Le programme de recrutement de domestiques antillaises était un programme d’immigration ciblant les femmes originaires des Caraïbes, qui a été actif entre 1955 et 1967. Par l’entremise de ce programme, environ 3 000 Antillaises ont immigré au Canada pour y travailler comme aides domestiques. Il a ouvert la porte à un accroissement de l’immigration noire en provenance des Caraïbes, en offrant à ces femmes des possibilités d’emploi au Canada auxquelles elles n’auraient pas eu accès autrement. Cependant, les femmes ayant participé à ce programme ont souvent dû faire face à des conditions de travail difficiles et à de la discrimination raciale. (Voir Racisme.) En raison de l’évolution des politiques en matière d’immigration du Canada, ce programme a officiellement pris fin en janvier 1968. Il a été remplacé par un système de points, offrant des permis de travail temporaires. Dans les années qui ont suivi, en dépit de la fin de ce programme officiel, des Antillaises ont continué de venir travailler au Canada en tant qu’employées de maison, sur la base de visas d’emploi temporaires. (Voir aussi Programmes des travailleurs étrangers temporaires du Canada.)
Origines du programme
Dans les années 1950, les Canadiennes sont de plus en plus nombreuses à intégrer la population active et à occuper des emplois dans des secteurs au sein desquels elles n’étaient pas présentes jusque‑là. Beaucoup de femmes quittent des emplois dans les métiers considérés comme typiquement féminins. Cela entraîne une pénurie de travailleuses domestiques dans tout le pays. Le Canada tente alors, sans succès, de recruter en Europe des personnes pour occuper ces postes. Dans ce contexte, la Grande‑Bretagne encourage plutôt le Canada à accueillir des travailleurs et des travailleuses d’origine antillaise, estimant que cela contribuerait à la croissance économique de la zone caraïbe et au maintien de relations commerciales avec les îles du Commonwealth. En conséquence, le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration institue le programme de recrutement de domestiques antillaises, en 1955. Au départ, ce programme prévoit un nombre d’entrées au pays limité à cent personnes; toutefois, en raison de son succès, les quotas autorisés augmentent rapidement. À l’époque, il offre aux femmes originaires des Caraïbes, et à leurs familles, les possibilités les plus sérieuses de s’installer au Canada de manière permanente. Après un an de travail, les participantes obtiennent le statut de résidentes permanentes et sont autorisées à parrainer les membres de leurs familles. (Voir Immigration au Canada; Politique d’immigration au Canada).
Un nombre défini de travailleuses domestiques de chaque pays des Caraïbes sont autorisées à participer au programme. Les groupes les plus importants viennent de la Jamaïque, des îles du Vent, des îles Sous‑le‑Vent, de Trinité, de la Barbade et de la Guyane. Afin de s’assurer que les candidates remplissent les conditions d’immigration, elles doivent suivre une formation rigoureuse de deux semaines. Pour être admissibles, ces femmes doivent être célibataires, être âgées de 18 à 35 ans, avoir terminé la 8e année, et passer un examen médical canadien, incluant certains tests intrusifs de détection des maladies vénériennes. Cette procédure traduit probablement les perceptions racistes de l’époque sur la sexualité vue comme très libre des Noires. Les candidates présélectionnées sont ensuite interrogées par des agents de l’immigration canadienne, qui se rendent dans les îles une fois par an. Lors de ces entretiens, les agents mettent surtout l’accent sur le parcours de ces femmes et sur leurs compétences, sans se soucier vraiment de les préparer à ce que sera leur future vie au Canada.
Conseil aux Antillaises qui viennent travailler au Canada comme aides familiales :
« N’oubliez pas que les Antilles comptent sur vous pour contribuer au succès de ce programme! »
Travail au Canada
La plupart des femmes qui arrivent au Canada dans le cadre de ce programme s’installent à Toronto ou à Montréal, en dépit des efforts pour les inciter à s’établir un peu partout ailleurs au pays. Sur place, elles connaissent souvent des conditions de travail bien pires que ce qu’elles avaient imaginé. Certaines d’entre elles étaient même censées travailler jusqu’à 18 heures par jour, 7 jours par semaine, et ce, pour des salaires inférieurs à ce qu’elles attendaient. Elles doivent en outre faire face à de l’hostilité et à de la discrimination raciale (voir Racisme), lors de la recherche d’un nouvel emploi ou d’un logement, à l’issue de leur activité comme travailleuse domestique.
Ces femmes originaires des îles sont nombreuses à avoir été élevées au sein de la classe moyenne de leur pays, ce qui signifie, d’une part, qu’il s’agit souvent, pour elles, d’une première expérience du travail domestique et que, d’autre part, elles ne connaissent pas, au Canada, la mobilité sociale ascendante espérée.
