche et le développement ont lieu dans les laboratoires des sociétés mères aux États-Unis.
Un gouvernement pourrait appliquer une politique cohérente de promotion des sciences fondamentales et appliquées en employant des critères qui font peu ou pas mention de la pertinence de la recherche visant des besoins sociaux particuliers ou des priorités nationales. Une telle politique appuierait les domaines de recherche qui semblent annoncer les résultats les plus prometteurs sur le plan scientifique ainsi que les scientifiques jugés les plus compétents et les plus productifs. De fait, le CONSEIL NATIONAL DE RECHERCHES a appliqué pendant de nombreuses années cette politique, dont l'objectif est de bâtir une « base scientifique » viable au Canada et de regrouper des scientifiques compétents qui pourraient prendre leur place sur la scène scientifique internationale. Par contre, si la politique scientifique doit aussi être directement liée à l'utilisation des sciences, il faut nécessairement faire intervenir les critères de « pertinence » sociale. Trois possibilités se présentent alors. D'abord, pour décider de la répartition du soutien gouvernemental, les organismes publics chargés d'appuyer les projets peuvent simplement avoir pour mandat de veiller à ce que la priorité soit accordée aux projets qui peuvent prouver leur pertinence directe relativement aux besoins sociaux précis ou à la solution d'importants problèmes sociaux. C'est l'approche qu'adopte finalement la politique scientifique canadienne. La deuxième possibilité, qui a été analysée par le Conseil des sciences dans son quatrième rapport, fait en sorte qu'au moins une partie importante de l'effort scientifique et technologique d'un pays vise de très grands projets « axés sur un but précis », faisant intervenir des organismes scientifiques gouvernementaux, des universités et l'industrie. La Deuxième Guerre mondiale a été la scène d'une « mission » scientifique type, le projet Manhattan, qui a produit les premières bombes atomiques. Parmi les exemples d'après-guerre, on retrouve le programme d'ÉNERGIE NUCLÉAIRE du Canada qui a permis la mise au point du réacteur CANDU et les programmes spatiaux américain et soviétique. Le Conseil des sciences a recommandé que la plupart des nouvelles grandes entreprises canadiennes dans le domaine scientifique soient organisées en grands projets multidisciplinaires, axés sur un but précis, ayant comme objectif la mise au point de solutions à d'importants problèmes économiques et sociaux et auxquels devraient participer sur un pied d'égalité tous les secteurs de la communauté scientifique. Ces grands projets auraient chacun contenu des volets de recherche fondamentale et de recherche appliquée, de développement et d'innovation. Pour l'avenir, le Conseil entrevoit alors que la recherche fondamentale sera menée surtout dans des domaines ayant trait à ces grands projets, mais il souligne du même coup qu'elle devra aussi être soutenue comme étant une source possible de découvertes théoriques et un moyen d'assurer la masse d'expertise nécessaire pour comprendre et absorber les progrès réalisés ailleurs (en particulier aux États-Unis). Il propose plusieurs domaines généraux qui conviendraient à des « missions », notamment la haute atmosphère et l'espace (voir TECHNOLOGIE SPATIALE), les ressources hydrauliques (voir EAU), les TRANSPORTS, l'environnement urbain (voir URBANISATION) et le développement du Grand NORD canadien et de nouvelles sources d'ÉNERGIE . Ces propositions ont trouvé quelques échos dans les progrès subséquents du soutien gouvernemental à l'endroit des sciences et de la technologie au Canada, mais l'idée de base d'une série de grandes missions multidisciplinaires n'a jamais eu de suite.
La troisième possibilité de structuration de la politique en matière d'utilisation des sciences a été évoquée, peut-être involontairement, dans le rapport de 1963 de l'OCDE, qui prétend que la politique scientifique doit mener à des décisions nationales sur la direction et la rapidité de l'évolution des sciences et sur les objectifs nationaux auxquels elle contribuerait. Cette déclaration contient l'idée implicite d'une planification globale des sciences en fonction d'objectifs prescrits par l'État, comme c'était censé se produire dans l'ancienne Union soviétique. La poursuite d'une politique scientifique dans un cadre défini par des objectifs nationaux a reçu une certaine attention dans le quatrième rapport du Conseil des sciences, mais il semble n'y avoir que très peu de liens entre les objectifs très généraux qu'il suggère (la prospérité nationale, la liberté personnelle, etc.) et les programmes concrets qu'il préconise. Aujourd'hui, tous les pays qui l'ont envisagée, y compris la France, qui possède une longue tradition de dirigisme et qui ont adopté la planification après la Deuxième Guerre mondiale, ont renoncé à la notion selon laquelle les sciences peuvent, dans une société libre, faire l'objet d'une planification globale. Dans un État totalitaire comme l'ancienne Union soviétique, la planification centrale des sciences est possible en principe (bien qu'en pratique les conséquences aient souvent été malheureuses), mais dans les démocraties fortement pluralistes et décentralisées comme le Canada, l'idée est maintenant jugée irréalisable sauf, peut-être, dans l'éventualité très peu plausible d'une guerre mondiale conventionnelle. Cette situation ne découle pas uniquement, ni même principalement, d'insuffisances dans l'appareil gouvernemental, mais plutôt du fait qu'il est impossible, dans les démocraties occidentales, d'établir arbitrairement de grands objectifs sociétaux vers lesquels doivent tendre les progrès scientifiques et technologiques.
