En 2019, on comptait 1 583 réserves en Colombie‑Britannique associées à 203 nations autochtones (voir aussi Premières Nations en Colombie‑Britannique). Contrairement à de nombreuses autres régions du pays, où les réserves résultent de traités conclus entre le gouvernement fédéral et les nations autochtones, la plupart des réserves de la Colombie‑Britannique ont été créées en l’absence de telles négociations. Seules deux régions de la Colombie‑Britannique sont visées par des traités historiques, à savoir l’île de Vancouver par les Traités de Douglas et l’extrême nord‑est de la province par le Traité 8. En Colombie‑Britannique, comme ailleurs au pays, les réserves sont liées par les modalités de la Loi sur les Indiens. Cependant, étant donné le nombre de nations autochtones non visées par un traité, le gouvernement provincial a mis en place un processus moderne de négociations territoriales. Plusieurs communautés autochtones de la Colombie‑Britannique ont eu recours à ce processus ou à d’autres moyens pour négocier des ententes d’autonomie gouvernementale conférant aux gouvernements autochtones le pouvoir de décision en matière de gestion des terres.
Traités de Douglas
En 1849, l’île de Vancouver devient une colonie britannique. (À l’époque, la Compagnie de la Baie d’Hudson revendique son autorité sur le territoire continental qui deviendra la Colombie‑Britannique.) Entre 1850 et 1854, le deuxième gouverneur de la colonie, James Douglas, un commerçant de fourrures de haut rang, négocie 14 traités avec plusieurs nations autochtones portant sur Victoria, Saanich, Sooke, Nanaïmo et Port‑Hardy et les territoires environnants et incluant la délimitation de terres de réserve protégées. Tout au long des années 1850, l’immigration de colons vers l’île de Vancouver demeure lente.
Réserves indiennes anticipées
En 1858, plus de 30 000 chercheurs d’or, pour la plupart Américains, arrivent soudainement en Colombie‑Britannique continentale, afin de participer à la ruée vers l’or du fleuve Fraser, amenant la Grande‑Bretagne à établir, outre la colonie existante de l’île de Vancouver, une nouvelle colonie de la Colombie‑Britannique dont James Douglas devient également gouverneur. L’arrivée des chercheurs d’or met en évidence la nécessité d’une politique pour réglementer les relations entre les Autochtones et les colons. En dépit du refus de Londres de financer la négociation de traités officiels, James Douglas conçoit néanmoins une politique à cet effet, en consultation avec les Autochtones et en réaction à la politique en la matière prévalant au sud de la frontière.
Dans une lettre aux autorités britanniques de mars 1859, le gouverneur explique que sa vision consiste à garantir l’autosuffisance des Autochtones en créant des « réserves anticipées » qui comprendraient non seulement les terres actuellement cultivées et les emplacements des villages, mais également des terres supplémentaires qui pourraient être utilisées pour l’agriculture commerciale et l’élevage, anticipant littéralement les besoins futurs des peuples autochtones, ces derniers pouvant temporairement louer à des colons les terres non utilisées, l’intégralité des profits de cette opération revenant à la communauté autochtone concernée.
Certains dirigeants autochtones craignent que le gouvernement de la Colombie‑Britannique ne suive la pratique américaine consistant à expulser les Autochtones des terres sur lesquelles ils sont installés et de leurs territoires ancestraux. En réponse à ces craintes, James Douglas leur précise qu’il a chargé des agents gouvernementaux « de jalonner et de réserver à leur usage et à leur profit tous les emplacements de village et tous les champs cultivés, ainsi que la superficie dans les environs qu’ils pourraient occuper ou dont ils pourraient avoir besoin pour assurer leur subsistance ».
L’engagement supplémentaire à faciliter la participation des Autochtones à la société des colons émergente est au cœur des politiques autochtones de James Douglas. Alors que les terres à l’extérieur des réserves seraient disponibles pour que les colons puissent créer des villes et des exploitations agricoles, il indique que les Autochtones « pourraient librement profiter de leurs droits de pêcher dans les lacs et les rivières, ainsi que de chasser sur l’ensemble des terres de la Couronne non occupées de la colonie ». D’une manière générale, il déclare qu’il entend « tout faire pour qu’ils [les Autochtones] prennent conscience qu’ils sont des membres reconnus du Commonwealth ». Sous son administration, les Autochtones ont le droit d’acheter des licences minières et d’enregistrer des préemptions pour des terres agricoles et des ranchs privés. Certains dirigeants autochtones sont même nommés à des postes de magistrats pendant son mandat.
