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Refugiés LGBTQ+ au Canada

Les réfugiés de la communauté lesbienne, gaie, bisexuelle, trans et queer (LGBTQ+) sont confrontés à de grands défis lorsqu’ils fuient la persécution subie dans leur pays d’origine et se présentent au Canada en quête de protection. De nombreux pays continuent de criminaliser et de poursuivre les membres de la communauté LGBTQ+. Le Canada s’inscrit comme un leader en matière de reconnaissance des demandes de statut de réfugié des membres de la communauté LGBTQ+ et de réinstallation des réfugiés fuyant la persécution basée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre.

Réception des réfugiés LGBTQ+ au Canada

Le Canada fonde son droit des réfugiés sur la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (Convention relative au statut des réfugiés). Un réfugié, au sens de la Convention, est une personne se trouvant hors de son pays d’origine ou de résidence et refusant d’y retourner en raison d’une crainte fondée d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de ses opinions politiques, de sa nationalité ou de son appartenance à un « certain groupe social ». Pour être déclaré réfugié et recevoir le statut de résident permanent, un demandeur d’asile doit prouver à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) du Canada qu’il est persécuté quant à l’un de ces aspects. (La CISR est un tribunal administratif responsable de juger les demandes de statut de réfugié.)

Les réfugiés lesbiennes, gais, bisexuels, trans et queer (LGBTQ+) en quête de protection au Canada doivent prouver qu’ils ont une crainte fondée d’être persécutés par rapport à leur identité de genre ou leur orientation sexuelle et que leur pays est incapable de les protéger, ou est réticent à le faire. Malgré que la Convention relative au statut des réfugiés ne se prononce pas spécifiquement sur la persécution des réfugiés LGBTQ+, la Cour suprême du Canada juge, lors d’une décision mémorable établissant un précédent, que l’orientation sexuelle doit être considérée comme un « groupe social » dans le contexte de l’attribution du statut de réfugié au sens de la Convention (Canada [Procureur général] c. Ward, [1993] 2 RCS 689). Ce jugement ouvre dès lors la voie à la communauté LGBTQ+ pour les demandes de protection au Canada.

Les réfugiés peuvent également s’établir au Canada grâce à des programmes de réinstallation avec l’aide du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), un organe des Nations Uniesresponsable de la gestion des migrations forcées et de la protection subséquente des populations touchées. Les réfugiés peuvent soit être réinstallés directement par le gouvernement du Canada ou migrer grâce au programme de commandites privé soutenu par des organismes ou des particuliers. Les réfugiés obtiennent le statut de résident permanent dès leur arrivée au Canada.

Histoire des mouvements de réfugiés LGBTQ+ au Canada

Les relations entre partenaires de même sexe et les identités de genre fluides sont encore criminalisées et stigmatisées dans plusieurs parties du monde. Au 20e siècle, le Canada n’est pas non plus à l’abri de la persécution et de l’exclusion des personnes LGBTQ+ (voir Préjugés et discrimination au Canada). Toutefois, les mœurs changeantes de la société ont fait du Canada un leader sur le plan de l’avancement et de la protection des droits des personnes LGBTQ+, notamment grâce à la légalisation du mariage entre les personnes de même sexe.

En 1991, le Canada devient également un des premiers pays occidentaux à accorder le statut de réfugié sur la base de l’orientation sexuelle. Puis, en 1993, dans une décision très importante, la Cour suprême du Canada (Canada [P.g.] c. Ward) déclare sans équivoque que la catégorie « groupe social » de la définition d’un réfugié inclut l’orientation sexuelle. Par la suite, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) statue sur des milliers de cas de persécution liés à l’identité de genre ou l’orientation sexuelle. De plus, en 1977, une modification de la Loi sur l’immigration du Canada lève l’interdiction d’immigrer pour les gais et lesbiennes (voir aussi Politique d’immigration canadienne). La modification entre en vigueur le 1er avril 1978.

Parmi les différents types de demandes de statut de réfugié, celles des membres de la communauté LGBTQ+ connaissent le plus de succès. Entre 2013 et 2015, 2 371 (13 %) des 18 221 décisions en matière d’asile sont principalement basées sur l’orientation sexuelle (137 demandes, contrairement aux autres, incluent l’orientation sexuelle comme cause secondaire). De celles-ci, 70,5 % sont acceptées, alors que 62,5 % de l’ensemble des demandeurs se voient accorder le statut de réfugié. Toutefois, les demandes des personnes LGBTQ+ présentent aussi des défis spécifiques, tant pour l’arbitre que pour le réfugié.

