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L'histoire des Noirs au Canada : de 1900 à 1960

Les communautés noires au Canada ont continué à croître par l’intermédiaire de l’immigration malgré les mesures racistes mises en place contre elles. Un grand nombre de ces communautés étaient liées à l’industrie ferroviaire, qui employait beaucoup de Canadiens noirs comme porteurs. D’autres travaillent dans des secteurs d’importance comme l’exploitation minière et l’agriculture. Les communautés bâtissaient des liens grâce à différentes associations défendant leurs droits, comme des syndicats et l’Universal Negro Improvement Association of Canada (Association universelle pour la promotion des Noirs, ou UNIA). Malgré l’hostilité à laquelle ils faisaient face, les Canadiens noirs ont contribué à la victoire du Canada dans les deux guerres mondiales. Des musiciens connus, comme Oscar Peterson, ont également donné à la scène musicale canadienne un prestige et une notoriété à l’international. La communauté noire a aidé à redéfinir l’image du Canada après la guerre, alors que le pays devenait un terrain d’essai pour l’intégration raciale dans les sports professionnels. Cela a donné naissance au monde du sport et du divertissement que l’on connaît aujourd’hui.

Voir aussi L’histoire des Noirs au Canada jusqu’en 1900 et L’histoire des Noirs au Canada : de 1960 à aujourd’hui

Communautés noires au début de 20e siècle

Après le flux de fugitifs du 19e siècle, la nouvelle vague d’immigration est composée de travailleurs ferroviaires afro-américains (voir Chemin de fer clandestin). Ces hommes sont principalement recrutés à Winnipeg, Toronto et Montréal pour des postes près des chemins de fer en pleine expansion du Canada. Pendant la première moitié du 20e siècle, le développement des communautés noires est intrinsèquement lié aux fortunes des employés ferroviaires noirs et de leur famille.

Par conséquent, les communautés noires émergent près des gares de train, comme la station Windsor, à Montréal. La même chose se produit à Toronto, Winnipeg et Vancouver, où des entreprises et des églises noires se multiplient pour répondre aux besoins des porteurs et de leur famille. Dans ces enclaves citadines, les institutions culturelles et sociales noires prospèrent.

Dans les provinces rurales des Maritimes, la migration saisonnière attire beaucoup d’Antillais dans les mines de charbon, les aciéries et les chantiers maritimes. Ces populations s’intègrent aux paroisses déjà en place et créent des institutions qui reflètent l’indépendance noire, l’autonomie, l’entraide et la fierté raciale.

La migration des Afro-Américains dans les Prairies n’est pas aussi facile, alors qu’environ 1000 de personnes arrivent en Alberta et en Saskatchewan de 1908 à 1911. Ils se joignent à des millions de colons européens. Les Afro-Américains dans les Prairies établissent leurs propres municipalités, dont Eldon, Amber Valley, Campsie, Keysonte (maintenant Breton) et Junkins (maintenant Wildwood).


Bien que leur vie communautaire ait des racines générationnelles profondément liées à la terre, de nombreuses familles noires multigénérationnelles (descendantes des réfugiés, des loyalistes et des Marrons) peinent à subsister avec leurs maigres récoltes, et les familles se fracturent. Les communautés tentent de stimuler la cohésion sociale en créant des associations fraternelles comme les Maçons, les Elks et les Lodges, ainsi que des églises confessionnelles. Malgré tout, leur population commence à diminuer à mesure que les jeunes s’exilent de plus en plus vers les grandes villes.

Première Guerre mondiale

Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, un grand nombre de Canadiens noirs cherchent à intégrer le Corps expéditionnaire canadien. Ils prennent douloureusement conscience du concept de « guerre d’hommes blancs » lorsqu’on refuse leur contribution. Les Canadiens noirs s’opposent fermement à cette exclusion. En réponse, le général Willoughby Gwatkin propose un compromis : créer un ou plusieurs bataillons exclusivement noirs. La création du 2e Bataillon de construction est autorisée le 5 juillet 1916. En mars 1917, il est envoyé outre-mer. Composé de Canadiens, d’Américains et d’Antillais, ce bataillon est le premier et le seul bataillon exclusivement noir de l’histoire militaire canadienne.


