Contexte
Il n’existe en soi pas de « religion autochtone » fondamentale et prépondérante. Les croyances spirituelles sont très diverses, tout comme les pratiques spirituelles des peuples autochtones vivant actuellement au Canada. Il existe toutefois des points communs entre les traditions spirituelles, notamment les mythes de la création, le rôle des filous ou d’êtres surnaturels dans le folklore et l’importance des organisations sacrées. De plus, les modes de vie traditionnels se mêlent souvent à la religion et à la spiritualité. Des activités telles que la chasse, l’appartenance à un clan et d’autres aspects de la vie quotidienne sont souvent associés à une interprétation spirituelle. Cet article vise à décrire des thèmes et des pratiques similaires, mais ne doit pas être considéré comme exhaustif ou faisant autorité. Des renseignements plus détaillés peuvent être trouvés grâce à des lectures complémentaires ou en s’informant auprès des anciens.
Mythes de la création
Les mythes de la création décrivent l’origine du cosmos et les liens qui existent entre ses éléments. Dans ce que les universitaires nomment souvent le « mythe du Plongeur terrestre », le Grand Esprit ou un héros mythique plonge ou ordonne aux autres animaux de plonger dans les eaux originelles pour en ramener de la boue avec laquelle la Terre est façonnée. Dans certaines versions du mythe, la Terre est formée sur le dos d’une tortue. Certains peuples autochtones donnent souvent à l’Amérique du Nord le nom d’« île Tortue ».
Les mythes de la création décrivent également les origines de la lune, du soleil, des étoiles et des êtres humains. Ils peuvent servir d’histoires et d’enseignements sur l’environnement, les cieux et la relation que l’humain entretient avec le monde et ses semblables. Dans nombre de ces légendes, les filous et les êtres transformateurs apparaissent sous les traits d’êtres humains qui possèdent des pouvoirs surnaturels et qui agissent souvent pour donner au monde sa forme actuelle et guider l’humanité.
Filous, êtres transformateurs et héros mythiques
Dans les cultures autochtones, les filous peuvent prendre des formes diverses. En fonction du lieu et du groupe, ils peuvent être hommes ou femmes; désagréables ou aimables; héros ou fauteurs de trouble; mi-humains, mi-esprits; jeunes ou vieux; esprits, humains ou animaux. Chez les Mohawks, il s’agit d’un coyote, de Nanabush ou Nanabozo chez les Ojibwés ou encore d’un corbeau chez les Haïdas, les Tsimshians, les Tlingits, les Inuit et les Nisga’as.
Les êtres transformateurs peuvent prendre la forme d’un humain, d’un animal ou d’un objet inanimé, en fonction des circonstances. C’est le Glooscap des Mi’kmacs, des Wolastoqiyiks, des Abénaquis et des peuples algonquins. Glooscap a donné forme au soleil, à la lune, aux poissons, aux animaux et aux humains, tandis que son frère Malsum (un autre être transformateur) a créé les serpents, les montagnes, les vallées et tout ce qui, de son point de vue, peut compliquer la vie des humains.
Certaines traditions autochtones parlent de héros mythiques. Des légendes racontent leurs voyages périlleux dans le royaume des morts pour en ramener un être bien-aimé. Ces mythes comportent une représentation très détaillée du royaume des morts et jouent un grand rôle pour comprendre des éléments culturels aussi divers que la danse des esprits des peuples des Plaines, les différents concepts de l’âme et plusieurs facettes du chamanisme (voir aussi Chaman).
Mythes institutionnels et rituels religieux
Chaque peuple autochtone a ses propres traditions et rituels religieux. De nombreux peuples des plaines prennent part à la danse du soleil, tandis que les Salish du littoral pratiquent généralement des cérémonies d’hiver. Les Haudenosaunee participent à la cérémonie du maïs vert, tandis que d’autres abritent une société des faux-visages. Chez les Ojibwés, la société Midewiwin est l’un des piliers de la vision du monde des Anishinaabes. Les bourses sacrées– objets de rite propres à leur propriétaire – comptent au nombre des traditions religieuses de nombreux Autochtones, dont les Siksikas, les Cris et les Ojibwés.
Les mythes institutionnels racontent les origines de ces traditions religieuses. Les mythes rituels, quant à eux, sont des scénarios qui orchestrent la représentation des mythes institutionnels, des cérémonies et des rituels. Les rites liés à la fertilité, à la naissance, aux initiations et à la mort sont souvent clairement détaillés dans les traditions religieuses. Des représentations chamaniques y sont aussi parfois décrites. Les cérémonies sont souvent précédées de rituels purificatoires astreignants comme les sueries ou les bains (courants chez les Salish, les Siksikas et les peuples autochtones des forêts de l’Est), le jeûne et l’abstinence sexuelle. Les festins sont également habituels lors de ces cérémonies.
