La Confédération canadienne de 1867 prévoit la création d’un état provincial au Québec, seul territoire où la population est majoritairement de langue française. Cette caractéristique identitaire marque profondément toute l’histoire du Québec par la suite et alimente les débats à propos de son avenir.
La religion catholique est aussi longtemps un marqueur identitaire, à forte teneur conservatrice. La société québécoise doit s’adapter aux grands phénomènes qui se déploient dans le monde occidental (industrialisation, urbanisation et modernité). La population francophone cohabite, parfois dans l’harmonie, parfois dans les tensions, avec sa contrepartie anglophone et intègre d’autres apports de l’étranger. La Révolution tranquille des années 1960 marque un point de bascule : nouveau nationalisme, recul du religieux et programme modernisateur. Cet article fait ressortir les grandes tendances et les principaux événements qui ont marqué l’évolution du Québec depuis 1867.
Les dernières décennies du XIXe siècle
La Confédération permet de régler de façon permanente un problème politique auquel le Canada est confronté depuis plusieurs décennies : l'existence d'une nation canadienne-française dans un pays qui, grâce à l'immigration, est devenu majoritairement anglophone.
La Confédération confirme la mise en minorité des Canadiens français, mais attribue un statut de province à leur territoire d'origine, l'ancien Bas-Canada, et reconnaît le bilinguisme des institutions fédérales. Les Canadiens français constituent la majorité dans la nouvelle province, le Québec, et obtiennent la responsabilité de leur propre développement social et culturel. La minorité anglophone y obtient tout de même d’importantes protections religieuses et linguistiques. Cette réorganisation politique n'est cependant que l'une des transformations fondamentales qui affectent la société québécoise à cette époque.
Pendant longtemps, les auteurs qui écrivaient sur l'histoire du Québec l'ont perçue comme celle d’une société traditionnelle, en marge des changements observés ailleurs en Amérique du Nord. Ils décrivaient le Québec comme une société paysanne et mettaient l'accent sur sa stabilité en affirmant qu'au fond, ses caractéristiques avaient bien peu évolué entre le XVIIIe siècle et le milieu du XXe siècle. Toutefois, depuis les années 1960, de nouvelles recherches historiques permettent de constater que la société québécoise était beaucoup plus complexe, qu'elle a connu une évolution constante, avec des phases d'apparente stabilité et des phases de changement accéléré. Elles montrent que le Québec participe aux grandes transformations qui affectent le monde atlantique entre 1815 et 1930 : mouvements de population de grande envergure, industrialisation et urbanisation croissantes, et que la seconde moitié du XIXe siècle s'avère un moment crucial à cet égard.
Les changements démographiques
Comme on peut le constater en observant l'évolution démographique, la composition ethnique de la population du Québec change de façon significative au cours du XIXe siècle. À la suite d'une forte vague migratoire en provenance des îles Britanniques, entre 1815 et 1860, le quart du 1,2 million d'habitants que compte le Québec vers 1867 tire son origine ancestrale de Grande-Bretagne et surtout d’Irlande, tandis que les trois quarts sont d'origine française. Vers 1870, cependant, cette vague migratoire ralentit et la proportion des Québécois d'origine française va en augmentant au cours des décennies suivantes.
Un taux de natalité élevé explique l'augmentation de la population canadienne-française. Dans les vieilles zones rurales du Québec, celle-ci devient même trop considérable et les fils de cultivateurs doivent se diriger ailleurs pour trouver un emploi. Un Canadien français qui veut être agriculteur n'a alors d'autre choix que d'aller vers les régions de colonisation du Québec, souvent éloignées, où la terre est peu fertile et les conditions de vie difficiles. Certaines, comme les Bois-Francs, sont sur la rive sud, mais la plupart sont situées au nord de la vallée du Saint-Laurent, notamment les Laurentides, Lanaudière, la Mauricie et le Saguenay–Lac-Saint-Jean. Le colon est isolé et, à cause du rendement insuffisant de sa ferme, il doit souvent travailler en forêt, comme bûcheron, pour joindre les deux bouts. Peu de ruraux québécois sont attirés par les nouvelles régions de colonisation, et la majorité préfère se diriger vers la ville, car même les longues heures de travail en usine paraissent préférables à la vie de colon.
Les filatures de la Nouvelle-Angleterre ont alors besoin d'une abondante main-d’œuvre à bas salaires et elles la trouvent dans les campagnes du Québec. Durant les dernières décennies du XIXe siècle, l'émigration aux États-Unis devient un mouvement de masse (voir Franco-américains). On estime qu'entre 1850 et 1930, près d'un million de Canadiens français tentent ainsi l'aventure américaine. Pour la majorité d’entre eux, ce départ est définitif, mais une certaine proportion revient au Québec et contribue à y diffuser l’influence américaine, notamment dans les affaires, le syndicalisme, les arts et le journalisme. Le surplus de population rurale favorise aussi l'émergence d'entreprises manufacturières (voir Fabrication industrielle) au Québec même. C'est un des nombreux facteurs qui expliquent la croissance industrielle au Québec. L'expansion du marché intérieur canadien, la construction ferroviaire et les politiques économiques du gouvernement du Canada, en particulier le tarif protectionniste de 1879 (voir Politique nationale), y contribuent aussi.
L’industrialisation
L'industrialisation du Québec pendant cette période se déroule en deux étapes. La première, au milieu du XIXe siècle, est surtout concentrée à Montréal. La seconde, dans les années 1880, permet de renforcer la structure industrielle montréalaise, mais elle est aussi témoin de l'implantation de l'industrie dans plusieurs autres villes, petites et moyennes, notamment à Québec et dans les centres urbains des Cantons de l'Est, tels Sherbrooke, Magog, Coaticook ou Granby.
Au Québec, l'industrialisation s'appuie surtout sur l'industrie légère, qui emploie une main-d’œuvre abondante et faiblement rémunérée et qui produit des biens de consommation, tels la chaussure, le textile, le vêtement et les aliments. Il y a aussi de l'industrie lourde, liée au secteur des transports et à la transformation des métaux et centralisée à Montréal.
L'industrialisation accélère le processus d'urbanisation et, à la fin du XIXe siècle, le tiers des Québécois vivent dans les villes. La croissance urbaine et industrielle la plus significative se manifeste à Montréal, où la moitié de la production industrielle du Québec est concentrée et où habitent près du quart des Québécois, en 1901.
La majorité de la population du Québec vit néanmoins dans les régions rurales, où l'agriculture de subsistance cède de plus en plus la place à des productions commerciales. Les agriculteurs abandonnent la culture des céréales pour se consacrer à l'élevage laitier et à des cultures spécialisées. Un changement d'une telle importance ne peut se faire que graduellement, à des rythmes fort inégaux d'une région à l'autre.
De nouveaux groupes sociaux
La croissance économique de cette période favorise l'émergence d'une nouvelle bourgeoisie dont les membres, contrairement à leurs prédécesseurs, ne se limitent pas au secteur commercial, mais investissent également dans les transports, le secteur financier et les entreprises industrielles. On les trouve surtout parmi les groupes d'origine anglaise ou écossaise, et ils sont concentrés à Montréal, métropole du Canada. Ils ont la mainmise sur les grandes entreprises œuvrant à l'échelle du Canada telle la puissante Banque de Montréal (fondée en 1817). Les Canadiens français sont à peu près absents des rangs de la grande bourgeoisie, mais ils manifestent de plus en plus leur présence à un autre niveau, celui de la moyenne bourgeoisie, qui œuvre à l'échelle locale ou régionale. Ils participent activement à l'exercice du pouvoir politique au Québec et mettent sur pied des institutions francophones telles des banques, une presse d'affaires, des chambres de commerce.
L'industrialisation conduit aussi à la formation d'une classe ouvrière. À Montréal, à Québec et dans les petites villes industrielles, les Québécois qui ont quitté les fermes pour devenir ouvriers vivent dans des conditions pénibles : bas salaires, longues journées de travail, mauvaises conditions de logement, taux de mortalité élevés et chômage saisonnier. Les ouvriers canadiens-français, peu qualifiés, doivent se contenter des emplois les moins bien rémunérés. C'est particulièrement le cas pour les femmes (voir Condition féminine), de plus en plus nombreuses dans les industries du textile, du vêtement et du tabac. L'importance croissante de la classe ouvrière est confirmée par la montée du mouvement ouvrier dans les années 1880 et 1890 (voir Histoire des travailleurs du Québec). Le syndicalisme est rapidement dominé par deux organisations américaines, les Chevaliers du travail et la Fédération américaine du Travail, qui mettent sur pied des syndicats affiliés au Canada. Pendant cette période, seule une faible proportion des ouvriers québécois (surtout parmi les plus qualifiés) est syndiquée.