Les longues heures de travail de ces domestiques immigrées les conduisent à mener une vie plus solitaire au Canada que celle qu’elles avaient dans leur pays d’origine. Travaillant, souvent seules, dans des foyers différents, elles éprouvent les plus grandes difficultés à former une communauté. S’il est vrai qu’un certain nombre d’entre elles réussissent à tisser de solides liens sociaux, elles sont nombreuses à plutôt voir naître des sentiments de solitude et d’isolement.
Conseil aux Antillaises qui viennent travailler au Canada comme aides familiales :
« N’oubliez pas qu’en cas d’échec, non seulement vous aurez personnellement échoué, mais vous aurez également laissé tomber votre pays. En revanche, si vous réussissez, vous ferez honneur à votre pays et contribuerez à la poursuite du programme. »
Installation au Canada
Après un an de travail domestique, ces femmes originaires des Antilles se voient accorder le statut de résidentes permanentes et peuvent désormais rechercher un nouvel emploi ou poursuivre des études. Elles sont également autorisées à parrainer des membres de leur famille cherchant à immigrer au Canada avec ce même statut, une possibilité que le gouvernement cherche, toutefois, à limiter. Certaines femmes ont l’autorisation de parrainer leur fiancé, en ayant, cependant, l’obligation de se marier dans un délai de 30 jours après son arrivée au pays. Après cinq ans de vie au Canada, les femmes arrivées dans le cadre de ce programme peuvent demander la citoyenneté canadienne. (Voir Politique d’immigration au Canada.)
Cependant, ces employées sont nombreuses à subir la stigmatisation sociale associée au travail domestique, car il était l’un des métiers féminins les moins bien payés et les moins valorisés au Canada. En conséquence, leur recherche d’un emploi en dehors du programme est encore plus ardue. Plusieurs d’entre elles sont contraintes à mentir sur leur véritable expérience et sur le cadre de leur arrivée au Canada. Cette stigmatisation a également comme conséquence de les obliger à poursuivre leur travail de domestique au‑delà de ce qu’elles espéraient.
Passage aux visas temporaires
Le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration ne se soucie pas de l’amélioration des conditions de travail des employées de maison au Canada. En revanche, il arrête d’accorder automatiquement le statut de résidente permanente aux personnes employées comme domestiques, et, en janvier 1968, met fin définitivement au programme de recrutement de domestiques antillaises. Cette décision coïncide avec l’introduction d’un nouveau système s’appuyant sur un nombre de points obtenus par un candidat à l’immigration (voir aussi Politique d’immigration au Canada).
Dans les années qui suivent l’arrêt du programme, des Antillaises continuent de s’installer au Canada, en tant que travailleuses domestiques, sur la base de visas de travail temporaires. (Voir Programmes des travailleurs étrangers temporaires du Canada.) Toutefois, dans ce cadre, elles bénéficient d’un moindre soutien de la part du gouvernement et dépendent des employeurs pour obtenir un parrainage, ces derniers profitant de la situation pour durcir leurs conditions de travail, notamment en leur imposant des horaires encore plus chargés. Ces travailleuses domestiques commencent à avoir peur d’être expulsées si elles osent déposer plainte. Les abus dont elles sont victimes les rendent, dans ce contexte, particulièrement vulnérables, aussi bien sur le plan économique que sur le plan personnel, plusieurs d’entre elles devant également endurer des agressions et du harcèlement sexuels.
En novembre 1991, après que de nombreux cas de mauvais traitements ont été rendus publics, le gouvernement décide de réexaminer sa politique d’immigration. Les accusations selon lesquelles le gouvernement serait toléré l’exploitation raciale des Antillaises débouchent sur une modification de cette politique. (Voir Racisme.) Cela permet désormais à des domestiques travaillant dans le cadre d’un visa d’emploi temporaire et ayant vécu au Canada depuis au moins deux ans de demander la résidence permanente.
Importance historique
Les femmes arrivées au Canada dans le cadre de ce programme ont contribué à redessiner le pays et ont apporté de nombreuses contributions notables à la société canadienne. Elles ont également participé à l’épanouissement des communautés caribéennes de Toronto et de Montréal. On citera notamment le cas exemplaire de l’honorable Jean Augustine, arrivée au Canada en provenance de la Grenade, en 1960, dans le cadre du programme de recrutement des domestiques antillaises.
En juillet 2020, ce programme a été désigné d’importance historique nationale par le gouvernement du Canada.