Article

Racisme anti-asiatique au Canada

Les communautés asiatiques sont présentes au Canada depuis le 18e siècle. Tout au long de l’histoire, elles sont la cible de discriminations et de préjugés fondés sur des différences physiques et culturelles par rapport à la majorité blanche. Le racisme à l’égard des Canadiens d’origine asiatique prend la forme de lois électorales discriminatoires, de politiques d’immigration tendant à exclure, de réinstallations forcées et d’internements (voir aussi  : Droit de vote au Canada ; Politique d’immigration au Canada). Les crimes motivés par la haine à l’encontre des Canadiens d’origine asiatique sont toujours d’actualité.

Réinstallation de Canadiens d’origine japonaise dans des camps d’internement

Lois électorales discriminatoires

En 1872, le gouvernement de la Colombie-Britannique modifie The Qualification and Registration of Voters Act, interdisant ainsi aux Sino-Canadiens et aux peuples autochtones de voter aux élections provinciales (voir Droit de vote au Canada). Cette modification s’inscrit dans un plan visant à protéger le pouvoir politique et économique des résidents de race blanche. En 1895, le gouvernement de la Colombie-Britannique adopte une loi semblable, soit le Provincial Voters’ Act Amendment Act. Cette loi retire le droit de vote aux Canadiens d’origine japonaise. En 1907, elle est suivie d’une autre modification, qui cette fois supprime le droit de voter aux élections provinciales pour les Canadiens de l’Asie du Sud.

Au niveau fédéral, l’Acte du cens électoral de 1885 interdit aux Sino-Canadiens de voter aux élections fédérales. Sa version modifiée de 1898 permet aux provinces d’établir des listes électorales, sans toutefois les autoriser à priver du droit de vote les citoyens qui en jouissent déjà. Elle permet également aux citoyens canadiens d’origine asiatique de voter aux élections fédérales, même s’ils ne peuvent voter au niveau provincial. La Loi des élections fédérales de 1920 modifie le droit de vote. Elle stipule que les groupes raciaux privés du droit de vote au niveau provincial le sont également au niveau fédéral. Après la Deuxième Guerre mondiale, les anciens combattants sino-canadiens luttent pour obtenir le droit de vote (voir Les Sino-Canadiens de la Force 136). Au terme d’importants efforts, ils obtiennent le droit de voter aux élections canadiennes de 1948. La même année, les Canadiens de l’Asie du Sud obtiennent le droit de vote, suivis des Canadiens d’origine japonaise en 1949.

Le saviez-vous ?
Au tournant du 20e siècle, les Canadiens d’origine asiatique qui vivent en Colombie-Britannique ne peuvent accéder à certaines possibilités d’emploi et de logement. Certaines lois, comme l’Inspection of Metalliferous Mines Act de 1897, interdisent aux travailleurs chinois et japonais d’occuper un emploi au sein de l’industrie d’extraction de minerais métalliques. De même, l’absence de mesures de protection fait que les propriétaires fonciers peuvent refuser de louer leurs propriétés à des résidents japonais ou de l’Asie du Sud (voir Ségrégation raciale des Canadiens d’origine asiatique).


Politiques d’immigration visant l’exclusion

En 1885, dans un contexte qui voit la montée d’un sentiment anti-asiatique au Canada, la taxe d’entrée imposée aux immigrants chinois au Canada en vertu de la Loi de l’immigration chinoise de 1885 entre en vigueur. Cette loi oblige les personnes d’origine chinoise qui souhaitent entrer au Canada à payer une taxe de 50 $. Elle a pour objectif d’entraver l’immigration chinoise au pays. En 1903, le gouvernement fédéral fait passer cette taxe à 500 $, un montant équivalent à deux années du salaire d’un Chinois à l’époque.