Grand Esprit et conception du monde
De nombreux groupes autochtones croient en l’existence d’un Créateur, d’un Grand Esprit ou d’un Grand Mystère. En général, cette puissance ou cet être a créé le monde et tout ce qui s’y trouve. S’il est potentiellement bénéfique, il peut devenir dangereux s’il est traité avec insouciance ou irrévérence.
Les esprits de toutes les créatures vivantes sont puissants et mystérieux, tout comme le sont de nombreux phénomènes naturels et lieux importants pour les rituels. En général, la puissance ou le mystère surnaturel est désigné Orenda par les Haudenosaunee, Wakan par les Dakotas et Manitou par les peuples algonquins. Ce mystère ou cette puissance est une émanation des esprits. C’est également un attribut des êtres transformateurs, des filous, des héros mythiques et d’autres personnages surnaturels, ainsi que des chamans, des prophètes et d’autres officiants des cérémonies. Les objets servant aux rituels, comme le calumet, les crécelles, les tambours, les masques, les roues médicinales, les bourses sacrées et les sanctuaires réservés aux rites sont imprégnés de la puissance spirituelle.
De nombreuses légendes orales parlent de contacts entre les humains et l’au-delà. Lors des cérémonies, des éléments tels que des colonnes de fumée, les piliers centraux d’une habitation ou le pilier central de la hutte de la danse du soleil représentent ces contacts. De nombreux groupes parlent d’une mer originelle ou d’un déluge universel. Les peuples du littoral du Nord-Ouest, comme les Kwakwaka’wakw, divisent l’année en deux grandes saisons : l’été et l’hiver. C’est durant l’hiver que se déroulent la plupart des cérémonies religieuses. Les sociétés agricoles comme celle des Haudenosaunee observent des calendriers rituels établis en fonction des périodes de cueillette de diverses plantes comestibles, et ils font une fête célébrant le renouveau de la vie, habituellement au milieu de l’hiver.
La notion de protecteur est un concept clé commun à de nombreuses sociétés. Chez les Abénaquis, par exemple, l’ours est considéré comme l’un des six protecteurs directionnels (ouest) et il représente le courage, la force physique et la bravoure. Chez les Inuit, la déesse de la mer, Sedna, est la protectrice des mammifères marins et c’est elle qui décide quand ils peuvent être chassés. Les chamans peuvent entrer en contact avec Sedna et la convaincre de libérer les animaux en échange d’offrandes ou de la réparation de certains torts passés.
Chamans
Parmi les multiples personnages religieux des traditions spirituelles autochtones, les plus connus sont les chamans. Ce sont à la fois des guérisseurs, des prophètes, des devins et des gardiens de la mythologie religieuse. Ils agissent aussi souvent comme officiants des cérémonies religieuses. Dans certaines sociétés, toutes ces fonctions sont dévolues à une seule et même personne. Dans d’autres, les chamans sont des spécialistes. Les guérisseurs peuvent appartenir à différents ordres, comme le Midewiwin ou la Grande Société de médecine des Ojibwés, ou à des sociétés secrètes, comme chez les Kwakwaka’wakw et les Siksikas. Les membres de ces sociétés ne sont pas toujours des chamans, mais ils officient durant les cérémonies et les rituels religieux.
On attribue aux chamans des pouvoirs généralement considérés comme bénéfiques pour la communauté, mais on les soupçonne, dans certains cas, de s’en servir à des fins de sorcellerie. Les chamans agissant comme devins et prophètes s’emploient à prédire les résultats des sorties de chasse, à retrouver des objets perdus et à déterminer les causes profondes des mécontentements et de tout signe de mauvaise volonté au sein de la communauté. Les Siksikas, les Cris, les Ojibwés et d’autres groupes ont des devins qui annoncent leurs prophéties (peut-être en état de transe) à l’occasion de la spectaculaire cérémonie de la tente tremblante. Les chamans de ces groupes ont la garde des bourses sacrées qui contiennent des substances et des objets empreints de profonds mystères et dotés de grands pouvoirs. Les chamans innu devinent où passe le gibier en brûlant des omoplates de caribou, puis en lisant les fractures et les fissures créées par le feu.
Les chamans-guérisseurs savent que de nombreuses maladies – surtout celles qui sont guérissables par des moyens physiques – sont attribuables à des causes naturelles. Pour ce qui est des autres affections, ils croient souvent qu’elles résultent de l’insertion d’objets dans le corps par des sorciers. Si le traitement appliqué par le chaman-guérisseur pour guérir de telles maladies est dicté par son esprit tutélaire, il consiste généralement à extraire par une succion rituelle l’objet responsable de la maladie, à le balayer avec une aile d’oiseau, ou à l’extirper à l’aide de gestes spectaculaires. La maladie peut aussi résulter d’une « perte de l’esprit ». Le chaman-guérisseur s’efforce alors de retrouver l’esprit du malade (son âme ou le pouvoir de son esprit protecteur, voire les deux) et de le réintroduire à l’intérieur du corps.