Robert Jamerson and Columbus Bowen


Sur le front intérieur, les femmes noires participent à l’effort de guerre en récoltant des fonds. Cela étant, les autres mesures qu’elles cherchent à mettre en place sont interdites; en effet, les femmes noires n’ont alors pas le droit de rejoindre la Croix-Rouge canadienne et les autres principaux groupes féminins. Elles concentrent donc leurs efforts au sein d’auxiliaires locaux. L’argent amassé paie pour les soins de santé, les enterrements et les naissances au sein de la communauté.

En 1916, avant la fin de la guerre, la Glace Bay Universal Negro Improvement Association (Association universelle pour la promotion des Noirs de Glace Bay, ou UNIA), une des premières divisions canadiennes de l’UNIA, est créée en Nouvelle-Écosse. L’organisation est dirigée par les immigrants antillais qui connaissent déjà les enseignements de Marcus Garvey, le fondateur de l’UNIA. Après la guerre, les Antillais vivant ailleurs au pays, notamment à Montréal, à Toronto et à Edmonton, établissent leurs propres divisions de l’UNIA. Pendant un moment, l’UNIA est la force socio-économique et éducative noire la plus importante au Canada. D’ailleurs, avec plus de 1000 chapitres dans 40 pays et quelques millions de membres, l’UNIA devient l’une des organisations politiques et sociales les plus importantes de l’histoire.

Période d’entre-guerre

Près de 90 % des hommes noirs au Canada sont employés par les chemins de fer (voir Porteurs de wagons-lits; Canadiens noirs). Ces emplois sont très mal payés et les conditions de travail sont terribles. Depuis le tournant du siècle, les hommes noirs cultivent en secret le désir d’instaurer un syndicat de travail. Alors que la négrophobie reprend de la force après la guerre, il devient de plus en plus crucial d’obtenir une certaine reconnaissance. (Voir Racisme.) En janvier 1919, l’Ordre des porteurs de wagons-lits (OSCP), le premier syndicat de cheminots noirs en Amérique du Nord, est enfin reconnu.


En 1919, une campagne de prohibition nationale interdit la vente d’alcool dans les commerces états-uniens, y compris ceux où l’on joue du jazz. (Voir aussi Mouvement de tempérance au Canada.) L’initiative en faveur de la prohibition à Montréal, quant à elle, est refusée à l’issue d’un référendum. Montréal devient rapidement connue comme une ville « bien arrosée ». Cette nouvelle se répand rapidement aux États-Unis, et les musiciens jazz du nord-est, en particulier de Harlem, s’installent à Montréal tout au long des années 1920. Beaucoup d’entreprises dans la communauté de porteurs de Saint-Antoine pourvoient aux besoins liés à la culture jazz. Montréal devient ainsi l’une des plaques tournantes du jazz sur le continent jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale (voir aussi Oscar Peterson; Joe Sealy; Oliver Jones; Rockhead’s Paradise).

Le saviez-vous?
Une ville « bien arrosée » est une ville où la vente et la consommation d’alcool étaient permises. À l’inverse, on disait des endroits où l’alcool était interdit qu’ils étaient « secs ». De nos jours, certaines communautés autochtones dans le Nord canadien sont soumises à des interdictions totales d’alcool régulées par la GRC.

Le nombre d’organisations noires augmente de façon significative dans les années 1920. Les besoins sociaux et financiers sont satisfaits par une pléthore d’associations, dont les Maçons, les Elks, les Pride Lodges, les groupes de femmes porteuses et les collectifs de crédit et d’immobilier, sans compter l’UNIA et les églises locales. Ces initiatives indépendantes s’inspirent souvent des objectifs économiques de l’UNIA, qui prône l’autosuffisance des Noirs.