Le conservatisme
Sur le plan politique, cette période est dominée par le Parti conservateur qui, sauf pour de brefs intermèdes, est constamment au pouvoir à Ottawa comme à Québec. Après le décès de George-Étienne Cartier en 1873, le parti est déchiré par les querelles entre ses ailes ultramontaine (voir Ultramontanisme) et modérée. Entre 1867 et 1897, le Québec a 10 premiers ministres : 8 conservateurs, dont Pierre-Joseph-Olivier Chauveau (1867-1873) et Joseph-Adolphe Chapleau (1879-1882), et deux libéraux, dont Honoré Mercier (1887-1891). Ce dernier prend le pouvoir à la tête d’une coalition, le Parti national, formée en réaction à la pendaison de Louis Riel.
L’action des gouvernements du Québec à cette époque est modeste, car leurs moyens sont limités. Les revenus de la province proviennent des subventions fédérales et des redevances sur les ressources naturelles. Les dépenses publiques les plus substantielles relèvent des municipalités (voirie, aqueducs et égouts). Les gouvernements qui se succèdent à Québec tentent de favoriser le développement économique par la colonisation agricole, l’exploitation des ressources naturelles et surtout la construction ferroviaire (voir Histoire du chemin de fer). Ils cherchent à hausser le niveau d’éducation de la population, mais s’en remettent à l’Église catholique et aux Commissions scolaires pour y parvenir. La fonction de premier ministre du Québec gagne en prestige et devient associée à un rôle de porte-parole des francophones du Canada, surtout sous Honoré Mercier.
Le pouvoir de l’Église catholique
L'Église catholique (voir Catholicisme) représente une puissante force sociale. Elle a la mainmise sur le système d'éducation et, grâce à son réseau de paroisses et d'associations religieuses, exerce une forte emprise morale sur le peuple. Ses évêques (Ignace Bourget, Elzéar-Alexandre Taschereau et plusieurs autres) disposent d’une forte autorité. La vitalité et le pouvoir social de l'Église sont alimentés par la rapide croissance des effectifs du clergé et des communautés religieuses, qui se manifeste depuis le milieu du XIXe siècle. Les communautés féminines ont les effectifs les plus nombreux et dispensent des services éducatifs, sociaux et hospitaliers. Dans un contexte où le Code civil réduit la femme mariée à un statut de mineure, de nombreuses Québécoises trouvent dans la vie religieuse un lieu où peut s’épanouir une activité professionnelle, malgré les limites imposées à leur vie personnelle. Chez les hommes, l’arrivée de France de congrégations de prêtres et de frères enseignants, qui recrutent ensuite au Québec, vient renforcer l’encadrement religieux.
Le pouvoir de l'Église a cependant ses limites. Malgré ses succès dans les champs social et culturel, son influence est moins forte dans les domaines de l'économie ou de la politique. Le clergé ne parvient pas à freiner l'industrialisation ou l'émigration vers les États-Unis. Il tente bien de contrôler les hommes politiques, allant même jusqu'à appuyer le Programme catholique aux élections de 1871, mais n'y parvient pas. Plusieurs prêtres expriment ouvertement leur opposition au Parti libéral, mais celui-ci, sous la direction de Wilfrid Laurier au fédéral et d’Honoré Mercier au provincial, atténue son intransigeance et accroît ses appuis parmi la population.
Le clergé protestant est beaucoup plus morcelé. Ses fidèles, presque tous anglophones, se répartissent entre les anglicans (les plus nombreux), les presbytériens (voir Églises presbytériennes et réformées) et les méthodistes, mais aussi parmi un grand nombre de sectes. Les temples protestants parsèment le paysage et abritent une vie associative intense. Minoritaires, les protestants québécois pratiquent une stratégie d’unité en matière d’éducation (commissions scolaires et Université McGill) et de santé.
Sur le plan culturel, le Québec est encore une société périphérique. La mère patrie française attire les élites francophones, même si dans les milieux cléricaux, on fustige la France officielle, républicaine et laïque, pour privilégier la France profonde, rurale et catholique. Les promoteurs américains dominent néanmoins les arts de la scène, organisant les tournées d’orchestres et de troupes de théâtre, et rares sont les spectacles en français. En littérature, le roman français, diffusé en feuilletons dans les journaux, est le plus lu. Timidement émerge une littérature nationale avec des auteurs comme Louis-Honoré Fréchette, Joseph Marmette et Laure Conan (Félicité Angers). Dans les beaux-arts, les artistes acquièrent leur formation lors de séjours aux États-Unis et en France. Le sculpteur Louis-Philippe Hébert et le peintre Napoléon Bourassa ont un certain succès auprès des autorités politiques et religieuses, responsables des principales commandes. Dans les médias, l’époque voit émerger la presse populaire à grand tirage (La Presse, La Patrie et The Montreal Daily Star) qui contribue à façonner la culture québécoise.
Même si le monde rural représente toujours une caractéristique importante à la fin du XIXe siècle, le développement économique et social du Québec est parallèle à celui d'autres régions d'Amérique du Nord qui sont en voie d'industrialisation. Toutefois, la langue et la culture (dont la religion catholique) distinguent nettement le Québec du reste du continent. De plus, les Canadiens français ne dominent pas le développement économique de leur province. Ils sont souvent des citoyens de seconde zone, plus susceptibles d'être ouvriers que patrons.
Une ère de croissance (1896-1930)
Pendant les trois premières décennies du XXe siècle, le Québec connaît une forte croissance économique et sa population passe de 1,5 à 2,9 millions de personnes. Le rythme des changements qui ont caractérisé l'époque précédente s'accélère. L'industrialisation et l'urbanisation poursuivent leur progression : pendant la Première Guerre mondiale, la part de la population urbaine atteint 50 % et elle grimpe à 60 % en 1931.
L'agglomération de Montréal s'affirme encore plus comme la métropole du Québec et rassemble 35 % de la population de la province en 1931. Sa croissance industrielle est remarquable : de nouvelles industries se développent, tandis que les entreprises déjà bien établies accroissent substantiellement leur production pour répondre à la demande engendrée par la croissance rapide du Canada. Grâce à ses réseaux de chemins de fer, à ses grandes banques et à ses nombreuses entreprises commerciales et industrielles, Montréal devient le centre organisateur du développement des provinces de l'Ouest. Son port expédie le blé canadien vers l'Europe. Montréal reste le plus important centre industriel du Canada et assure les deux tiers de la valeur de la production manufacturière du Québec (voir Fabrication industrielle).
Un univers social plus diversifié
Simultanément, le paysage québécois est transformé par un nouveau type d'industrialisation centré sur l'exploitation des ressources naturelles. Des industries liées aux ressources hydroélectriques et forestières (pâtes et papiers, aluminium, chimie) se développent rapidement dans les anciennes régions de colonisation, comme la Mauricie et le Saguenay–Lac-Saint-Jean. Elles provoquent l’émergence de villes nouvelles, telles Shawinigan, Arvida ou Kénogami. Plus au nord, l’Abitibi est cédé au Québec par le gouvernement fédéral en 1898. L’arrivée du chemin de fer National Transcontinental permet d’y lancer la colonisation agricole vers 1912. Puis, à partir des années 1920, l’exploitation minière transforme la région et entraîne la création d’un nouveau pôle autour de Rouyn et Noranda. L'émigration vers les États-Unis ralentit, bien qu'elle reste importante jusqu'en 1930.
À mesure que s'accroît la concentration des entreprises dans les secteurs bancaire et industriel, le pouvoir économique devient encore plus centralisé aux mains d'une poignée de grands capitalistes de Montréal, presque tous Canadiens anglais. La bourgeoisie canadienne-française est marginalisée et son emprise réduite aux entreprises de nature locale et aux secteurs traditionnels. Elle conserve toutefois une forte présence sur la scène politique, surtout à l'échelon provincial.