Défis pour les réfugiés LGBTQ+ au Canada

Les réfugiés LGBTQ+ sont confrontés à des difficultés particulières lors de la préparation de leur demande. Par exemple, il peut être difficile de réunir des preuves de nature délicate en lien avec des comportements très personnels, et les réfugiés voient régulièrement leur crédibilité mise en doute à cause d’attitudes dépassées concernant la sexualité et l’identité de genre.

Fondamentalement, la persécution d’une personne en raison de son orientation sexuelle et de son identité de genre l’invite à cacher des facettes de sa vie par crainte d’être maltraitée. Bien des personnes sont incapables d’être transparentes par rapport à leur orientation sexuelle ou leur identité de genre dans leur pays d’origine, ce qui rend difficile de fournir des preuves tangibles de leurs relations. De plus, plusieurs réfugiés ne sont pas à l’aise de discuter de leur vie privée avec les étrangers qui traitent leur demande ou les gens de leur pays ou de leur groupe ethnique qui leur offrent des services d’interprétation ou du soutien, craignant que leur orientation sexuelle et leur identité de genre ne soient divulguées au reste de leur communauté. Dévoiler l’identité d’une personne peut avoir de graves conséquences : les relations entre personnes de même sexe demeurent criminalisées dans environ 73 pays, dont 13 qui les condamnent officiellement par la peine de mort (5 de ceux-ci ne l’appliquent pas dans les faits).

Les traumatismes continus et le fait de devoir cacher une part majeure de son identité ont de grandes conséquences sur la perception de soi, la santé mentale et la mémoire, effets qui peuvent émerger lors de la comparution d’un réfugié.

La Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) reconnaît ces défis. En mai 2017, après de longues consultations publiques, la CISR met en place de nouvelles lignes directrices concernant l’arbitrage de cas liés à l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Ces principes directeurs comprennent l’utilisation d’un langage approprié, la protection des renseignements de nature délicate, l’évitement des stéréotypes au moment d’établir les faits et l’offre d’aide pour déterminer les éléments de preuve crédibles. Les lignes directrices et la formation du HCR (concernant le traitement des demandes liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre) fournissent des principes internationaux et donnent accès à une documentation spécifique aux pays relativement à la persécution des personnes LGBTQ+. Elles permettent également de guider l’évaluation de la crédibilité lors de cas extrêmement complexes liés à la sexualité et au genre.

Avancées prometteuses pour les réfugiés LGBTQ+

En plus des lignes directrices de la CISR concernant les demandes de statut de réfugié en lien avec l’orientation sexuelle et l’identité de genre, le Canada se voit présenter des occasions de faire la promotion et la défense des droits ainsi que de la diplomatie pour soutenir et protéger les réfugiés LGBTQ+.

Le système complexe de réinstallation du Canada comprend des catégories de risque imminent, qui peuvent accélérer grandement le processus. Par exemple, en réponse à la déclaration du HCR avançant que les hommes célibataires qui s’identifient comme gais, bisexuels ou transgenres sont les plus vulnérables en Syrie (et doivent être relocalisés d’urgence dans un autre pays), le Canada réinstalle un grand nombre d’hommes syriens gais en raison de leur haut degré de risque (voir Réponse canadienne à la crise des réfugiés syriens). Toutefois, le gouvernement devient l’objet de critiques avançant que la mise en priorité des Syriens mène à la mise de côté des demandes d’autres réfugiés LGBTQ+ vulnérables. Plus précisément, les réfugiés LGBTQ+ de Turquie et d’Iran voient leurs délais de traitement s’allonger et le nombre de recommandations diminuer.

Réinstallation tchétchène au Canada

Par contraste, à l’été 2017, le Canada agit rapidement pour la réinstallation d’au moins 32 réfugiés LGBTQ+ tchétchènes sur un total de 70. En réponse à l’intensification des mesures de répression violentes visant les hommes gais de Tchétchénie (une république de la Fédération russe), le ministère canadien des Affaires étrangèresmène une opération secrète unique pour relocaliser rapidement au Canada les hommes logés dans des refuges russes. En avril 2017, le journal russe Novaya Gazeta (Новая газета) rapporte que les autorités tchétchènes ont orchestré des attaques violentes contre les hommes gais, ce que des organismes locaux et internationaux parviennent à confirmer : les autorités tchétchènes ont rassemblé des hommes soupçonnés d’homosexualité et les ont emprisonnés et torturés.