Oscar Peterson et sa soeur Daisy


Crise économique des années 1930

Pendant la crise économique de 1929, plus de 80 % des porteurs se retrouvent sans emploi. Les autres travailleurs noirs sont également gravement touchés. (Voir aussi Canadiens noirs.) La situation gruge dans les ressources communautaires, mais les organisations continuent à jouer un rôle vital pour maintenir la stabilité. À mesure que les années passent, certains Afro-Américains rentrent aux États-Unis. Tandis que les communautés rurales s’ajustent à l’exode de leurs jeunes, la proportion des résidents noirs nés au Canada augmente dans les grandes villes.

Dans les années 1930, les compagnies ferroviaires canadiennes reclassent leurs catégories d’emploi pour limiter l’emploi des Noirs au rôle de porteurs uniquement. Les porteurs relancent alors leur combat pour l’équité au travail et se retrouvent à devoir lutter pour les droits syndicaux. Les porteurs financent également des contestations devant les tribunaux, les législatures et leurs communautés en ce qui concerne les pratiques discriminatoires qui entravent leur vie quotidienne. Le 18 mai 1945, après près de 70 ans d’efforts de syndicalisation, les porteurs noirs obtiennent une convention collective qui, pour la première fois, protège les travailleurs noirs contre le licenciement arbitraire. Grâce à l’augmentation des salaires et aux congés payés, de nombreux porteurs bénéficient pour la première fois d’une sécurité financière.

Deuxième Guerre mondiale

Au commencement de la Deuxième Guerre mondiale, les Forces armées restreignent à nouveau le recrutement des Noirs. De plus, jusqu’à 1942, le Service sélectif national, l’agence nationale pour l’emploi au Canada, permet aux employeurs d’instaurer des restrictions raciales dans leurs pratiques d’embauche. (Voir Racisme.) Les leaders communautaires intentent donc des actions contre les politiques discriminatoires du gouvernement dans ses Forces armées et ses ministères. Bien que les Canadiens noirs maintiennent une pression publique, ce sont les nombreuses morts de soldats qui incitent éventuellement les Forces armées à assouplir les restrictions. Des centaines de sujets noirs provenant du Commonwealth britannique affluent donc au Canada pour s’enrôler dans l’armée. Au pays, les industries manufacturières engagent des employés noirs pour la première fois, bien que la ségrégation persiste dans le secteur ferroviaire tout au long de la guerre.


Frank Jamerson


Immigration

Au tournant du siècle, le Canada est une jeune nation qui travaille fort pour attirer des immigrants européens, sud-africains et américains. Par contraste, les politiques d’immigration canadiennes limitent sévèrement l’immigration noire. (Voir aussi Immigration au Canada.) Seule exception : les hommes noirs qui travaillent pour les chemins de fer. Jusque dans les années 1950, les compagnies ferroviaires permettent aux travailleurs noirs de contourner les restrictions canadiennes en matière d’immigration. (Voir aussi Canadiens noirs.)

La lutte contre les politiques d’immigration racistes s’intensifie alors que le gouvernement fédéral tente de bannir l’immigration noire en 1911 (voir Décret C.P. 1911-1324). Plusieurs décennies plus tard, les organisateurs noirs font pression pour une augmentation de l’immigration en provenance des Antilles. Réticent à modifier ses préférences en matière d’immigration « blanche si possible », le ministère de l’Immigration du Canada ne cède qu’après la guerre. De 1955 à 1967, le Canada autorise l’immigration de femmes noires, mais seulement à titre de domestiques. Néanmoins, elles profitent de leur statut de résident permanent pour parrainer des membres de leur famille afin qu’ils émigrent au Canada. La population noire au Canada connaît donc une augmentation significative.