La majorité des Canadiens français n'a cependant d'autre choix que l'agriculture ou le travail en usine. La situation des agriculteurs québécois continue à s'améliorer jusqu'à la Première Guerre mondiale, grâce à la spécialisation et à la commercialisation accrues. Pendant les années 20, ils cherchent à briser leur isolement traditionnel en formant des associations et des coopératives (voir Fermiers Unis du Québec; Mouvement coopératif).
Dans les villes, les ouvriers canadiens-français font maintenant face à la concurrence d'une nouvelle vague d'immigrants, venant de plus en plus d'Europe continentale. Parmi les groupes ethniques qui ne sont ni d'origine française, ni d'origine britannique, les Juifs d'Europe de l'Est sont les plus nombreux, suivis de loin par les Italiens. Pendant la seconde moitié du XIXe siècle, la proportion des Canadiens français dans la population du Québec passe de 75 % à 80 % et elle se maintient à ce niveau dans les premières décennies du XXe siècle. La part du groupe d'origine britannique décline toutefois à 15 % en 1931, tandis que celle des groupes d'autres origines que française ou britannique atteint près de 6 %. La diversité ethnique est cependant un phénomène de plus en plus limité à l'île de Montréal, où environ 60 % de la population est d'origine française.
La situation de la classe ouvrière s’améliore. L’essor du syndicalisme permet des gains dans les conditions de travail. L’imposition de mesures d’hygiène publique (filtration de l’eau, pasteurisation du lait, vaccination des enfants) fait reculer la mortalité. Les nouveaux logements sont dotés du confort moderne. Il subsiste néanmoins de fortes inégalités et les ouvriers peu qualifiés vivent souvent dans la précarité. Les organismes de charité associés aux Églises continuent à porter le fardeau de l’aide aux démunis et il faut attendre 1921 pour que le gouvernement commence à leur accorder un appui financier.
Par ailleurs, l’urbanisation favorise l’essor des services et la multiplication des emplois de commis de bureaux et de magasins, de comptables, d’agents d’assurance ou de petits commerçants. Parmi ces cols blancs émerge une nouvelle classe moyenne, mais se développent aussi des couches d’emplois à bas salaires, notamment occupés par les jeunes femmes. Celles-ci sont de plus en plus présentes sur le marché du travail, aussi bien dans l’industrie que dans les services, jusqu’au moment de leur mariage, et elles reçoivent un salaire nettement inférieur à celui des hommes.
La polarisation politique
Tout comme à la fin du siècle précédent, les hommes politiques et les hommes d'affaires canadiens-français appuient vigoureusement le développement industriel. Le Parti libéral provincial, au pouvoir de 1897 à 1936, mise beaucoup sur la grande entreprise et sur l'apport du capital américain pour développer les nouvelles industries d'exploitation des ressources naturelles. Les premiers ministres Félix-Gabriel Marchand (1897-1900), Simon-Napoléan Parent (1900-1905), Lomer Gouin (1905-1920) et Louis-Alexandre Taschereau (1920-1936) poursuivent tous des programmes de modernisation. Les gouvernements de Gouin et de Taschereau misent sur l’enseignement technique et professionnel et sur les bourses d’études pour améliorer la formation de la main-d’œuvre. Ils investissent massivement dans les infrastructures routières (voir Routes et autoroutes). Dans le monde rural, ils soutiennent l’essor d’une agriculture commerciale. Sous leur direction, l’État intervient dans l’aide aux services sociaux et l’appui à la culture.
Cependant, un groupe d'intellectuels et de membres de professions libérales, dirigé successivement par Henri Bourassa et Lionel Groulx, s'approprie l'étiquette de nationaliste et veut résister à l'industrialisation rapide et surtout à la vente des ressources naturelles à des étrangers. Il reçoit un solide appui du clergé catholique, alarmé par l'ampleur de l'exode rural (voir Société rurale au Québec) et par l'urbanisation rapide de la population. Cependant, plutôt que de rejeter globalement un processus qu'il ne contrôle pas, le clergé adopte une nouvelle stratégie en mettant sur pied des organisations qui lui assureront une mainmise de l'intérieur sur le nouvel ordre économique et social. Par exemple, le clergé favorise la création de syndicats catholiques qui s'implantent surtout dans les petites villes industrielles du Québec. Ces syndicats ne réussissent toutefois pas à percer à Montréal et, malgré l'appui du clergé, ils ne rassemblent qu'un quart des syndiqués québécois à la fin des années 20, les autres préférant les syndicats internationaux d'origine américaine (voir Centrales syndicales québécoises).
Libéralisme et traditionalisme
Tout au cours de la période, deux conceptions de la société québécoise s'opposent sur la place publique. La première, appelée idéologie libérale (voir Libéralisme), est soutenue par les hommes d'affaires et la majorité des hommes politiques. Mettant l'accent sur la croissance économique et l'idée de progrès, elle accorde une grande importance à l'individu et à la libre entreprise. Ses représentants croient que l'avenir de la nation passe par le progrès individuel de ses membres et que la voie de la croissance économique est la seule viable pour le Québec. Puisqu'ils estiment que le progrès individuel conduit au progrès collectif, ils sont convaincus que c'est l'éducation qui mène à l'amélioration de la situation économique. Ils veulent donc moderniser les structures économiques du Québec, mais sans bouleverser les rapports sociaux. Ils n’osent pas remettre en question l’emprise du clergé, même si certains cherchent à la limiter, et la majorité refuse de modifier les droits respectifs des hommes et des femmes (voir Condition féminine).
S'opposant à ce libéralisme, l'idéologie traditionaliste, appelée aussi clérico-nationalisme, croit que le salut de la nation passe par le respect des traditions et par le maintien des valeurs canadiennes-françaises et catholiques, ce qui l'amène à valoriser la vie rurale. Soutenue par des intellectuels nationalistes et par de nombreux membres du clergé, cette idéologie s'oppose à presque tout ce qui est étranger. Elle est exprimée avec force dans un grand nombre de publications, de discours et de sermons. Elle est formulée de façon beaucoup plus explicite et structurée que l'idéologie libérale, ce qui a longtemps conduit les historiens et les sociologues à la considérer comme l'idéologie dominante au Québec. En réalité, la situation est plus complexe. Malgré la résistance des ténors du courant clérico-nationaliste, l'industrialisation se poursuit et un nombre croissant de Québécois francophones quitte la ferme pour se diriger vers la ville. Le rêve d'un retour à la société rurale traditionnelle ne se réalisera jamais.
Quant aux idéologies socialistes (voir Socialisme), très importantes en Europe à l'époque, elles n'occupent qu'une position marginale au Québec. Quelques représentants syndicaux se lancent dans l'action politique grâce au Parti ouvrier, mais leur discours est plus près de celui des travaillistes anglais que des socialistes européens.
Le féminisme (voir Mouvement des femmes) fait aussi sentir sa présence au Québec, tant chez les anglophones que chez les francophones. Le mouvement féministe réussit à élargir l’accès des femmes aux études supérieures et à certaines professions libérales, mais celles d’avocate et de notaire leur restent interdites. À partir de 1917, les femmes obtiennent le droit de vote au fédéral, mais les élites religieuses et politiques leur refusent ce même droit aux élections provinciales.
Le conservatisme social des élites pèse aussi sur le champ culturel. En littérature, la tradition ruraliste (« régionaliste ») perdure, même si des auteurs modernistes (les « exotiques ») la contestent. Les nouvelles écoles des beaux-arts valorisent la tradition classique, mais certains artistes, comme Morrice, Suzor-Côté ou Cullen, affichent des influences plus modernes. Dans le milieu universitaire et dans celui des arts, l’influence de la France reste très forte. Elle se fait aussi sentir dans la culture populaire, mais cette dernière est surtout marquée par une américanisation rapide que renforcent le contrôle étatsunien sur les tournées de spectacles et les salles de cinéma, ainsi que la diffusion des produits de consommation et de l’American Way of Life.
