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Droit de vote au Canada

Le terme « droit de vote » désigne le droit de voter lors d’élections pour élire les députés fédéraux, les députés provinciaux et les membres des conseils municipaux. Le droit de vote au Canada remonte au milieu du 18e siècle, durant la période coloniale. À l’époque, des restrictions limitaient le droit de voter aux propriétaires fonciers de sexe masculin. Depuis, les qualifications de vote et les catégories de personnes admissibles se sont élargies selon les juridictions. Ces changements reflètent l’évolution des valeurs sociales et des exigences constitutionnelles du Canada. 

Infirmières militaires à un hôpital canadien votant aux élections fédérales.
Canada, Ministère de la Défense nationale/Bibliothèque et Archives Canada/PA-002279 (modification de l’image originale). Avec la permission de La Fondation Vimy.

Contexte historique

Avant la Confédération

Au fur et à mesure que les colonies qui ont formé le Canada en 1867 deviennent autonomes, elles finissent par obtenir également le contrôle sur la définition des personnes ayant le droit de vote (voir Gouvernement représentatif). Par conséquent, les règles diffèrent considérablement d’une colonie à l’autre. Elles sont toutes influencées par la loi anglaise ; le droit de vote n’appartient qu’aux hommes détenant des actifs immobiliers d’une certaine valeur, et il exclut les catholiques. Cependant, les circonstances uniques de chaque colonie signifient que ces règles ne peuvent être simplement transférées directement.

Pendant la plus grande partie de la période précédant la Confédération, la plupart des colonies exigent une propriété foncière pour obtenir le droit de vote. La quantité de propriétés requise varie au fil du temps et à travers les différentes colonies. En Nouvelle‑Écosse, entre 1851 et 1863, il n’existe pas de condition de propriété immobilière pour avoir le droit de voter. Le Nouveau‑Brunswick obtient une assemblée élue en 1785 (voir Gouvernement responsable). Il choisit d’abord d’étendre le droit de vote aux personnes ne disposant pas de propriété, mais des restrictions strictes de propriété sont éventuellement introduites en 1791. Le Nouveau‑Brunswick exclut également les catholiques du vote, privant ainsi les Acadiens de ce droit. Le Haut‑Canada et le Bas‑Canada (aujourd’hui l’Ontario et le Québec ) maintiennent des restrictions liées à la propriété foncière durant toute cette période. L’Île‑du‑Prince‑Édouard constitue une exception, car peu de résidents sur l’île possèdent des terres. (Voir Question des terres de l’Île du Prince‑Édouard.)

La plupart des colonies adoptent initialement la pratique britannique qui oblige les électeurs à prêter serment de loyauté. Ces serments renoncent explicitement à l’autorité papale, privant ainsi automatiquement les catholiques du droit de vote. Les références à la foi chrétienne de ces serments excluent également les Juifs. De plus, certaines communautés religieuses, comme les quakers, sont empêchées par leur foi de prêter serment. La Nouvelle‑Écosse abolit les conditions religieuses en 1789, et le Nouveau‑Brunswick suit en 1810. L’Île‑du‑Prince‑Édouard accorde le droit de vote aux quakers en 1785. La province autorise les non-protestants à voter en 1830. Le Haut‑Canada et le Bas‑Canada n’appliquent aucune restriction religieuse au droit de vote. Cependant, jusqu’en 1833, certains groupes comme les quakers ne peuvent toujours pas voter en raison de la nécessité de prêter serment. (Voir aussi Les balbutiements du droit de vote au Canada.)

Finalement, les femmes votent régulièrement au Bas‑Canada de 1791 à 1849. On rapporte qu’elles votent également à l’occasion en Nouvelle‑Écosse et au Nouveau‑Brunswick. Toutefois, pendant la majeure partie de cette période, et dans la plupart des colonies, le droit de vote est réservé aux hommes. (Voir aussi Droit de vote des femmes.)


Après la création de la Confédération

Après la Confédération en 1867, la définition du droit de vote est laissée à la discrétion des provinces. Ceci signifie que la possibilité de voter aux élections fédérales peut donc varier d’une province à l’autre. Cependant, toutes les provinces restreignent le droit de vote aux sujets britanniques âgés d’au moins 21 ans qui répondent aux exigences de propriété.