Certains pays comme la France et l’Allemagne accueillent au moins une personne, la Lituanie en accepte deux, et plusieurs personnes entrent dans l’Union européenne grâce à un visa de touriste pour ensuite déposer une demande de statut de réfugié. Toutefois, le Canada est le seul pays à adopter un programme méthodique de réinstallation pour les hommes tchétchènes gais qui fuient la persécution. Le programme unique mis en place n’entre pas dans le cadre du droit internationalen matière de protection des réfugiés : les réfugiés sont habituellement réinstallés seulement après avoir fui leur pays d’origine. Dans ces circonstances, puisque les hommes continuent de se cacher en Russie, le Canada doit agir rapidement grâce à un réseau d’organismes, dont l’ONG Human Rights Watch, le réseau LGBT russe et des organismes canadiens LGBTQ+ tels que Rainbow Railroad.

Rainbow Railroad est l’un des rares organismes au Canada voués à la protection des droits des réfugiés LGBTQ+. Son mandat est d’aider à faire venir au Canada, et dans d’autres pays sécuritaires, ceux qui demandent le statut de réfugié sur la base de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre. L’organisme se concentre surtout sur les victimes de violence physique ou les personnes les plus susceptibles d’être victimes de violence, d’emprisonnement illégitime ou de meurtre. D’autres organismes, dont The 519 à Toronto, soutiennent les réfugiés LGBTQ+ pendant leur installation au Canada au moyen de planification et d’aide psychologique. The Iranian Railroad for Queer Refugees (IRQR) se consacre aux personnes LGBTQ+ iraniennes fuyant la persécution de leur pays d’origine, tandis que l’initiative Espace positif du Conseil ontarien des organismes de service aux immigrants encadre l’offre de services présentée aux nouveaux arrivants LGBTQ+. Installé à Vancouver, le Rainbow Refugee Committee soutient et aide les demandeurs d’asile, les demandeurs de statut de réfugié et les réfugiés LGBTQ+ et/ou séropositifs au Canada, tandis que le programme I Belong de MOSAIC (aussi à Vancouver) vise à combler les besoins particuliers des immigrants LGBTQ+. AGIR Montréal, quant à lui, soutient les réfugiés et les migrants LGBTQ+ à Montréal.

Perspectives d’avenir : protection des droits des réfugiés LGBTQ+ au Canada

Malgré le succès des efforts de réinstallation des Tchétchènes, au moins un homme gai de la communauté venu au Canada devient, à Toronto, la cible d’attaques perpétrées par des hommes de la diaspora canado-tchétchène.La Commission de l’immigration et du statut de réfugié est également critiquée pour le traitement qu’elle accorde aux réfugiés bisexuels et pour son inaptitude à reconnaître les nuances particulières de l’expérience vécue par ce groupe. L’augmentation récente du nombre de demandes de statut de réfugié provenant du Nigeria (en raison de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre) déclenche une enquête menée par Aide Juridique Ontario. Toutefois, au début de 2018, les doutes quant à la nature potentiellement frauduleuse des demandes ne peuvent toujours pas être confirmés.

Les réfugiés LGBTQ+ sont également touchés lors de l’adoption de l’entente sur les tiers pays sûrs, qui empêche les gens de présenter une demande de statut de réfugié au Canada s’ils arrivent des États-Unis. Toutefois, au moins un demandeur du statut de réfugié LGBTQ+ ayant traversé la frontière pour se rendre au Manitoba gagne son procès et est autorisé à rester au Canada de manière permanente.

La création de lignes directrices spécifiques au traitement des demandes de statut de réfugié en fonction de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre constitue un grand pas en avant au chapitre de la reconnaissance de la complexité de ce type de demande. Les efforts concertés visant à offrir rapidement une protection aux membres de la communauté LGBTQ+, par exemple dans le cas des Tchétchènes, mettent en valeur l’importance de mettre en place des partenariats internationaux et locaux pour protéger les groupes vulnérables et les personnes à risque.