La montée du nationalisme canadien-français, sous l’influence de Bourassa, soulève en outre la question de la place du Québec dans la Confédération. Quand Wilfrid Laurier est premier ministre fédéral, bien des Canadiens français pensent que, grâce à lui, ils détiennent un certain pouvoir. En réalité, ils assistent à une réduction de leurs droits scolaires et linguistiques dans plusieurs parties du pays, malgré les luttes vigoureuses menées par les nationalistes. L'élection d'un gouvernement conservateur à Ottawa, en 1911, et surtout la crise de la Conscription de 1917 accentuent l'échec des nationalistes et contribuent à l'isolement du Québec. Par la suite, le Québec se range massivement derrière le Parti libéral fédéral. Une autre conséquence de cet échec est la réorientation du nationalisme. Désormais inspiré par Lionel Groulx, ce courant se concentre plus nettement sur le Québec, perçu comme la patrie des Canadiens français. Il dénonce la marginalisation des francophones et de leur langue dans leur propre province.
La Crise et la Guerre (1930-1945)
La Crise des années 1930 paraît donner en partie raison au clergé et aux intellectuels nationalistes qui prédisent depuis longtemps l'échec du modèle libéral. Au Québec, la région la plus touchée est celle de Montréal. Principal port du Canada, la métropole est très affectée par le chômage quand le commerce international et les exportations canadiennes s'effondrent. De plus, la chute de la consommation intérieure heurte de plein fouet ses industries manufacturières. Montréal se retrouve donc avec des dizaines de milliers de sans-emploi qui doivent compter sur l'aide gouvernementale pour survivre.
L’intervention de l’État
Partout au Canada, les solutions traditionnelles, reposant avant tout sur la charité privée, s'avèrent insuffisantes pour résoudre la crise, et les gouvernements doivent intervenir. Dépassés par l'ampleur des problèmes, les gouvernements provinciaux font appel à Ottawa, qui participe au financement de l'aide aux chômeurs. Cette intervention fédérale en matière de politique sociale provoque une remise en question du fonctionnement du fédéralisme canadien, avec les travaux de la commission Rowell-Sirois (voir Commission royale d’enquête sur les relations fédérales-provinciales). Elle marque aussi le début d'un long processus de centralisation au bénéfice du gouvernement fédéral, qui a un impact considérable sur le Québec.
La Deuxième Guerre mondiale joue un rôle déterminant à cet égard, alors qu'Ottawa intervient massivement dans la gestion de l'économie. Pendant la Crise et la guerre, on en vient graduellement à accepter l'idée d'une intervention gouvernementale plus systématique, à l'aide de politiques économiques keynésiennes. Un tel changement soulève toutefois une question fondamentale dans un régime fédéral tel celui du Canada : quel gouvernement doit avoir la responsabilité des nouveaux instruments de régulation? Généralement, les Canadiens anglais en viennent à estimer que ce doit être une responsabilité fédérale, afin que puisse s'établir une égalité des chances d'un bout à l'autre du pays.
À l'opposé, la majorité des penseurs et des hommes politiques francophones du Québec s'opposent à une telle concentration des pouvoirs à Ottawa, parce qu'elle menace l'autonomie que les Canadiens français ont acquise grâce à l'existence d'un gouvernement provincial qu'ils contrôlent. La question est d'autant plus compliquée que la plupart des députés du Québec à Ottawa sont des libéraux, dont le parti détient le pouvoir de 1935 à 1957, et qu'ils appuient la centralisation fédérale. Pendant la guerre, le gouvernement fédéral peut imposer sa solution, mais la paix revenue, la question ressurgit avec force. En conséquence, l'histoire du Québec dans la seconde moitié du XXe siècle (et celle du Canada tout entier) est marquée par d'incessantes luttes fédérales-provinciales.
Les perturbations causées par la crise économique remettent en question l'ordre politique et social existant. Les groupes communistes et socialistes sont alors en plein essor au Canada, mais ils ne réussissent pas à attirer les Canadiens français, chez qui la tradition de gauche est à peu près inexistante. Au Québec, leur recrutement se fait surtout parmi les immigrants et chez certains intellectuels anglophones. Ce sont plutôt les mouvements nationalistes et traditionalistes qui ont la faveur des Canadiens français. En 1933, une équipe de prêtres et de laïcs publie le Programme de restauration sociale, mettant l'accent sur le nationalisme et le corporatisme, dont s’inspire l’année suivante l'Action libérale nationale (ALN), un nouveau parti fondé par un groupe de libéraux dissidents. Aux élections de 1935, l’ALN, dirigée par Paul Gouin, forme avec les conservateurs de Maurice Duplessis, une alliance qui vient près de renverser les libéraux. Cette dernière, devenue l’Union nationale, y parvient l’année suivante et Duplessis devient premier ministre. Adoptant un discours très conservateur, son gouvernement met en place le crédit agricole et l’aide aux mères nécessiteuses, mais s’avère incapable de stimuler l’économie encore en crise. Il perd les élections de 1939.
L’effet du conflit mondial
L'effervescence idéologique des années 30 s'estompe avec la guerre. Au Québec, la guerre est synonyme de retour à la prospérité et au plein emploi. Les Québécois profitent en effet de la guerre, mais ils sont réticents à en payer le prix. Même si des milliers de Canadiens français s'enrôlent pour combattre en Europe, l'armée canadienne reste une institution profondément anglophone qui n'attire guère les francophones du Québec. Les dirigeants nationalistes présentent la guerre comme un phénomène étranger qui ne concerne pas les Canadiens français, de sorte qu'une intense résistance à la participation militaire du Canada en Europe, et surtout à la conscription, se développe au Québec.
En 1942, Ottawa tient un plébiscite pancanadien sur la conscription. Une forte majorité de Québécois vote contre l'enrôlement obligatoire pour le service outre-mer, tandis qu'une majorité de Canadiens anglais dans les autres provinces y est favorable. Il en résulte de sérieuses divisions nationales. Une des conséquences est la création d’un nouveau parti, le Bloc populaire canadien, doté d’une aile fédérale et d’une aile provinciale et dont les succès électoraux sont très limités.
La guerre a aussi, sur le plan social, des conséquences à long terme qui touchent aussi bien les mentalités que la vie quotidienne. Les Québécois qui combattent en Europe sont en contact avec des cultures et des modes de vie différents des leurs. Des milliers de femmes travaillent en usine, afin de répondre aux besoins militaires, et même si plusieurs retournent à un rôle familial plus traditionnel après le conflit, leur expérience a des effets à long terme (voir Les femmes et la guerre). L'impact de la guerre se fait particulièrement sentir en milieu rural. Les agriculteurs sont encore plus intégrés à l'économie capitaliste et sont amenés à améliorer l'exploitation de leurs fermes pour les rendre plus productives, tandis que leurs fils et leurs filles quittent la campagne pour travailler en usine. De plus, la propagande du temps de guerre, l'accès plus grand à la radio et l'amélioration des communications contribuent à intégrer les ruraux dans le courant de modernisation qui se manifeste au Québec depuis longtemps, mais qui n'a pas touché également toutes les régions.
Pendant cette période, le libéral Adélard Godbout est premier ministre du Québec (1939-1944). Son gouvernement lance un ensemble de réformes dont l’esprit préfigure celui de la Révolution tranquille. Il règle des questions qui faisaient depuis longtemps l’objet de débats interminables : le droit de vote des femmes (1940), la fréquentation scolaire obligatoire (1942) et l’étatisation de l’électricité à Montréal, avec la création d’Hydro-Québec (1944). Il fait adopter le Code du travail et lance une étude sur l’assurance-maladie. Il termine la construction de l’Université de Montréal, interrompue pendant la crise, et favorise les réformes scolaires. L’appui de Godbout à l’effort de guerre et son attitude lors de la crise de la conscription dressent contre lui l’électorat nationaliste, ce qui contribue à sa défaite en 1944.
L’époque duplessiste (1945-1959)
Après la guerre, le Québec connaît une autre période de croissance économique accélérée. Cela est particulièrement visible dans le secteur des ressources naturelles, stimulé par la demande américaine. La manifestation la plus spectaculaire en est l'ouverture à l'exploitation minière des régions septentrionales de la Côte-Nord et du Nouveau Québec. La croissance se fait aussi sentir dans le secteur manufacturier et dans les services. Une nouvelle poussée d'urbanisation accélère l'exode rural, de sorte qu'en 1960, les agriculteurs ne représentent plus qu'une faible minorité de la population active du Québec. En outre, le niveau de vie s'améliore de façon notable, ce qui permet aux Québécois d'accéder en plus grand nombre à la société de consommation.