Pendant les 50 années suivant la Confédération, les partis libéraux et conservateurs manipulent le droit de vote aux élections fédérales de façon grossièrement partisane. À diverses occasions jusqu’en 1920, le droit de vote au fédéral est basé sur soit les listes électorales dressées par les provinces pour les élections provinciales, soit sur une liste fédérale compilée par des recenseurs nommés par le parti au pouvoir à Ottawa. Jusqu’en 1885, le vote est basé sur les lois provinciales. Pour cette raison, les élections sont échelonnées ; elles peuvent avoir lieu lors de jours différents, dans des endroits différents. Les électeurs d’une circonscription connaissent parfois déjà quel parti est susceptible de former le prochaingouvernement. Compte tenu de l’importance du favoritisme durant cette période des politiques canadiennes, cette situation crée une puissante incitation à voter pour le parti au pouvoir.

La loi sur le droit de vote la plus controversée est adoptée par le Parlement pendant la Première Guerre mondiale. La Loi des élections en temps de guerre et la Loi des électeurs militaires de 1917 accordent le droit de vote aux femmes qui sont parentes avec des hommes en service dans les forces armées canadiennes ou britanniques, ainsi qu’à tous les militaires, y compris ceux qui sont âgés de moins de 21 ans, et ceux qui ont lestatut d’Indien.  En revanche, elle prive de ce droit les objecteurs de conscience et les sujets britanniques naturalisés après 1902, qui sont nés dans un pays ennemi ou qui parlent la langue d’un pays ennemi. Le gouvernement conservateur du premier ministre Robert Borden admet ouvertement que ce projet de loi est biaisé en sa faveur. Les résultats des élections de 1917 lui donnent raison. Ces abus et ces modifications des politiques régissant le droit de vote prennent fin en 1920, avec l’adoption de la  Loi des élections fédérales. Celle-ci établit un droit de vote standard à l’échelle du Dominion.

Élection de 1917

Des soldats canadiens basés à Londres, en Angleterre, déposent leurs bulletins de vote durant l’élection fédérale canadienne en décembre 1917.
Canada. Ministère de la Défense nationale/ Bibliothèque et Archives Canada | Canada. Ministère de la Défense nationale/ Bibliothèque et Archives Canada


Femmes

Il semblerait que dans certains cas, des femmes ont voté au Canada jusqu’en 1849. Malgré cela, les femmes ont été systématiquement et universellement privées du droit de vote. Mise à part la période où le vote est accordé temporairement et de manière sélective aux femmes en vertu de la Loi des élections en temps de guerre en 1917, elles obtiennent pour la première fois le droit de voter aux élections fédérales en 1918.

En 1916, le Manitoba devient la première province à accorder aux femmes le droit de vote aux élections provinciales. Le Québec est la dernière province à le faire. En 1951, les Territoires du Nord‑Ouest sont le dernier territoire à accorder le droit de vote aux femmes (voir aussi  Mouvement des femmes et Droit de vote des femmes).

Simulacre de parlement au Walker Theatre

Récréation imaginative d'une affiche publicitaire pour le simulacre de parlement au Walker Theatre en janvier 1914. Nellie McClung y participa, ce qui lui permit de faire avancer la cause du droit des femmes à voter.
(avec la permission du gouvernement du Canada)


Canadiens noirs

Au Canada, durant la période de l’esclavage des Noirs, du début des années 1600 jusqu’à son abolition le 1er août 1834, les Noirs sont considérés légalement comme étant des biens mobiliers (biens personnels). En tant que tels, les Noirs ne sont pas des « personnes », et ils ne possèdent donc ni les droits ni les libertés dont bénéficient les citoyens à part entière. Ces droits et libertés comprennent les protections prévues par la loi ainsi que la participation au processus démocratique (voir Droit de vote des Noirs au Canada).

Les Canadiens noirs obtiennent certains droits et libertés à mesure que leur statut social passe de celui d’esclaves à celui de sujets britanniques. Ceci survient avec l’abolition progressive de l’esclavage entre 1793 et 1834 (voir aussi Chloe Cooley et la loi visant à restreindre l’esclavage dans le Haut-Canada). En tant que sujets britanniques, les Canadiens noirs ont techniquement droit à tous les droits, libertés et privilèges que ce statut confère. Cependant, à cause de la couleur de leur peau, ils font face à du racisme et de la discrimination. Par conséquent, leurs droits et leurs libertés civilesdemeurent limités. Les droits et les libertés des femmes noires sont encore plus restreints en raison de leur sexe. La plupart des femmes n’obtiennent le droit de vote au niveau fédéral qu’en 1918, et au niveau provincial entre 1916 et 1940 (voir  Droit de vote des femmes).

