En relations internationales, une moyenne puissance désigne un État qui exerce moins d’influence sur la scène mondiale qu’une superpuissance. Comme le terme le laisse entendre, les moyennes puissances se placent au centre de l’échelle mesurant l’influence internationale d’un pays. Tandis que les superpuissances exercent une grande influence sur les autres pays et les événements internationaux, les moyennes puissances exercent une influence modérée. Le Canada était considéré comme une puissance moyenne dans l’après-guerre, de 1945 jusqu’à environ 1960. Il n’était pas aussi puissant et ne jouait pas un rôle aussi central que les États-Unis ou le Royaume-Uni à cette époque. Néanmoins, il était un acteur international qui influençait les événements par son autorité morale, sa participation aux opérations de maintien de la paix et sa médiation de conflits.
Des représentants des pays membres-fondateurs de l’OTAN, incluant le Canada, en réunion en 1948.
Le Canada en tant que moyenne puissance
Dans les années 1940, le Canada adopte une politique étrangère de plus en plus indépendante de celle de la Grande-Bretagne. Plusieurs diplomates canadiens commencent alors à considérer leur pays comme une moyenne puissance sur la scène internationale. Bien que le Canada n’ait pas la prééminence de la Grande-Bretagne ou des États-Unis, Ottawa pense pouvoir influencer les événements internationaux par son autorité morale, sa participation aux opérations de maintien de la paix et sa médiation de conflits internationaux.
Plusieurs historiens des affaires étrangères canadiennes ont dit de l’après-guerre (de 1945 jusqu’à 1960 environ) qu’il s’agit de « l’âge d’or de la diplomatie canadienne ». Dans le contexte de l’intensification de la Guerre froide entre les États-Unis et l’Union soviétique, le Canada adopte parfois une perspective de désescalade des tensions. Il fait ainsi contraste aux tendances plus belliqueuses de Londres et Washington. Selon Allan Gotlieb, ex-ambassadeur aux États-Unis, le Canada est « à son aise dans ce rôle de puissance moyenne… il tente d’atténuer les menaces de la Guerre froide, recherche des compromis et fait la promotion de la modération, tout en demeurant entièrement fidèle au bloc de l’Ouest. »
Histoire
L’étroite collaboration entre Ottawa et l’Organisation des Nations Unies (ONU) constitue l’une des pièces maîtresses de la diplomatie canadienne pendant cette période. En 1943, le Canada se voit invité à fonder l’ONU aux côtés des États-Unis et du Royaume-Uni, et joue un rôle de premier plan dans ce processus.
Parmi les principaux diplomates canadiens de cette période, on compte Humphrey Wrong, Lester B. Pearson et Norman Robertson. Ils travaillent tous pour le ministère des Affaires extérieures. Paul Martin père, autre figure importante, occupe quant à lui le poste de secrétaire d’État du Canada à la fin de la guerre.
Ce sont les États-Unis et la Grande-Bretagne qui dictent la planification de l’après-guerre. Les diplomates canadiens recommandent que le Canada y participe également, ce qui avantagerait à long terme les petites et moyennes puissances. Humphrey Wrong fait une importante contribution à cet égard : il propose ce que les historiens et les politicologues appellent « le principe fonctionnel ». Il explique l’idée en 1942 dans une lettre à Norman Robertson : « le degré d’influence de chaque pays devrait être plus grand pour les questions qui le concernent directement. » Le Canada, selon lui, devrait donc avoir une certaine influence dans les comités alliés chargés d’administrer la politique industrielle pendant la Deuxième Guerre mondiale, un secteur où la contribution du Canada est non négligeable.
Certains analystes, tels que Paul Heinbecker, ont avancé que le principe fonctionnel d’Humphrey Wrong est devenu une idée largement acceptée parmi les gouvernements alliés lors de la constitution de l’ONU. Selon eux, il ouvre la voie à l’inclusion de plus petites puissances dans les corps décisionnels de l’organisation. D’autres, notamment l’historien Adam Chapnik, doutent que l’approche d’Humphrey Wrong ait eu beaucoup d’effet sur l’organisation.
Cependant, les historiens s’entendent généralement pour dire que la politique étrangère canadienne d’avant-guerre était banale et peu ambitieuse. Dans les dernières années de la Deuxième Guerre mondiale, toutefois, le Canada est soudainement devenu le principal représentant de plusieurs petites et moyennes puissances.
Lors des débuts de l’ONU en 1945, Lester B. Pearson est l’un des candidats favoris pour le poste de secrétaire général. C’est aussi le cas en 1950 et en 1953. Chaque fois, toutefois, il se heurte au veto de représentants de l’Union soviétique, qui craignent qu’il favorise les intérêts américains.