La prospérité d’après-guerre
La population du Québec augmente substantiellement, passant de 3,3 à 5,3 millions d’habitants entre 1941 et 1961. Le nombre de naissances s'accroît (voir Baby-boom) et reste à un niveau élevé jusqu'au début des années 1960. L'immigration reprend, après avoir été presque réduite à néant entre 1930 et 1945. Les nouveaux venus proviennent en grand nombre des îles Britanniques, comme auparavant, mais aussi d'Europe du Sud, en particulier d'Italie et de Grèce. Le caractère cosmopolite de Montréal s'en trouve accentué et, en 1961, les Québécois d'origine italienne forment le plus important groupe ethnique d'origine autre que française ou britannique.
La croissance économique a aussi des effets sociaux très significatifs. Elle favorise la montée d'une nouvelle classe moyenne de gestionnaires, de travailleurs hautement qualifiés et d'enseignants. Ce groupe réclame de plus en plus une modernisation des structures politiques et sociales du Québec, encore fortement marquées par le traditionalisme et l'emprise du clergé. L'écart entre, d'une part, la réalité socio-économique et les besoins de la population et, d'autre part, le traditionalisme des institutions devient de plus en plus évident.
Autour des grandes villes s’étale une nouvelle banlieue, façonnée par l’automobile et par la maison unifamiliale entourée de gazon dont le bungalow fait figure de paradigme. L’accès à la propriété devient plus facile dans cette société urbaine jusque-là massivement locataire. L’idéal de la banlieue appuie, dans les médias, une vision modernisée de la mère au foyer que l’arrivée des électroménagers est censée libérer des tâches domestiques les plus lourdes. Les femmes mariées sont encore peu présentes sur le marché du travail, mais la main-d’œuvre féminine augmente de façon substantielle avec la participation accrue des célibataires. En outre, l’ouverture accélérée de nombreux établissements d’enseignement féminins permet aux jeunes filles d’acquérir une formation plus poussée, même si les conventions sociales continuent à les confiner dans des ghettos d’emploi et dans des postes subalternes (voir Condition féminine).
Un sursaut traditionnaliste
Tout au long de cette période d'après-guerre, le Québec est gouverné par l'Union nationale et son chef, Maurice Duplessis. Maintenu au pouvoir grâce à l'appui des éléments les plus traditionnels de la société, à la corruption politique et aux distorsions d'une carte électorale inadaptée aux réalités démographiques, Duplessis dirige un gouvernement conservateur qui affiche une vision traditionaliste de la société québécoise. Même si des groupes de plus en plus nombreux expriment le besoin de réformes en profondeur, l'Union nationale en retarde la mise en œuvre.
Le gouvernement Duplessis justifie ses politiques au nom du nationalisme, mais d'un nationalisme traditionnel et conservateur qui met l'accent sur la religion, la langue et le caractère rural du Canada français. Il résiste au gouvernement fédéral au nom de l'autonomie provinciale. De son côté, le gouvernement fédéral représente un nouveau type de libéralisme réformateur qui attire plusieurs jeunes intellectuels canadiens-français. Ceux-ci décrivent alors la période duplessiste comme celle de la Grande Noirceur. En outre, le gouvernement fédéral est dirigé par un Canadien français, Louis St-Laurent, qui obtient un fort appui de l'électorat québécois. Ainsi, une partie de cet électorat appuie simultanément deux premiers ministres aux orientations opposées.
La période duplessiste est particulièrement difficile pour le mouvement syndical qui se heurte aux politiques antisyndicales du gouvernement. De nombreuses grèves, surtout la Grève de l’amiante en 1949, ont un retentissement considérable. On assiste aussi à des changements au sein du monde syndical : les syndicats catholiques se laïcisent et se radicalisent (voir Confédération des syndicats nationaux; Centrales syndicales québécoises) et la fusion des deux grandes centrales américaines, la Fédération américaine du Travail et le Congrès des organisations industrielles (voir AFL-CIO), mène au regroupement de leurs organisations affiliées au Québec.
Avec l’appui de Duplessis, l’Église catholique continue à jouir d’un prestige et d’un pouvoir considérables. Les effectifs du clergé sont toutefois insuffisants pour répondre à la demande croissante en éducation, en santé et en services sociaux. Débordés, les établissements confessionnels font appel à du personnel laïque qui réclame voix au chapitre. La hiérarchie résiste et cherche à renforcer son autorité (ce dont témoigne, à Montréal, le remplacement de Mgr Charbonneau par le cardinal Léger), mais elle est de moins en moins en mesure d’endiguer le changement social que même certains prêtres appuient.
La révolte anticléricale des auteurs du manifeste Refus global (1948) leur vaut d’être temporairement ostracisés. Le milieu culturel constitue néanmoins un ferment de changement, ce que favorise l’arrivée de la télévision (1952), contrôlée par le gouvernement fédéral, et qui devient à la vitesse de l’éclair le média de masse par excellence.
Les effets de la Révolution tranquille (1960-1980)
Certaines des institutions de la société québécoise (notamment le système d'éducation, les services sociaux et la fonction publique) sont de plus en plus inadaptées aux nouvelles réalités de l'après-guerre. La mort de Duplessis, en 1959, marque le début d'une nouvelle ère, celle de la Révolution tranquille, qui dure de 1960 à 1966. L'héritage politique et idéologique du duplessisme est rapidement éliminé, ce qui indique à quel point il était peu adapté à la réalité socio-économique.
Un ensemble de réformes
Le Parti libéral du Québec, dirigé par Jean Lesage (1960-1966) entreprend de moderniser l'appareil gouvernemental, le système scolaire et les services sociaux. Cette orientation est maintenue, quoique de façon moins spectaculaire, par les gouvernements suivants : ceux de l'Union nationale de Daniel Johnson (1966-1968) et de Jean-Jacques Bertrand (1968-1970), du Parti libéral de Robert Bourassa (1970-1976) et du Parti québécois (PQ) de René Lévesque (1976-1985).
La réforme scolaire est particulièrement emblématique des changements réalisés dans la foulée de la Révolution tranquille. Le gouvernement regroupe les commissions scolaires et crée un ministère de l’Éducation. Il établit la mixité dans les écoles, développe l’enseignement secondaire, crée les Collèges d’enseignement général et professionnel ou Cégeps (1967), puis l’Université du Québec (1968). L’effet sur le degré de scolarisation des francophones est spectaculaire.
Tout aussi importante est la réforme de l’État, avec la création de nouveaux ministères et organismes et la professionnalisation du corps des fonctionnaires. Adhérant pleinement aux principes de l’État providence, le gouvernement québécois devient plus interventionniste. Il obtient la mainmise sur les hôpitaux et les services sociaux. Il multiplie les sociétés d’État. Après les élections de 1962 et leur slogan « Maîtres chez nous », il procède à la nationalisation des compagnies d’électricité privées et les intègre à Hydro-Québec (voir aussi Services publics d’électricité).
En outre, d’importants efforts sont consentis à la mise à niveau des infrastructures : construction d’autoroutes, de barrages hydro-électriques, d’écoles et d’édifices publics. Le terme « rattrapage » est alors utilisé pour désigner l’accélération de la modernisation tous azimuts de la société québécoise.
Avec la Révolution tranquille, la société québécoise effectue une importante rupture : elle se décléricalise rapidement, mettant ainsi fin à une longue tradition. L'Église catholique perd son emprise sur l’éducation et les services sociaux et voit son pouvoir politique décliner. Plus grave pour elle, elle perd son emprise sur les fidèles, malgré le renouvellement du concile Vatican II. La pratique religieuse décline, les rangs du clergé s'amenuisent et les évêques n’ont plus d’influence sur les mentalités.
Il faut dire que la Révolution tranquille du Québec se déroule à une époque, celles des années 1960 (les roaring sixties), où une révolution culturelle déferle sur le monde occidental : affirmation de la jeunesse, émergence de nouvelles musiques, libéralisation des mœurs, etc. Les Québécois y participent avidement et le succès de l’Exposition universelle de Montréal (Expo 67) témoigne de leur ouverture sur le monde. Dans ce contexte, une nouvelle parole québécoise s’exprime. Poètes, romanciers, chanteurs et autres créateurs, libérés des canons traditionnels de la culture canadienne-française, façonnent une nouvelle culture québécoise et leur impact sur la population est considérable.