Le débat international sur la politique scientifique a fait ressortir trois grandes options que l'appareil gouvernemental pourrait adopter. La première est la création d'un poste de ministre des Sciences, investi de responsabilités exécutives, qui dirigerait un ministère chapeautant au moins les principaux établissements gouvernementaux voués aux sciences, finançant et appuyant d'autres manières la recherche et le développement scientifiques et technologiques et, par l'intermédiaire du ministre, conseillant les responsables en matière de politique scientifique (dans les régimes parlementaires avec Cabinet comme en Grande-Bretagne et au Canada, le Cabinet directement). La deuxième option est la création d'un poste de ministre des Affaires scientifiques ou d'un ministre chargé de la politique scientifique (peut-être à la tête d'un ministère ou aidé par un personnel ministériel de taille suffisante), qui n'aurait aucune fonction exécutive mais qui agirait à titre consultatif auprès des autres ministères et organismes et auprès du Cabinet, et qui pourrait aussi s'acquitter de certaines fonctions de coordination (p.ex., la présidence d'un comité du Cabinet chargé de la politique scientifique). La troisième option consiste à établir un organisme consultatif non ministériel au centre du gouvernement (c'est-à-dire au Secrétariat des affaires du Cabinet ou peut-être au sein du ministère chargé d'autoriser toutes les dépenses gouvernementales). Un tel organisme serait chargé de fournir des conseils sur les aspects de la politique scientifique de tous les programmes et politiques et pourrait être dirigé par un conseiller scientifique en chef du gouvernement, qui aurait un accès direct au chef de la direction (dans le cas d'un régime parlementaire avec Cabinet, le premier ministre).
L'option recommandant la création d'un poste de ministre des Sciences a été rejetée pour le Canada, surtout parce qu'un ministre directement responsable du rendement en matière de recherche dans son propre ministère ne serait pas un conseiller impartial sur la politique scientifique gouvernementale générale et que la concentration de fonctions scientifiques si nombreuses en un seul lieu créerait une administration trop centralisée et trop rigide. L'idée ne plaît surtout pas aux scientifiques, qui gardent jalousement leur autonomie depuis toujours, préférant fonctionner dans un système décentralisé et pluraliste. On a plutôt adopté, en partie du moins, l'option favorisant la mise sur pied d'un organisme consultatif, qui s'est concrétisée par la création en 1964 du Secrétariat des sciences au sein du Bureau du Conseil privé et par la nomination en 1968 de son directeur au poste de conseiller scientifique principal du Cabinet. Cette orientation prometteuse a toutefois été abandonnée en 1971, lorsque le gouvernement s'est tourné vers la deuxième option en créant le ministère d'État chargé des Sciences et de la Technologie. Cette option s'est avérée faible, étant donné les réalités politiques du Cabinet et de la bureaucratie au Canada. Le ministère a connu au poste de ministre d'État une succession rapide de titulaires, dont aucun n'a été particulièrement efficace. Entre 1971 et 1986, le ministère a connu 13 titulaires et 5 réorganisations. Dans un régime parlementaire avec Cabinet, un ministre sans responsabilités exécutives n'a généralement pas beaucoup d'influence au Cabinet et cette absence d'influence signifie que le poste est confié à des personnages politiques en vue en route vers des postes plus importants ou à des gens moins réputés qui ont peu de possibilités d'avancer plus loin dans leur carrière. Par contre, si le poste est confié à un ministre qui reçoit aussi un deuxième portefeuille, exécutif celui-là (ce qui s'est déjà vu), les fonctions du deuxième portefeuille tendent à dominer, au détriment des fonctions consultatives en matière de politique scientifique.
L'élaboration d'une politique scientifique et technologique nationale a joui d'un nouveau souffle en 1986 lorsque, à l'initiative du ministre d'État aux Sciences et à la Technologie, le Conseil des sciences a réuni en congrès des représentants de l'industrie, des syndicats, des universités et des gouvernements. Le congrès s'insère dans le cadre d'une démarche continue de réunions fédérales-provinciales et d'une série de colloques bilatéraux réunissant des responsables fédéraux et provinciaux. Ces étapes ont donné lieu à la création, en décembre 1986, du Conseil des ministres des Sciences et de la Technologie et à la signature, le 12 mars 1987, d'une entente fédérale-provinciale-territoriale dont l'objectif est, pour la première fois, de travailler en vue de l'établissement d'une stratégie nationale coordonnée visant à promouvoir l'activité entrepreneuriale, à reconnaître l'importance cruciale de la recherche scientifique et technique pour le développement économique, social, culturel et régional du Canada et à examiner les entraves à la recherche, au développement et aux innovations. En janvier 1988, le premier ministre Mulroney a promis d'affecter aux sciences et à la technologie un montant additionnel de 1,3 milliard de dollars réparti sur cinq ans, un quart de la somme devant servir à deux nouvelles initiatives, à savoir des centres d'excellence et un programme de bourses national.