En dépit de ce montant exorbitant, cette taxe d’entrée ne décourage pas l’immigration et est remplacée par une autre loi restrictive : la Loi de l’immigration chinoise de 1923. Aussi connue sous le nom de « loi sur l’exclusion des Chinois », cette loi interdit aux personnes chinoises d’immigrer au Canada. Y font notamment exception les étudiants, les commerçants (à l’exclusion de ceux de l’industrie du blanchissage, de la restauration et de la vente au détail), les diplomates, ainsi que les Chinois nés au Canada et qui rentrent au pays après des études en Chine. Cette loi perturbe profondément la vie des communautés chinoises présentes au Canada à l’époque. Constituées principalement d’hommes ayant laissé leur famille en Chine, ces communautés ne comptent ni enfants ni femmes. Elles sont connues sous le nom de « sociétés de célibataires », au sein desquelles les hommes se rassemblent et socialisent les uns avec les autres pour lutter contre la solitude. Premier avocat de descendance chinoise au Canada, Kew Dock Yip fait pression pour abroger cette loi. La Loi de l’immigration chinoise de 1923, qui parvient à réduire le nombre d’immigrants chinois à quelques dizaines, est finalement abrogée en 1947. Le 22 juin 2006, le premier ministre du Canada Stephen Harper présente des excuses aux Sino-Canadiens pour la taxe d’entrée et la Loi de l’immigration chinoise. Ces excuses s’accompagnent d’une compensation financière accordée aux individus ou à leur conjoint pour la taxe antérieurement payée. Le 15 mai 2014, la première ministre de la Colombie-Britannique, Christy Clark, présente elle aussi des excuses aux Sino-Canadiens pour les injustices commises par les précédents gouvernements provinciaux.

Les Canadiens d’origine japonaise doivent aussi faire face à des mesures de contrôle de l’immigration. En 1907, de violentes émeutes éclatent au sein des quartiers chinois et japonais de Vancouver. L’année suivante, face à l’hostilité croissante à l’égard des Asiatiques qui sévit en Colombie-Britannique, le ministre canadien du Travail, Rodolphe Lemieux, et le ministre japonais des Affaires étrangères, Tadasu Hayashi, négocient un engagement d’honneur qui limite l’immigration japonaise à 400 personnes par année. Les années suivantes, la limite passe à 150 personnes par année; toutefois, étant donné que cet engagement ne concerne que les hommes japonais, leurs épouses immigrent en grand nombre au Canada. Leur arrivée contribue à l’élargissement de la diaspora japonaise.

Toujours en 1908, à la suite de violentes protestations à l’encontre de l’immigration asiatique à Vancouver, le gouvernement fédéral adopte la Loi modifiant la Loi sur l’immigration, laquelle impose aux immigrants de rejoindre les côtes du Canada en effectuant un voyage ininterrompu depuis leur pays d’origine. Cette loi vise les immigrants de l’Inde et du Japon, car il n’existe pas, à l’époque, de service de transport maritime sans escale depuis l’Inde ou le Japon à destination du Canada. Gurdit Singh, un entrepreneur du Pendjab, cherche à aider des personnes sikhes et de l’Asie du Sud à immigrer au Canada. Il nolise le Komagata Maru pour effectuer la traversée du Pacifique. Ce paquebot arrive au port de Vancouver le 23 mai 1914, ses passagers s’attendant à pouvoir entrer au pays. Les agents de l’immigration du Canada leur refusent toutefois le droit d’entrée sur le territoire et les forcent à vivre de rations draconiennes de nourriture et d’eau durant plusieurs semaines. Les passagers contestent cette décision devant les tribunaux, mais perdent et sont forcés de rentrer en Inde. À leur arrivée à Kolkata (auparavant, Calcutta), les autorités britanniques, qui soupçonnent les passagers d’être des révolutionnaires, abattent 16 d’entre eux par balle. Plus d’un siècle plus tard, le 18 mai 2016, le premier ministre du Canada Justin Trudeau présente des excuses officielles pour l’incident du Komagata Maru.