Si la Révolution tranquille marque une rupture importante, elle s'inscrit aussi dans la continuité d'une évolution séculaire de la société québécoise. Les processus d'industrialisation, d'urbanisation et de tertiarisation sont en marche depuis fort longtemps et font pleinement sentir leurs effets dans les années 1960 et 1970. D'autres tendances récentes se poursuivent : l'amélioration du niveau de vie, la montée d'une nouvelle classe moyenne et de nouvelles élites et la hausse du niveau d'éducation.
L’affirmation des francophones
La prospérité de l'après-guerre profite aux francophones, mais elle leur fait en même temps percevoir de façon plus nette l'existence d'une importante discrimination ethnique. Sur les lieux de travail, ils n'obtiennent que les emplois subalternes, tandis que, dans les grands magasins et sur la place publique en général, leur langue a un statut de seconde zone.
Un nouveau nationalisme émerge. Il se démarque de celui de Duplessis en s'affichant comme réformiste et en exigeant une révision du statut du Québec dans la Confédération. Ce nouveau nationalisme s'exprime dans des tendances diverses : celle des libéraux, autonomistes, mais toujours fédéralistes; celle des indépendantistes, qui gagne en importance et en crédibilité au cours des années 1960; celle des socialistes, présente dans le mouvement syndical, maintenant plus fort, et chez les intellectuels, qui veulent aller plus loin que le réformisme.
Le Québec des années 1960 et 1970 est témoin d'importantes luttes pour le pouvoir, entre anciennes et nouvelles élites et entre francophones et anglophones. Ces luttes sont surtout menées sur trois fronts : la langue, l'économie et la politique.
La bataille de la langue vise à donner au français, qui est la langue de la majorité, une reconnaissance complète, un véritable statut de langue principale. Un enjeu important est celui de l'intégration à la majorité francophone des Québécois qui ne sont ni d'origine française ni d'origine britannique, et la lutte porte sur la langue d'enseignement. L'objectif de francisation est atteint par étapes, provoquant à chaque fois des résistances de la part des groupes non francophones (voir Politique linguistique du Québec).
Le conflit linguistique quitte les batailles de rues qui le caractérisent, vers la fin des années 1960, pour se retrouver à l'Assemblée nationale du Québec et, plus généralement, dans l'opinion publique. Trois lois linguistiques sont adoptées par autant de gouvernements différents entre 1969 et 1977. Elles viennent successivement accroître la pression, étendre la reconnaissance du français comme langue officielle et en rendre l'apprentissage et l'utilisation obligatoires. La dernière de ces lois, la Loi de la Charte de la langue française, communément appelée la loi 101, dépasse de beaucoup le cadre scolaire (voir aussi Politique linguistique du Québec). Elle vise non seulement à intégrer plus d'enfants à l'école française, mais également à franciser l'ensemble de la société : entreprises, services professionnels, affichage public, etc. À la fin des années 1970, le français est parlé et reconnu partout sur le territoire québécois. Les anglophones conservent néanmoins leurs institutions et les droits linguistiques qui leur sont garantis par la constitution.
La lutte pour le pouvoir se déroule également sur le plan économique. Un des objectifs est de transformer le milieu de travail afin que les Canadiens français obtiennent, dans le secteur privé, de meilleurs emplois et des possibilités de carrière. Un autre objectif est d'appuyer les hommes d'affaires canadiens-français et les entreprises qui leur appartiennent pour les aider à se développer et à obtenir une plus grande part du marché. Un troisième objectif est d'amener les grandes entreprises canadiennes ou internationales établies dans la province à mieux tenir compte des besoins spécifiques du Québec. Un dernier objectif est de faire de l'État québécois un partenaire majeur de l'entreprise privée dans le développement économique. Dans ces domaines, les francophones réalisent des progrès notables au cours des années 1960 et 1970.
Il faut souligner l'émergence de nouveaux groupes financiers francophones, mais également l'intervention accrue de l'État québécois dans l'activité économique par l'intermédiaire de nombreuses sociétés d'État telles Hydro-Québec ou la Caisse de dépôt et placement du Québec. Ces succès sont cependant contrebalancés par l'affaiblissement de la position économique du Québec dans l'ensemble du Canada, avec le déplacement vers l'ouest du centre de gravité économique. Dès 1960, Montréal perd son titre de principale métropole du Canada au profit de Toronto, et un grand nombre d'entreprises déménagent en Ontario leur siège social ou leurs activités manufacturières.
La relation Québec-Canada
Le troisième champ de bataille est celui du pouvoir politique à l'intérieur du Canada. Les années 1960 et 1970 sont marquées par des luttes continuelles pour accroître le poids du Québec dans la fédération canadienne et en arriver à une nouvelle répartition des pouvoirs entre les deux paliers de gouvernement. L'objectif du gouvernement québécois est de freiner le processus de centralisation fédérale et de devenir lui-même le principal porte-parole des Canadiens français. Le débat sur la constitution est l'un des grands thèmes de l'actualité au cours des années 1960 et 1970. Il est ponctué de déclarations fracassantes, de guerres de protocole et d'image, mais aussi de discussions, de négociations, de conférences fédérales-provinciales. À l'affirmation marquée du Québec au cours de la Révolution tranquille succède une période de résistance fédérale à la volonté des provinces d'accroître leur autonomie. Elle se précise avec l'arrivée de Pierre Elliot Trudeau au pouvoir à Ottawa, en 1968.
Ce long conflit politique est même ponctué de moments de violence avec les interventions du Front de libération du Québec et la Crise d’octobre de 1970. Généralement, toutefois, il se déroule dans le cadre du régime démocratique. Pendant deux décennies, il mobilise beaucoup d'énergie et aboutira à une double défaite, celle des partisans de l'indépendance et celle des partisans d'un Québec plus fort au sein de la fédération canadienne. Il se solde par un renforcement du centralisme fédéral et par la confirmation de la mise en minorité du Québec dans la Confédération. La position du Québec dans le gouvernement fédéral semble toutefois s'améliorer. À l'époque de Trudeau (1968-1979 et 1980-1984), il y a plus de Québécois que jamais au Conseil des ministres et l'administration fédérale devient plus ouvertement bilingue. Ces résultats sont toutefois fragiles et dépendent de l'influence des représentants du Québec dans le Parti libéral.
Il y a en outre des conflits qui se déroulent à l'intérieur du groupe francophone. Le renforcement du mouvement syndical, au cours des années 1960, aboutit, dans la décennie suivante, à de véritables affrontements entre les grandes centrales syndicales et l'État. De même, la nouvelle classe moyenne canadienne-française, qui s'est développée dans l'après-guerre et qui occupe l'avant-scène au cours des années 1960 et 1970, est marquée par des tensions profondes. Elle affiche une relative unanimité pendant la Révolution tranquille, mais par la suite de fortes divisions se manifestent : sur le plan politique, avec la polarisation entre le Parti libéral et le Parti québécois; sur le plan social, avec les tensions entre dirigeants syndicaux et administrateurs gouvernementaux.
Lutter contre les inégalités
Malgré l'amélioration du niveau de vie, la société québécoise de cette période reste marquée par de profondes inégalités. Il y a des inégalités régionales : alors que Montréal prospère, d'autres régions restent sous-développées. Il y a aussi des inégalités sociales, alors que le Québec connaît un taux de chômage nettement plus élevé que la moyenne canadienne et qu'un grand nombre de ses citoyens vivent dans la pauvreté. Les années 1960 et 1970 sont témoins d'une prise de conscience beaucoup plus nette de ces problèmes et de l'expression de revendications visant à changer la situation. Les nombreux comités de citoyens qui émergent dans les villes à partir de la fin des années 1960 en sont un témoignage, tout comme la pratique des manifestations dans les rues.
Même les Autochtones, longtemps traités en pupilles de l’État fédéral, contestent leur asservissement. L’intérêt du gouvernement québécois pour le développement des ressources du Nord le force à tenir compte le titre autochtone, ce qui conduit à la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (1975), première entente d’envergure entre le Québec et les Premières Nations.
De leur côté, les femmes n’occupent qu’une place marginale dans la Révolution tranquille proprement dite, qui est surtout réalisée par des hommes. Une première femme (Claire Kirkland-Casgrain) est élue députée en 1961, puis, devenue ministre, obtient l’adoption de l’égalité juridique des conjoints (1964). À partir de 1966, l’émergence d’une nouvelle vague du mouvement féministe, plus revendicatrice, permet aux Québécoises de faire des gains importants en matière de contrôle sur la reproduction (voir Avortement) et, de façon plus générale, d’égalité des chances. Désormais, les gouvernements reconnaissent l’importance de l’enjeu en adoptant des politiques de lutte à la discrimination et en créant le Conseil du statut de la femme (1973) et un ministère de la Condition féminine (1979). Parallèlement, la présence des femmes à l’université et sur le marché du travail s’accroît de façon substantielle.