Malgré tout, il continue de s’impliquer auprès de l’ONU. Après la guerre, il devient ministre des Affaires extérieures. En 1952 et 1953, il occupe le poste de président de l’Assemblée générale de l’ONU et contribue à mettre un terme à la guerre de Corée.
Quatre ans plus tard, il joue un rôle crucial dans la mission de maintien de la paix de l’ONU lors de la crise de Suez. Ses efforts lui vaudront le prix Nobel de la paix. C’est lors de la crise de Suez qu’Ottawa dénonce ouvertement pour la première fois l’hostilité de Londres envers un autre pays (dans ce cas, l’Égypte). Il s’agit d’un tournant majeur dans l’histoire de la politique étrangère canadienne.
Pendant cette période, la diplomatie canadienne est aussi caractérisée par un important degré d’indépendance par rapport à Washington. L’une des manifestations les plus frappantes de cette indépendance est le refus de l’administration Diefenbaker d’installer des missiles nucléaires au Canada (voir La crise des missiles Bomarc).
En dépit des réussites du Canada en matière de maintien de la paix et de médiation de conflits, le pays demeure néanmoins fermement aligné avec les États-Unis. Cette réalité se voit reflétée dans la carrière de Pearson. Il soutient activement l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Ayant succédé à Diefenbaker en tant que premier ministre en 1963, il accepte également les missiles nucléaires américains en sol canadien.
Les caporaux signaleurs canadiens Darrell Houle et Daniel Proulx gardent la porte principale du camp Polom, en Croatie.
Critique
En tant que
doctrine de politique
étrangère, la notion de « moyenne puissance » a été interprétée
de plusieurs façons.
Quand
l’idée entre en vogue chez certains diplomates et journalistes canadiens vers
la fin de la Deuxième Guerre mondiale, certains avancent la possibilité
d’une nouvelle coalition internationale de nations de taille moyenne dirigée
par le Canada. Le Toronto Star publie une chronique en 1945
disant que, « En tant que “moyenne” puissance, ni “grande” ni “petite”,
[le Canada] exerce sur les autres pays de cette classification une certaine
influence et deviendra probablement l’un de leurs principaux représentants… non
pas pour des raisons égoïstes, mais pour le bien commun. »
Cet
hypothétique bloc de moyennes puissances ne s’est cependant jamais vraiment
formé. La majorité de ces États se voient en effet forcés de s’aligner avec l’OTAN ou le Pacte de Varsovie. Les diplomates
canadiens à l’ONU travaillent de temps en temps avec des
états intermédiaires tels que l’Égypte et la Yougoslavie, alors plus proches de
Moscou que de Washington. Cela étant dit, il s’agit le plus souvent de cas
isolés.
D’autres
partisans de l’idée de la puissance moyenne dans les années d’après-guerre
suggèrent que la situation du Canada lui permet de servir de médiateur lors de
possibles conflits internationaux entre les plus grandes puissances. Ce fut le
cas, mais seulement à quelques reprises. En effet, les capacités du Canada de
servir de négociateur se trouvent souvent amoindries par les liens étroits entre
Ottawa et Washington, qui mettent en doute sa capacité d’arbitrer de façon
impartiale.
L’histoire
de la participation canadienne à la guerre du Vietnam suggère que cette méfiance
n’est pas sans raison. En effet, Ottawa a beau se proclamer gardien impartial
de la paix pendant la guerre, son gouvernement vient en aide exclusivement au
Vietnam du Sud. Il aide également aux opérations d’espionnage
de la CIA et facilite la vente d’armes aux États-Unis.
Héritage
Étant donné
la complexité des obligations internationales du Canada pendant la guerre froide, avec les États-Unis d’un côté et
la communauté internationale de l’autre, plusieurs historiens considèrent
maintenant le concept de puissance moyenne comme une simplification excessive
du statut du Canada d’après-guerre. Adam Chapnik, par exemple, avance que « l’idée
de moyenne puissance était… plutôt vague, compliquée, et insuffisamment
réfléchie. Les attentes attachées au nouveau statut du Canada étaient irréalistes. »
En dépit de
cela, il est évident que le Canada a établi plusieurs précédents majeurs en ce
qui concerne l’ordre international d’après-guerre. Il est l’un des premiers
États en dehors des grandes puissances à s’impliquer dans la création des Nations Unies. Ses corps
diplomatiques se sont consacrés avec ferveur aux causes du maintien de la paix et de la coopération
internationale.
Voir
aussi : Affaires
mondiales Canada (AMC) ; Représentation
diplomatique et consulaire ; Bureaucratie
et organisation formelle.