Internement des Canadiens d’origine japonaise

Le 7 décembre 1941, les Japonais bombardent Pearl Harbour, à Hawaï; cet événement pousse le Canada à déclarer la guerre au Japon. En dépit de l’absence totale de preuves indiquant que les Canadiens d’origine japonaise représentent une menace à la sécurité nationale, le gouvernement fédéral invoque la Loi sur les mesures de guerre pour envoyer 90 % de la population de Canadiens d’origine japonaise, soit quelque 21 000 hommes, femmes et enfants, dans des camps d’internement surpeuplés (voir Internement des Canadiens d’origine japonaise). Les prisonniers sont réinstallés loin de leur domicile et forcés à de durs travaux, à la construction de routes et à la culture de betteraves. Le gouvernement fédéral saisit également leurs biens et les revend pour couvrir les frais d’internement. À l’issue de la Deuxième Guerre mondiale, on interdit aux Canadiens d’origine japonaise de retourner en Colombie-Britannique, où vivaient la plupart d’entre eux avant la guerre. Environ 4 000 Canadiens d’origine japonaise, dont 66 % sont des citoyens canadiens de naissance ou naturalisés, sont déportés au Japon. Beaucoup d’entre eux n’ont jamais vécu au Japon. Ce n’est qu’à partir du 1er avril 1949 que les Canadiens d’origine japonaise sont à nouveau autorisés à se déplacer librement dans l’ensemble du Canada. Le 22 septembre 1988, le premier ministre du Canada Brian Mulroney présente à son tour des excuses officielles et accorde une compensation au nom du gouvernement fédéral pour les actes commis durant la guerre.


Racisme actuel

Le racisme à l’égard des Canadiens d’origine asiatique perdure à ce jour. Le mythe et stéréotype de la minorité modèle en est un exemple. Ce stéréotype présente les Canadiens d’origine asiatique comme étant studieux, prospères sur le plan économique et des travailleurs acharnés. Ce mythe de la minorité modèle compare également les Canadiens d’origine asiatique à d’autres communautés racisées. Selon ce point de vue, certaines d’entre elles ont moins d’obstacles à surmonter en raison de leurs attributs, contrairement à d’autres. Ce stéréotype à l’égard des Canadiens d’origine asiatique perdure, en dépit d’importantes inégalités de revenu au sein de cette communauté et d’une discrimination systémique continue. Par exemple, le racisme dont les Canadiens d’origine asiatique font l’objet durant l’éclosion du SRAS (2003) et la pandémie de COVID-19 (apparue en 2020) prouve que la discrimination à l’encontre des communautés asiatiques demeure une expérience bien réelle à laquelle beaucoup se heurtent. (Voir aussi Les pandémies au Canada.) Durant l’éclosion du SRAS, de multiples rapports indiquent que les Canadiens d’origine asiatique sont ostracisés, la cible de groupes haineux et décrits comme « sales ». Des incidents semblables ont lieu durant la pandémie de COVID-19, où les Canadiens d’origine asiatique signalent davantage de crimes motivés par la haine perpétrés à leur endroit. Une analyse de 2021 des crimes haineux déclarés par la police a révélé que par rapport aux statistiques de 2019, les crimes haineux contre les populations d’Asie de l’Est et de Sud-Est ont augmenté de 301 % en 2020 (la première année de la pandémie de COVID-19).

Un autre exemple de racisme contre les Canadiens d’origine asiatique comprend les programmes des travailleurs étrangers temporaires du Canada qui permettent à des employeurs d’embaucher des travailleurs étrangers, particulièrement comme travailleurs agricoles ou bonnes d’enfants (voir aussi Travail domestique au Canada [aide familiale]). Souvent en provenance des Philippines, ces travailleurs migrants ont moins de droits que leurs homologues qui ne participent pas aux programmes (voir aussi Canadiens philippins).