Les récits oraux autochtones reflètent leur compréhension commune d’un avenir où les Autochtones et les colons se respecteraient mutuellement. En 1915, le chef John Leon de la Première Nation Sts’ailes se souvient, en ces termes, des politiques de James Douglas :
Sir James Douglas, le premier gouverneur, nous a fait une promesse verbale, à nous, les Indiens, lorsqu’il a arpenté ces terres pour la première fois. Il nous a déclaré qu’en dépit du fait qu’il arpentait des terres indiennes, leurs véritables propriétaires étaient les Indiens et qu’aucun homme blanc ne s’y immiscerait. Il a ajouté que concernant toutes les terres extérieures aux nôtres, Sa Majesté la reine Victoria les prendrait et les vendrait aux Blancs et qu’elles seraient alors comme un arbre fruitier pour les Indiens. Sa Majesté prendrait les fruits et les donnerait aux Indiens pour leur subsistance durable.
Cependant, de nombreux hauts fonctionnaires de son administration et une grande partie des colons ne partagent pas cette vision du gouverneur, le colonel R.C. Moody, commissaire en chef des terres et des travaux, insérant, en particulier, à plusieurs reprises, des mises en garde dans les instructions de James Douglas. Son ingérence réduit la capacité d’action des Autochtones, ouvrant des terres supplémentaires à la spéculation et à la colonisation, le gouverneur devant, dans ce contexte, régulièrement préciser aux peuples autochtones et aux représentants du gouvernement que c’étaient les nations autochtones elles‑mêmes qui avaient le droit de déterminer les terres qui deviendraient des réserves.
Entre 1861 et sa retraite au printemps 1864, James Douglas rencontre directement des dirigeants autochtones et donne des instructions verbales et écrites aux arpenteurs, aboutissant à la démarcation de réserves anticipées relativement importantes dans une grande partie de la colonie. En Colombie‑Britannique continentale, le commissaire William Cox et le chef Louis Clexlixqen délimitent, par exemple, une réserve qui s’étend vers l’est à partir de Kamloops, le long de la rivière Thompson, sur plus de 19 km, remonte la rivière North Thompson sur plus de 9 km, puis retourne dans les montagnes. De même, le long de la vallée du bas Fraser, un total de 39 900 acres (161,5 km²) sont mis de côté pour les Stó:lō vivant dans la région d’Abbotsford et de Chilliwack.
Désaveu des réserves de James Douglas
Après le départ à la retraite de James Douglas, Joseph Trutch remplace R.C. Moody comme commissaire en chef, assumant le contrôle de fait de la politique autochtone de la colonie continentale. Raciste, il croit que les Autochtones sont intrinsèquement inférieurs aux Européens, déclarant qu’il aura comme politique « de désavouer absolument » la légitimité des réserves délimitées par les directives de James Douglas.
Sous le mandat de Joseph Trutch, la taille des réserves indiennes est considérablement réduite. En 1867, par exemple, la réserve des Matsqui, située sur le territoire de l’actuelle Abbotsford, s’étendant sur 9 600 acres (38,85 km²) est réduite à seulement 80 acres (0,33 km²). Dans le même ordre d’idées, la réserve géante de Kamloops passe à à peine trois milles carrés (7,77 km²).
Intégration de la Confédération par la Colombie‑Britannique
La Colombie‑Britannique se joint à la Confédération en 1871 et Joseph Trutch est nommé premier lieutenant‑gouverneur de la province. En tant que l’un des principaux architectes des termes de l’union de la Colombie‑Britannique avec le Canada, il y insère une clause qui paralysera les efforts des futurs fonctionnaires fédéraux pour établir des réserves relativement étendues en Colombie‑Britannique. Ailleurs au Canada, de telles réserves sont créées dans le cadre du processus des traités numérotés.
Dans le cadre des contraintes imposées par le lieutenant‑gouverneur, le commissaire aux réserves, Gilbert M. Sproat, ne peut répondre que partiellement aux demandes autochtones de restitution de leurs terres de réserve d’origine : s’il est vrai qu’au cours de son mandat, certaines réserves sont étendues, celle des Matsqui passant, par exemple, d’une réserve unique de 80 acres (0,33 km²) à quatre réserves distinctes s’étendant sur 608 acres au total (2,46 km²), il n’en demeure pas moins que de nombreuses demandes d’autres nations autochtones restent sans réponse.