Droits civils et de la personne

Au cours de cette période, une grande partie de l’activisme des Noirs est axée sur l’acquisition de droits de la personne et civils. Dès les années 1920, les organisations noires contestent les ordonnances locales, les lois provinciales et les politiques nationales qui visent à ségréguer les Canadiens noirs. (Voir Ségrégation raciale des Noirs au Canada.) Les luttes varient d’un endroit à l’autre. Dans certaines communautés, il s’agit de lutter contre l’exclusion des organisations culturelles et sociales et de s’opposer au sous-financement chronique des écoles dans les quartiers noirs. D’autres luttent en faisant pression pour que les parcs et les piscines soient ouverts aux Canadiens noirs, et pour cesser la ségrégation des sièges des théâtres et des églises. On organise même des occupations des lieux pour forcer les hôtels, les motels, les auberges et les restaurants locaux à servir les clients noirs.


Bromley Armstrong et Ruth Lor


Avec la Loi sur la discrimination raciale de 1944, l’Ontario prend l’initiative d’adopter des lois sur les droits de la personne. D’autres provinces lui emboîtent lentement le pas. Les protections antidiscriminatoires les plus complètes sont adoptées en Saskatchewan en 1947. (Voir Déclaration des droits de la Saskatchewan.) La dernière province à affirmer les droits de la personne et civils des Canadiens noirs est le Québec, en 1964. L’adoption de la Déclaration canadienne des droits en 1960 ouvre la voie à de nouveaux appels pour l’égalité des Noirs dans la sphère fédérale. Malheureusement, la lenteur des tribunaux à passer outre les intérêts commerciaux fait en sorte que les causes de discrimination raciale sont difficiles à gagner jusque dans les années 1960.

En 1954, la municipalité de Dresden, en Ontario, devient un point de discorde après que la province adopte la Fair Accommodation Practices Act (loi concernant les pratiques équitables en matière d’hébergement). Malgré cette loi, les Canadiens noirs constatent qu’ils ne peuvent toujours pas être servis dans certains cafés et restaurants de Dresden. Une série d’articles de journaux très médiatisés fait le tour du pays, mais malgré la presse négative, Dresden continue à défier la loi. Au fil des ans, une coalition de groupes de justice sociale fait pression sur le gouvernement en organisant des visites sur place, des occupations et des tests. (Voir Hugh Burnett.) Ils espèrent que le fait de documenter leurs actions incitera les autorités à appliquer les lois provinciales sur les droits de la personne à Dresden. Finalement, les procès et les amendes ont raison des plus récalcitrants, et Dresden commence à servir les clients noirs à contrecœur.

Bien que certains hommes noirs ont le droit de vote, ce n’est pas le cas de tous les Canadiens noirs au début du 20e siècle. Les femmes noires doivent militer pour obtenir leur droit de vote au Canada. Les hommes qui ne possèdent pas de propriété n’ont pas non plus le droit de vote, ce qui exclut de nombreux Canadiens noirs plus pauvres. Ce n’est qu’en 1918 que les femmes noires peuvent voter aux élections fédérales. En 1920, la propriété est supprimée des conditions préalables au vote. Cependant, il faut attendre jusqu’en 1940 pour que toutes les provinces permettent aux femmes, y compris aux femmes noires, de voter. (Voir Droit de vote des Noirs au Canada; Droit de vote des femmes au Canada).

Intégration dans les loisirs

Avant 1960, le Canada réalise des gains importants en matière d’intégration des athlètes noirs dans les sports professionnels. Malgré les obstacles qui bloquent l’intégration des Noirs dans de nombreuses sphères de la vie quotidienne, les Canadiens sont prêts à envisager leur intégration dans le domaine du divertissement sportif. Jackie Robinson est le premier et le plus médiatisé d’entre eux. Robinson signe un contrat avec les Royals de Montréal en octobre 1945. Il joue dans l’équipe-école des Dodgers pendant un an et aide Montréal à remporter la « petite série mondiale » de la ligue internationale Triple-A. Le même automne, Herb Trawick est invité à se joindre aux Alouettes de Montréal dans la Ligue canadienne de football, ce qui fait de lui le premier joueur de football professionnel noir au Canada. Enfin, l’intégration des Noirs au hockey a lieu le 18 janvier 1958, lorsque Willie O’Ree, du Nouveau-Brunswick, patine sur la glace avec les Bruins de Boston.