Esprit protecteur et quête de la vision
La quête de la vision (parfois nommée la quête de l’Esprit protecteur) est une pratique jadis courante chez la plupart des groupes autochtones au Canada et qui connaît actuellement un regain chez de nombreuses communautés autochtones au pays. Les hommes, surtout durant leur puberté, mais aussi à d’autres moments de leur vie, effectuent des séjours prolongés dans des régions éloignées où ils jeûnent, prient et se purifient en se lavant dans des ruisseaux et des étangs. Il s’agit d’avoir une vision, ou même de rencontrer un esprit protecteur (le plus souvent un animal, mais aussi un personnage mythologique). Le contact avec un esprit protecteur doit assurer santé, prospérité et succès, particulièrement à la chasse et à la pêche.
L’aspect personnel de la quête se retrouve dans les célébrations courantes de la vie, par exemple, lors des rituels qui accompagnent la naissance ou l’attribution d’un nom, l’arrivée de la puberté, le mariage et la mort, autant d’événements qui sont habituellement empreints d’une certaine solennité. Les cérémonies liées aux événements de la vie, bien que centrées sur la personne concernée, prévoient quand même toujours une certaine participation de la communauté. Par exemple, il se peut que la fête des Morts célébrée chez les Hurons-Wendat ait repris des éléments appartenant à la fois aux rites saisonniers et aux rituels attachés aux différentes étapes de la vie.
Influence européenne et chrétienne
Les contacts des Autochtones avec les divers types de religions européennes, par l’intermédiaire des colons, des missionnaires, des pensionnats indiens financés par le gouvernement et l’église et des politiques gouvernementales directes et indirectes, ont modifié tous les aspects des religions autochtones.
Dans les régions où des contacts continus ont été établis relativement tôt, aux 16e et 17e siècles, les missionnaires français baptisent de nombreux Autochtones pour en faire des catholiques. Les Mi’kmaqs, par exemple, commencent à suivre l’exemple du Grand chef Membertou après sa conversion en 1610. La religion mi’kmaq comprend de nombreux éléments traditionnels qui ont été fusionnés aux rites du christianisme. Même le drapeau du Grand Conseil des Mi’kmaqs porte une grande croix.
La capacité d’adaptation du christianisme aux rites spirituels autochtones est illustrée par le chant huron, un chant de Noël qu’aurait écrit pour les Hurons-Wendat le missionnaire jésuiteJean de Brébeuf au 17e siècle. Le chant mêle l’imagerie et la mythologie autochtones, notamment Kitchi Manitou– au mythe chrétien de la Nativité. Les Mages, porteurs de présents, deviennent de grands chefs habillés de peaux, et la crèche devient une hutte en écorce de bouleau. Les histoires mettant en scène les saints et Jésus ressemblent de près à celle du héros mythique et ont pu être facilement adaptées par de nombreuses communautés autochtones.
Les mariages mixtes sont un vecteur plus radical de mélange des traditions religieuses et spirituelles. Les pratiques religieuses des Métis combinent d’ailleurs habituellement la spiritualité traditionnelle aux coutumes protestantes ou catholiques. Quelques « religions syncrétiques » uniques, telles que la religion des trembleurs dans la région des Salish de la côte,combinent les rites autochtones traditionnels et les pratiques européennes.
Toutefois, l’adaptation à la religion et au mode de vie européens ne se fait pas toujours en douceur ni sans conséquence. Les Autochtones repoussent les premières tentatives visant à les convertir tandis que des générations entières souffrent de nombreuses politiques gouvernementales destructives comme celles qui ont mené à la création des pensionnats et à l’interdiction des potlatchs et de la danse du soleil en vertu de la Loi sur les Indiens en 1885.
Certaines Premières nations rejettent le formalisme importé d’Europe et se tournent vers la spiritualité traditionnelle, soucieuses de faire revivre les croyances et les pratiques religieuses de jadis (p. ex., la religion de Handsome Lake des Haudenosaunee). D’autres mouvements religieux s’opposent radicalement aux cultes européens, comme la danse des esprits pratiquée au 19e siècle par les Dakotas et d’autres communautés autochtones des Plaines.
Le fossé qui s’est creusé entre les Autochtones chrétiens et les Autochtones non chrétiens reste une cause de tensions. En 2011, la Première nation crie Oujé-Bougoumou, dirigée par un conseil composé uniquement de chrétiens, décide d’interdire tous les rites spirituels autochtones, y compris les sueries, ce qui provoque de vives réactions et des divisions profondes au sein de la communauté. En 2015, les Cris d’Oujé-Bougoumou organisent leur premier pow-wow, alors que ce type de rassemblement n’avait jamais été encouragé.