Les hommes noirs peuvent voter s’ils sont citoyens naturalisés et s’ils possèdent des biens imposables. Jusqu’en 1920, la plupart des colonies ou des provinces exigent que les électeurs admissibles soient propriétaires ou qu’ils possèdent un capital imposable. Cette pratique exclut les personnes pauvres, les ouvriers et de nombreuses minorités racialisées.

La loi n’interdit pas aux Canadiens noirs d’exercer leurdroit de vote. Cependant, le sentiment du public de l’époque contre l’extension du droit de vote aux Noirs existe, et les conventions locales empêchent les Noirs de voter.

Mary Ann Shadd Cary, c. 1845-55.

Bibliothèque et Archives Canada / C-029977


Canadiens d’origine asiatique

Les peuples asiatiques commencent à arriver au Canada durant le 19e siècle. À partir de cette époque, et pendant une grande partie de la première moitié du 20e siècle, la plupart des Canadiens d’origine asiatique se voient refuser le droit de vote aux élections fédérales et provinciales. Au niveau fédéral, l’Acte du cens électoral de 1885 refuse explicitement aux Canadiens d’origine asiatique le droit de vote. En 1898, une nouvelle loi étend le droit de vote aux électeurs asiatiques.

En 1920, la Loi sur les élections fédérales stipule que si une province refuse le droit de vote à un groupe en raison de sa race, ce groupe sera également exclu du droit de vote fédéral. Ceci signifie que les électeurs de la Colombie-Britannique d’origine chinoise, japonaise, et venant de l’Asie du Sud perdent leur droit de vote aux élections nationales. (La Saskatchewan prive également les Canadiens d’origine chinoise de leur droit de vote.) En 1948, le gouvernement fédéral vote pour abroger cet article de la Loi sur les élections fédérales. Cependant, ce changement n’entre en vigueur que le 1eravril 1949. Les Canadiens d’origine japonaise retrouvent également le droit de vivre n’importe où au Canada, ce qui leur avait été initialement interdit après leur internement durant la Deuxième Guerre mondiale. À peine une semaine plus tôt, le gouvernement de la Colombie-Britannique modifie la Loi sur les élections provincialespour accorder le droit de vote à tous les groupes raciaux de la province, à l’exception des Doukhobors. Ainsi, la dernière interdiction législative du droit de vote des Canadiens d’origine asiatique est abolie.

Peuples autochtones

Les peuples autochtones du Canada comprennent les communautés des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Chacun d’entre eux a une histoire différente en matière de droit de vote. (Voir aussi Droit de vote des peuples autochtones; Les femmes autochtones et le droit de vote.)

Premières Nations

Selon un processus appelé émancipation, les peuples des Premières Nations peuvent renoncer à leur statut d’Indien et voter aux élections fédérales dès 1867. (Un Indien inscrit est un individu qui est inscrit en vertu de la Loi sur les Indiens. Il s’agit d’une reconnaissance légale du patrimoine autochtone d’une personne. Elle lui confère certains droits, comme celui de vivre sur les terres d’une réserve.) Le terme « émancipation » est utilisé pour les personnes qui renoncent à leur statut par choix. Il s’applique également à un nombre beaucoup plus élevé d’hommes et de femmes autochtones qui ont perdu automatiquement leur statut pour l’une de nombreuses raisons. Ces raisons comprennent la perte du statut à la fin d’études universitaires complétées, ou lorsqu’une femme épouse un homme qui ne détient pas le statut d’Indien (voir Les femmes et le statut d’Indien). Les hommes des Premières Nations qui ont servi durant la Deuxième Guerre mondiale obtiennent le droit de vote sans avoir à renoncer à leur statut. Mais ils ne peuvent continuer à voter que s’ils quittent la réserve où ils habitent.

Dans les années 1920, le gouvernement fédéral impose des structures de leadership élues, en plus des formes traditionnelles de gouvernance dans les réserves. Une émancipation théorique se produit sous cette imposition. Par exemple, les bandes élisent des chefs qui traitent avec le gouvernement fédéral. Cependant, ce système est mal reçu et est souvent boycotté. De nombreuses communautés avaient, et ont toujours, deux chefs : un chef élu et reconnu officiellement par le gouvernement, et un chef traditionnel, souvent déterminé par hérédité.

Les Indiens non inscrits obtiennent finalement le plein droit de vote au niveau provincial. Ceci commence en Colombie‑Britannique en 1949, et se termine auQuébec en 1969. Le droit de vote au fédéral est octroyé aux Indiens non inscrits pour la première fois en 1950. Il est ensuite entièrement étendu aux Indiens inscrits en 1960, sous le gouvernement de John Diefenbaker. Ceci se passe douze ans après qu’un comité parlementaire recommande que les membres des Premières Nations soient entièrement émancipés (voir aussi Loi sur les Indiens et Émancipation).



