Selon la légende, Sheila Na Geira (également orthographiée NaGeira et Nagira) était une aristocrate ou princesse irlandaise qui, il y a 300 ou 400 ans, alors qu’elle voyageait entre la France et l’Irlande, a été capturée par un navire de guerre néerlandais, puis sauvée par des corsaires britanniques. Elle est tombée amoureuse et a épousé l’un des corsaires, le lieutenant Gilbert Pike. Ils se sont installés à l’ouest de la baie de la Conception. Au début du 20e siècle, la légende était racontée dans le cadre de la tradition orale de Terre-Neuve et a depuis été popularisée par des poèmes, des romans, des articles scientifiques et plusieurs pièces de théâtre.
L’histoire de Sheila Na Geira
Terre-Neuve a une riche histoire de récits folkloriques oraux. Parmi eux se trouve la légende de Sheila Na Geira, qui était déjà racontée au début du 20e siècle. À la fin des années 1800, les Pikes de Carbonear sont considérés comme la plus grande famille de Terre-Neuve, et ils revendiquent Na Geira comme leur ancêtre.
En 1934, l’histoire de Sheila Na Geira est écrite pour la première fois. C’est William A. Munn qui la raconte dans un article du Newfoundland Quarterly sur l’histoire de la ville de Harbour Grace. Selon la légende, au 16e ou au 17e siècle, une aristocrate irlandaise (décrite plus tard comme une princesse) nommée Sheila Nagira se trouvait sur un navire naviguant de l’Irlande vers la France pour fréquenter une école de couvent. Un navire de guerre néerlandais a toutefois capturé son navire. Le navire hollandais a ensuite été rattrapé par une flotte dirigée par Peter Easton, qui opérait en vertu de lettres de marque du roi britannique. Peter Easton a poursuivi son voyage au-delà de l’Atlantique. En cours de route, Sheila Na Geira et l’un des corsaires, le lieutenant Gilbert Pike, sont tombés amoureux et se sont mariés.
Peter Easton a ancré sa flotte à l’ouest de la baie de la Conception, à Terre-Neuve, dans ce qui est devenu la ville de Harbour Grace. Lorsqu’il a déclaré qu’il était temps de partir, Sheila Na Geira et Gilbert Pike ont décidé de rester. Ils ont construit une maison à Mosquito (un lieu plus tard appelé Bristol’s Hope).
C’est un fait que Peter Easton a servi comme marin et corsaire, et qu’en 1602, sa flotte est arrivée à Terre-Neuve pour protéger une expédition de pêche britannique. On peut également confirmer que la famille Pike réside à Terre-Neuve depuis plus longtemps que la plupart des familles, et qu’elle se concentre autour de la région où se déroule la légende. Au-delà de cela, cependant, rien dans l’histoire ne peut être vérifié de manière fiable. Cela étant dit, le fait que le conte de Sheila Na Geira soit peu fondé n’enlève rien à son importance en tant que légende.
La légende de Sheila Na Geira
Le folkloriste Philip Hiscock croit que l’article de William Munn de 1934 a pu trouver un écho auprès des Terre-Neuviens, car à l’époque, la crise économique a entraîné l’effondrement de l’économie de Terre-Neuve et la reprise de la domination coloniale britannique. Alors que de nombreux Terre-Neuviens se sentent opprimés et inférieurs, la légende est une source de fierté, car elle suggère que nombre d’entre eux descendent d’une lignée aristocratique, voire royale.
Dans les années 1940, la légende est devenue bien connue. Elle est enseignée dans les écoles. Elle a également été publiée dans The Newfoundlander, un journal lu dans presque tous les foyers de l’île.
En 1948, la société terre-neuvienne est divisée par un référendum, lors duquel une courte majorité décide de ne pas rester une colonie ou de devenir indépendante, mais de rejoindre le Canada. Terre-Neuve devient une province canadienne l’année suivante. (Voir Terre-Neuve-et-Labrador et la Confédération.) Les années turbulentes qui suivent engendrent un regain d’intérêt pour la légende. En 1955, L. E. F. English écrit un poème intitulé The Ballad of Sheila Na Geira (La ballade de Sheila Na Geira [traduction libre]). Ce long poème lyrique contient des détails que l’on ne trouve pas dans le récit original de William Munn, comme les cheveux noirs de Sheila Na Geira, et des comptes rendus de conversations mot à mot.
En 1958, P. J. Wakeham publie un roman de 338 pages intitulé Princess Sheila: A Newfoundland Story. Ce roman se vend à 5000 exemplaires à Terre-Neuve à la fin de 1959, ce qui est remarquable pour l’époque. P.J. Wakeham ajoute d’autres détails à la légende, comme le fait que Sheila a eu deux enfants, que son père était John, le roi du comté de Down, en Irlande, et qu’elle a vécu jusqu’à l’âge de 105 ans. Dans son récit de 1934, William Munn a appelé le personnage « Sheila Nagira », tandis que P.J. Wakeman a choisi l’orthographe « Na Geira » pour le nom de famille. L’orthographe moderne tend à préférer le choix de Wakeman, et les détails de sa version de la légende sont devenus la base des itérations ultérieures. P.J. Wakeman a parlé d’une pierre tombale inscrite et dédiée à Sheila, mais aucun monument portant cette inscription n’a jamais été retrouvé. En 2004, une nouvelle pierre comprenant des détails de l’histoire racontée par P.J. Wakeman a été placée sur l’ancienne propriété de Pike qui, selon la rumeur, était le site de l’enterrement de Sheila Na Geira.
Revitalisation de la légende
Après la deuxième vague du féminisme dans les années 1980, la légende de Sheila Na Geira devient une source d’inspiration féministe. Une édition de 1987 du livre de P.J. Wakeman contient d’ailleurs un avant-propos qui fait l’éloge de Sheila en tant que « femme de courage, d’intelligence et de dévouement ».
Les années 1990 sont le théâtre d’une revitalisation de la tradition des contes à Terre-Neuve, qui engendre par le fait même un regain d’intérêt pour la légende. Carbonear inaugure ainsi le Sheila NaGeira Theatre, et fait intégrer le personnage aux armoiries et au drapeau de la ville. La pièce musicale de Chuck Herriot, intitulée Sheila Na Geira: A Legend of Love and Larceny (Sheila Na Geira : une légende d’amour et de crimes [traduction libre]) est créée à Carbonear en 1997. Gord Carruth écrit également une pièce musicale intitulée The Princess & the Pirate (La princesse et le pirate [traduction libre]). Trois courts romans de Paul Butler ajoutent des couleurs et des détails à l’histoire de Sheila Na Geira : Easton (2004), Easton’s Gold (2005) et NaGeira (2006).
La légende de Sheila Na Geira est un élément important de la tradition orale de Terre-Neuve qui, selon l’historien Shannon Ryan, crée et maintient une perspective qui protège l’unité et la structure de la société.