Une période d’incertitudes (1980-1995)
La période de rattrapage et de transformations rapides qui a caractérisé le Québec depuis le début de la Révolution tranquille se termine à l'aube des années 1980. La période suivante est marquée au coin de l'incertitude et de l'instabilité provoquées par les revirements de la situation économique et politique.
Les hauts et les bas de l’économie
Le Québec est durement affecté par la récession de 1981-1982. La reprise est lente, mais elle finit par entraîner une forte croissance dans la seconde moitié de la décennie. L'euphorie prend fin abruptement avec la crise du début des années 90, et il faut attendre le milieu de la décennie pour voir l'économie reprendre de la vigueur. Aux effets de ces crises cycliques s'ajoutent ceux de la restructuration en profondeur de l'économie, amorcée avant 1980, et qui se font maintenant pleinement sentir. Les industries manufacturières traditionnelles, reposant sur l'emploi d'une main-d’œuvre peu qualifiée et faiblement rémunérée, sont lourdement affectées par la nouvelle concurrence internationale. Un grand nombre de vieilles usines ferment leurs portes, le chômage s'accroît de façon dramatique et des centaines de milliers de personnes sont réduites à l'aide sociale. Il y a toutefois des signes d'espoir à mesure que la nouvelle économie, s'appuyant sur des technologies de pointe, s'implante dans le secteur manufacturier et celui des services et alimente la croissance. Le processus d'adaptation est cependant douloureux, car les travailleurs mis à pied ne peuvent pas facilement se trouver de l'emploi dans un marché du travail reposant sur des qualifications élevées. Le pouvoir d'achat, en hausse constante depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, se met à stagner, mais cet effet est compensé par la généralisation des ménages à double salaire.
Malgré ces problèmes, la société québécoise bénéficie après 1980 des politiques économiques, éducatives et linguistiques adoptées au cours des deux décennies précédentes. L'émergence de nouvelles générations hautement qualifiées transforme les conditions de vie. La participation des femmes à la main-d’œuvre devient beaucoup plus significative et elles s'insèrent dans des secteurs d'emplois auparavant dominés par les hommes. En général, les francophones améliorent leur situation. Dans les grandes entreprises canadiennes ou américaines, où ils ont longtemps été confinés aux échelons inférieurs, ils atteignent rapidement des positions de premier plan. Les entreprises privées possédées par des francophones deviennent beaucoup plus nombreuses et puissantes; quelques-unes telles Bombardier et Cascades se hissent même au rang des multinationales.
Le succès des entrepreneurs francophones a pour effet de redorer le blason du secteur privé et de remettre en question l'un des fondements des politiques héritées de la Révolution tranquille, l'intervention étatique dans l'économie. Au cours des années 1980 et 1990, un vent de privatisation et de déréglementation souffle sur le Québec. Les déficits en hausse constante forcent les gouvernements à réduire leurs dépenses et à réviser l'offre de services de l'État providence. Le rythme de ces réductions s'accélère au milieu des années 1990, avec l'objectif d'atteindre le déficit zéro à la fin du siècle. Malgré cela, la population reste attachée au « modèle québécois » de solidarité et les gouvernements doivent en tenir compte.
Les mouvements de population
Il se produit aussi d'importants changements démographiques. La population du Québec, qui avait grimpé de 5,3 à 6,4 millions d’habitants entre 1961 et 1981, voit sa croissance ralentir et atteint 7,1 millions en 1996. À compter des années 1960, le taux de natalité des Québécois d'origine française décline rapidement pour devenir l'un des plus faibles au monde, ce qui compromet l'accroissement futur de ce groupe. La population d'origine britannique chute de façon marquée à la suite de nombreux départs vers d'autres provinces. Ces facteurs contribuent à accroître l'importance des autres minorités ethniques dont les effectifs augmentent grâce à l'immigration. Les nouvelles politiques d'immigration du gouvernement fédéral, adoptées au cours des années 1960, contribuent à élargir l'éventail des groupes représentés au Québec. Elles mettent fin à la préférence absolue accordée jusque-là aux Européens et à la discrimination qui frappait les Asiatiques, les Africains et les Latino-Américains. En outre, à partir des années 1970, les gouvernements québécois successifs signent, avec leur homologue fédéral, des ententes qui leur donnent un rôle croissant dans la sélection des immigrants. Les résultats se font rapidement sentir et, dans le dernier quart du 20e siècle, les nouveaux arrivants proviennent de toutes les régions du monde, avec une nette surreprésentation de ceux qui sont issus d’aires francophones, notamment de la France elle-même, mais aussi d’Haïti (voir Antillais) et des pays du Maghreb. Leur présence est d'ailleurs reconnue officiellement par le gouvernement québécois, qui adopte sa propre version du multiculturalisme avec la politique des communautés culturelles. Elle devient célébrée dans les médias. Les représentants de ces groupes occupent une place accrue sur la place publique et dans la vie politique
L’enjeu constitutionnel
La scène politique est alors caractérisée par un va-et-vient entre la souveraineté et le fédéralisme renouvelé, entre le Parti québécois et le Parti libéral. L’échec du référendum de 1980 sur la souveraineté-association porte un dur coup au mouvement indépendantiste. En 1982, le gouvernement canadien, dirigé par Pierre Elliott Trudeau, réussit à rapatrier la constitution canadienne malgré l’opposition du Québec qui se voit ainsi imposer un régime qu’il n’a jamais accepté. Après ce double échec, le premier ministre René Lévesque propose de jouer à nouveau la carte du fédéralisme renouvelé, avec sa stratégie du « beau risque », ce qui entraîne un schisme dans le PQ. Il démissionne en 1985, et son successeur, Pierre-Marc Johnson, perd les élections tenues quelques mois plus tard. Le départ de Lévesque et celui de Trudeau l'année précédente marquent la fin d'une époque. Le chef du Parti libéral du Québec, Robert Bourassa, reprend le pouvoir en 1985. Conjointement avec le nouveau premier ministre canadien, le conservateur Brian Mulroney, il tente de résoudre le conflit entre le Québec et le Canada en proposant de nouvelles discussions constitutionnelles. Celles-ci aboutissent en 1987 à l'Accord du lac Meech (voir Accord du lac Meech : document), qui reconnaît de façon nominale le caractère distinct du Québec et vise à permettre au Québec d'accepter la Loi constitutionnelle de 1982 (voir Droit constitutionnel). Le refus de Terre-Neuve et du Manitoba, en 1990, empêche la ratification de cette modification à la constitution.
L'échec de l'accord provoque un profond ressentiment au Québec et accroît l'appui populaire à l'idée de souveraineté. Bourassa met le reste du Canada au défi de proposer une solution de rechange acceptable, mais sa stratégie échoue. En 1992, il est forcé d'accepter l'Accord de Charlottetown, qui est ensuite rejeté par la majorité des Québécois lors d'un référendum provincial et par les électeurs de cinq des neuf autres provinces. Ces événements ont deux conséquences majeures sur le plan politique. La première est la création d'un parti fédéral voué à la souveraineté du Québec, le Bloc québécois, dirigé par Lucien Bouchard. Aux élections fédérales de 1993, le Bloc obtient 54 des 75 sièges dans la province et devient l'Opposition officielle à la Chambre des communes. La seconde conséquence est le retour au pouvoir du PQ, dirigé par Jacques Parizeau, qui gagne les élections de 1994 contre les libéraux de Daniel Johnson. Le PQ organise un autre référendum sur la souveraineté en 1995, qu'il perd par une faible marge, malgré un appui majoritaire chez les francophones.
Au milieu de ces péripéties constitutionnelles, le Québec est secoué par la crise d’Oka (1990), un soulèvement de groupes mohawks de la région de Montréal, insatisfaits du traitement de leurs revendications territoriales. L’intervention de l’armée canadienne met fin au conflit, mais les tensions perdurent.