Inuits

La Loi du cens électoral fédéral de 1934 exclut les Inuits, ainsi que les Indiens inscrits, du droit de vote aux élections fédérales. La plupart des Inuits sont émancipés en 1950. Mais ils ne peuvent pas voter pour diverses raisons. Les Inuits sont rarement recensés (inscrits sur les listes officielles des personnes ayant le droit de voter) et les urnes ne sont pas apportées jusqu’à leurs communautés de l’Arctique avant les élections générales de 1962.

Métis

Les Métis n’ont jamais subi de restrictions à leur droit de vote. Ils ne sont généralement pas couverts par les traités ou les lois comme la Loi sur les Indiens. Par conséquent, il n’existe aucun moyen légal permettant de les priver de leur droit de vote.

Charte des droits

Le Canada a maintenant un droit de vote pratiquement universel aux niveaux provincial et fédéral. L’article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés stipule que « tout citoyen canadien a le droit de voter lors d’une élection des membres de la Chambre des communes ou d’une assemblée législative, et peut être qualifié pour y être membre. » Cette disposition ouvre la voie à la contestation judiciaire réussie pour la privation du droit de vote aux juges et aux personnes ayant une déficience intellectuelle. Les tribunaux annulent le refus du vote à ces groupes en acceptant le caractère inclusif de l’article 3 de la Charte. Ils concluent également qu’en vertu de l’article 1 de la Charte, de telles restrictions ne peuvent être justifiées comme étant « raisonnables » au sein d’une « société libre et démocratique ».

Lors des contestations de la Loi électorale du Canada entre 1986 et 2020, des détenus au Manitoba et en Ontario ont un succès mitigé dans leurs diverses contestations de la Charte, en ce qui a trait au déni de leur droit de vote. La question est éventuellement réglée en faveur des prisonniers dans une décision de cinq voix contre quatre de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Sauvé c. Canada de 2002. Par conséquent, toutes les restrictions liées au droit de vote des prisonniers, à l’échelle fédérale et provinciale, sont supprimées.

Les tribunaux interprètent généreusement le droit de vote en vertu des contestations fondées sur la Charte. Néanmoins, il reste une catégorie restreinte d’électeurs autrement admissibles. En 1993, la Loi électorale du Canada est modifiée afin d’accorder le droit de vote aux Canadiens vivant à l’étranger depuis moins de cinq ans. L’exclusion de Canadiens vivant hors du Canada depuis plus de cinq ans fait l’objet d’une contestation en vertu de la Charte devant la Cour d’appel de l’Ontario ; celle-ci la rejette. Cependant, en janvier 2019, la Cour suprême statue que les citoyens canadiens peuvent voter aux élections fédérales, peu importe le nombre d’années qu’ils ont passées à l’extérieur du pays.


(avec la permission du Secrétariat d'État du Canada)


Registre national des électeurs

Un Registre national des électeurs est créé en 1997 pour préparer les listes électorales. Il remplace les recensements qui se faisaient de porte‑à‑porte en période électorale. Ceux-ci étaient coûteux, laborieux et exigeants en main‑d’œuvre. Le système informatisé d’enregistrement est maintenu à Ottawa par Élections Canada. C’est un organisme indépendant non partisan qui gère les élections fédérales (voir Directeur général des élections). Ce registre est mis à jour avec des informations (nom, adresse, sexe et date de naissance des Canadiens ayant le droit de voter), fournies par des organismes provinciaux et fédéraux ; il s’agit notamment des registraires de l’état civil, de Revenu Canada, de Citoyenneté et Immigration Canada, et de Postes Canada. Les informations pertinentes sur les électeurs contenues dans le registre sont à leur tour partagées avec les fonctionnaires électoraux provinciaux, territoriaux et municipaux pour leurs listes électorales.

Importance

Le droit de vote est l’un des droits les plus fondamentaux liés à la citoyenneté. Au Canada, le droit de vote a évolué d’un droit détenu par un groupe relativement restreint, des hommes protestants possédant des biens, à un droit très largement répandu. Le développement du droit de vote au Canada reflète ainsi la maturation du pays en tant que démocratie libérale.

Voir aussi Collection Le droit de vote; Droit de vote des femmes au Canada; Chronologie Droit de vote des femmes; Droit de vote des peuples autochtones; Les peuples autochtones et la lutte pour l’émancipation; Droit de vote des Noirs au Canada; Système électoral canadien.

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