Gilbert M. Sproat démissionne de frustration en 1880. À la suite de cette démission, Joseph Trutch, nommé entre‑temps agent du dominion pour la Colombie‑Britannique par le premier ministre John A. Macdonald, réussit alors à faire nommer son beau‑frère, Peter O’Reilly, au poste de commissaire aux réserves, garantissant ainsi que le processus de création ultérieure de réserves ne s’écartera pas beaucoup de sa vision antérieure d’espaces marginaux pour des personnes marginalisées.
Cette situation connaît toutefois une exception dans l’extrême nord‑est de la province où, en 1899, le gouvernement fédéral répond aux demandes autochtones de traité (et donc aussi de réserves) dans le cadre des négociations du Traité 8 qui prennent alors place dans les Prairies canadiennes. Le gouvernement de la Colombie‑Britannique, qui s’était constamment opposé aux demandes de traités relevant de sa compétence, est informé des négociations en cours; cependant, comme l’explique l’historien Arthur Ray, il choisit de ne pas s’impliquer, ne consentant ni ne s’opposant au processus.
Commission McKenna‑McBride
Partout dans la province, les Autochtones continuent de réclamer des réserves plus nombreuses et plus étendues, ainsi que des compensations pour les terres aliénées. Le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial, dans un effort pour mettre fin à ce que l’on appelle alors couramment la « question des terres », établissent la Commission royale des affaires indiennes pour la province de la Colombie-Britannique (également connue sous le nom de Commission McKenna‑McBride). Entre 1913 et 1916, la Commission parcourt la province pour recueillir des preuves auprès de témoins autochtones et colons. En fin de compte, ses travaux aboutissent à l’agrandissement de nombreuses réserves indiennes existantes, mais également, à la déception des peuples autochtones, au rétrécissement de l’assise territoriale de celles qui, selon les commissaires, ne sont pas utilisées de manière adéquate, certaines réserves existantes étant même complètement éliminées.
Processus de négociation des traités de la Colombie‑Britannique
La Commission McKenna‑McBride ne met pas fin à la question des « terres indiennes », cimentant, au contraire, la résolution et la détermination des Autochtones. Au cours des décennies suivantes, les peuples autochtones redoublent d’efforts pour obtenir la reconnaissance de leur titre, une compensation pour les terres aliénées et des réserves plus étendues. En 1992, après que des nations autochtones comme les Musqueam ont réussi à faire valoir leurs droits fonciers et de pêche devant les tribunaux, le gouvernement provincial consent finalement à adopter un cadre formel d’élaboration de traités. Depuis cette date, le processus de négociation des traités de la Colombie‑Britannique a abouti à l’élaboration de cinq traités, dont trois sont d’ores et déjà en vigueur : les traités Tla’amin, Maa‑nulth et Tsawwassen. Chaque traité résultant de ce processus constitue une entente d’autonomie gouvernementale redéfinissant, notamment, les objectifs des anciennes terres de réserve. Cependant, toutes les nations autochtones de la Colombie‑Britannique n’optent pas pour le processus des traités; d’autres, qui y participent, en sortant de frustration. D’autres groupes encore signent des ententes d’autonomie gouvernementale en dehors du processus de négociation des traités de la Colombie‑Britannique, à savoir les Premières Nations Shíshálh (anciennement connue sous le nom de Première Nation Sechelt), Nisga’a et Westbank. Ces ententes réforment les relations des Autochtones avec le gouvernement fédéral et avec le gouvernement provincial de la Colombie‑Britannique.
Résurgence et réconciliation
Les Autochtones continuent de lutter contre la situation née de la colonisation de peuplement; cependant, de nombreuses Premières Nations réussissent à transformer les terres des réserves en communautés autonomes vivantes au sein desquelles elles exercent des activités économiques, sociales, éducatives et artistiques dynamiques. Grâce au militantisme, aux contestations judiciaires, aux initiatives d’éducation du public et aux négociations, les dirigeants autochtones retrouvent une part de plus en plus importante dans la gouvernance de leurs terres et, plus largement, de leurs ressources ancestrales. La résurgence politique et culturelle autochtone en cours transforme non seulement les communautés autochtones, mais aussi la relation entre les Autochtones et les colons, ainsi que la société canadienne dans son ensemble et le fédéralisme. Beaucoup y voient une étape capitale vers une véritable réconciliation.