Les conflits politiques et deux récessions caractérisent la période de 1980 à 1995 et expliquent la morosité que relèvent de nombreux observateurs. Malgré les difficultés, la situation des francophones du Québec s’améliore. Bon nombre d’entre eux quittent Montréal pour s’établir dans les banlieues du 450 (un indicatif téléphonique régional) où l’accès à la propriété est plus facile. Ils y créent un environnement relativement homogène où leur groupe ethnoculturel domine sans partage.
Les Québécois sont fiers de leur culture qu’enrichissent maintenant des gens d’origines diverses. Ils appuient leurs romanciers, chanteurs et comédiens. Ces créateurs rêvent même d’une reconnaissance internationale. L’essor de la Francophonie permet aux artistes québécois de s’exprimer hors de leurs frontières et de participer à l’émergence d’un univers multiculturel de langue française.
L’aube d’un nouveau siècle (1996-)
Après l’échec référendaire de 1995, l'appui à la souveraineté décline nettement, mais les partis nationalistes conservent le vote d’une portion significative de l’électorat francophone. Ainsi, pendant une quinzaine d’années, le Bloc québécois maintient une forte présence à Ottawa, arrachant la plupart du temps le plus grand nombre de sièges au Québec. Il tient tête à Jean Chrétien, premier ministre du Canada (1993-2003), puis profite du scandale des commandites qui discrédite les libéraux au Québec.
Sur la scène provinciale, le PQ est toujours au pouvoir et s’y maintient après les élections de 1998. En janvier 1996, Lucien Bouchard succède à Jacques Parizeau à la tête du PQ et comme premier ministre. Il convoque des sommets économiques et tente de réduire le déficit de l’État en mettant à la retraite des milliers de fonctionnaires. Il s’illustre lors du « Grand verglas » de janvier 1998 qui prive d’électricité près de la moitié de la population. En 2000, il lance une opération de regroupement des municipalités qui suscite beaucoup de remous. L’année suivante, il se retire de la politique et est remplacé par Bernard Landry qui s’active à appuyer la relance de l’économie et qui signe avec la nation crie la Paix des Braves.
De son côté, Daniel Johnson (fils) abandonne la direction du Parti libéral au début de 1998. Jouissant d'un fort appui dans l'opinion publique, Jean Charest quitte alors la direction du Parti conservateur fédéral pour prendre la tête du Parti libéral du Québec. Fédéralistes et libéraux comptent sur lui pour défaire le Parti québécois. Il échoue en 1998, mais réussit en 2003 et il se maintient au pouvoir jusqu’en 2012. Il tente d’abord d’appliquer un programme néo-libéral, suscitant un fort mécontentement dans la population, mais ajuste ensuite son discours. Charest s’illustre en 2007 en nommant un cabinet paritaire hommes/femmes, un reflet de la présence accrue des femmes à l’Assemblée nationale. Parallèlement, on assiste à la montée de l’Action démocratique du Québec (1994-2012), un parti dirigé par Mario Dumont et qui met de l’avant un programme conservateur. Il réussit une brève percée en 2007 en formant l’opposition officielle, un statut qu’il perd dès les élections de 2008. En 2006, s’ajoute un nouveau parti de gauche, Québec solidaire, représenté à l’Assemblée nationale à partir de 2008.
La relance de l’économie
Après 1995, le Québec connaît une importante reprise économique. Les exportations s’envolent grâce à l’effet du libre-échange nord-américain et à un dollar faible, une situation qui sera compromise dans la décennie suivante par la concurrence de la production chinoise et par la remontée du dollar. Par ailleurs, la croissance de la demande chinoise provoque une ruée sur les ressources minières du Québec qui relance l’activité dans les régions de ressources, hypothéquées par le recul de l’exploitation forestière. Jean Charest veut renforcer cette orientation avec son Plan Nord (2011). Un autre vecteur de l’économie est l’activité de construction résidentielle qui s’accélère dans la première décennie du XXIe siècle, au moment où les prix des maisons explosent.
Dans ce contexte favorable, la croissance démographique s’accélère. Entre 1996 et 2011, la population du Québec passe de 7,1 à 7,9 millions d’habitants. Revirement de conjoncture important, la natalité repart à la hausse. Ce phénomène est probablement influencé par l’adoption de politiques d’appui par les gouvernements péquistes et libéraux, notamment le programme des garderies à 5$ par jour en 1997 et le Régime québécois d’assurance parentale en 2006. Ces mesures étaient depuis longtemps réclamées par les organisations féministes et reflètent la part considérable de la main-d’œuvre désormais occupée par les mères de famille.
La croissance démographique est aussi assurée par le maintien de hauts niveaux d’immigration. Les pays francophones, notamment la France et le Maghreb, comptent toujours parmi les principaux pourvoyeurs, mais on voit aussi se développer les courants migratoires en provenance d’Europe de l’Est, des pays latino-américains et de la Chine. La nouvelle diversité est non seulement ethnique, mais aussi religieuse, ce qui conduit le Québec à faire adopter en 1997 un amendement constitutionnel qui remplace les commissions scolaires confessionnelles par des commissions linguistiques. Célébrée par les uns, cette diversité est crainte par les autres. Face à une opinion publique alarmée, le gouvernement Charest crée en 2007 la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles (Commission Bouchard-Taylor) qui prône une intégration harmonieuse par l’interculturalisme.
Une période agitée
Vers la fin de la décennie, des enquêtes journalistiques révèlent des pratiques de corruption qui minent le milieu de la construction et l’octroi de contrats publics associés au financement illégal de partis politiques. De nombreux milieux réclament une enquête en profondeur. Le gouvernement Charest résiste longtemps avant d’y consentir en 2011 en créant la Commission Charbonneau dont les audiences révèlent l’ampleur des problèmes.
À la fin de son mandat, le gouvernement Charest est confronté à une révolte étudiante contre la hausse des droits de scolarité universitaires. Une première grève étudiante l’avait fait reculer en 2005, mais cette fois-ci il tient bon. Sous le signe du carré rouge porté par les grévistes, la protestation étudiante se transforme en un mouvement social, connu comme le Printemps érable, qui exprime le mécontentement populaire à l’endroit du gouvernement libéral (voir Grève étudiante québécoise de 2012).
Aux élections de 2012, le Parti libéral perd le pouvoir aux mains du PQ qui se retrouve à la tête d’un gouvernement minoritaire. En effet, des groupes indépendantistes dissidents lui ont ravi une partie de son électorat et un nouveau parti, la Coalition avenir Québec, remporte plusieurs sièges. Pauline Marois devient la première femme première ministre du Québec. Son gouvernement s’attaque à la corruption politique et adopte des mesures favorables à l’environnement (fin du nucléaire, de la production de l’amiante et de l’exploration du gaz de schiste). Son projet le plus controversé est celui d’une Charte des valeurs québécoises qui vise à baliser les pratiques d’accommodements et à affirmer la laïcité de l’État en interdisant à ses représentants le port de signes religieux ostentatoires.
Son règne est cependant de courte durée. Espérant obtenir un mandat majoritaire, Pauline Marois déclenche de nouvelles élections au printemps 2014. Celles-ci entraînent un net recul de l’appui populaire au PQ et permettent au Parti libéral, dirigé par Philippe Couillard, d’obtenir la majorité des sièges. La Coalition avenir Québec et Québec solidaire font aussi élire des députés.
Ce survol de près d’un siècle et demi d’histoire québécoise a mis en lumière les nombreuses transformations qui ont marqué cette société. La population francophone est sa composante principale, son âme et sa raison d’être. Celle-ci a connu une évolution remarquable. Les francophones, notamment sous l'impulsion de la Révolution tranquille, ont réussi à améliorer de façon significative leur situation dans leur propre province et à cesser d'être perçus comme des citoyens de seconde classe.
Ils ont toutefois échoué dans leur tentative de redéfinir la place du Québec dans sa relation avec le reste du Canada. Au cours de ce siècle et demi, la société québécoise a été transformée de multiples façons. Son évolution, loin d'être linéaire, a été marquée par des avancées et des reculs. Ce processus a produit des gagnants et des perdants et n'a pas éliminé les inégalités. Les tensions récurrentes prouvent que le Québec forme une société complexe et que son histoire ne peut être expliquée de façon simpliste. Les Québécois eux-mêmes ont été, et sont encore, loin d'être unanimes à propos de l'interprétation de l'histoire du Québec, de ses politiques et de son avenir.