Ronald (Ron) Mann, réalisateur, producteur, scénariste, distributeur cinématographique (né le 13 juin 1958 à Toronto, en Ontario). Ron Mann est un des plus éminents cinéastes de documentaires au Canada et un des membres influents de la Toronto New Wave (Nouvelle Vague torontoise). Se décrivant lui-même comme un « historien culturel », il tourne des films très personnels portant habituellement sur des sujets alternatifs et sur des cultures intimes marginalisées. Ses œuvres les plus connues sont : Comic Book Confidential (1988) récipiendaire d’un prix Génie, Imagine the Sound (1981) un documentaire sur le free-jazz, Grass (1999) un film procannabis aussi récipiendaire d’un Prix Génie, et Altman (2014) une sorte de biographie-profil du réalisateur américain Robert Altman. Ron Mann donne aussi son appui au cinéma indépendant à travers sa compagnie de distribution, Films We Like.
Jeunesse et formation
Ron Mann grandit à Toronto, élevé par ses parents, Amy, une peintre, et Harold, le propriétaire d’un magasin de produits électroniques. Il commence à tourner des films à l’âge de 12 ans et il obtient son premier prix pour un film en huitième année. Lors de son cours secondaire, il développe ses aptitudes d’entrepreneur en organisant, dans le sous-sol chez ses parents, des projections de copies de grands films d’Hollywood, pour ses confrères de classe.
Un autre des éléments clefs de sa formation de cinéaste a été un voyage au Festival de Cannes en 1976. Son légendaire trajet en stop entre Paris et Cannes (où il passe ses nuits à dormir sur les plages) contribue à la mise en place de son personnage mythique. Cela lui permet aussi de rencontrer des cinéastes comme Elia Kazan, qui lui recommande de laisser de côté l’école de cinéma et de simplement continuer de tourner des films.
Il continue donc de tourner des films, tout en recevant un B.A. en cinéma de l’Université de Toronto. Ses travaux cinématographiques d’étudiant manifestent déjà un intérêt pour les sujets alternatifs, traités dans une perspective empreinte de fraîcheur. À l’âge de 21 ans, il rencontre une autre figure de mentor en la personne du cinéaste américain et marxiste renommé Emile de Antonio. Déjà ambitieux, Ron Mann prend assez abruptement contact avec ce metteur en scène quand des amis lui disent que son association avec un nom connu lui permettrait de mieux faire mousser son premier long métrage. De Antonio accepte d’encadrer le savoir-faire naissant de Mann. L’influence de de Antonio est bien présente dans le ton très contre-culture du travail de Mann, dans son intérêt pour les récits alternatifs, et dans son esthétique de monteur. Ron Mann a souvent dit de de Antonio qu’il était son « second père ».
Films
Ron Mann sort son premier long métrage, Imagine the Sound (1981), à l’âge de 23 ans. Il s’agit d’un documentaire sur le milieu du jazz à Toronto. Ce film l’établit alors comme un artiste explorant les marges avec rythme et allant. Le film est crucial pour Mann ainsi que pour l’émergence d’un groupe de jeunes cinéastes indépendants qui vont se faire connaître comme la Toronto New Wave (Nouvelle Vague torontoise). Steve Gravestock, responsable des programmes au Festival international du film de Toronto écrit : « Il serait bien difficile de surestimer l’impact du film Imagine the Sound dans le monde torontois du cinéma. Sa sortie à la toute fin de la fameuse ère des abris fiscaux a contribué à galvaniser ce que d’aucuns considéraient comme une industrie moribonde. »
Le succès culte de Ron Mann se poursuit avec Poetry in Motion (1982), une célébration de l’art et de la culture sous la forme d’une performance de plus de 20 poètes, dont Michael Ondaatje, Allen Ginsberg et William Burroughs. Daniel Nester de la Poetry Foundation écrit: « Trente ans plus tard, le film tient toujours la route comme anthologie autant que comme capsule temporelle. »
Tout comme Imagine the Sound, le film Poetry in Motion a une influence significative sur le cinéma canadien. Atom Egoyan, Peter Mettler et Bruce McDonald ont travaillé comme assistants de production sur ce film. Et Peter Wintonick, l’éditeur du film, le cite comme son inspiration directe pour la poursuite de sa carrière dans le documentaire. De la même façon, le cinéaste indépendant américain Richard Linklater (Jeunesse, La tête dans les nuages) s’est senti incité à acheter sa première caméra cinématographique après avoir vue le film Poetry in Motion et avoir assisté à une séance de questions et réponses avec Ron Mann à Houston, en 1982.
Le film suivant de Mann, Listen to the City (1984), est un drame expérimental incluant des performances du poète bpNichol et du futur chef du NPD, Jack Layton. La critique est restée totalement muette. Mann part ensuite pour Los Angeles où il élabore trois scénarios pour Ivan Reitman, dont aucun n’est produit. Il filme ensuite un documentaire, tourné en marge du long métrage L'affaire Chelsea Deardon de Reitman (1986). Mais Universal Pictures juge que ce documentaire à l’envers du décor est à visée trop pompeusement artistique pour pouvoir être diffusé.
Ces nouvelles expériences donnent à Ron Mann une appréciation toute pragmatique d’Hollywood comme source de financement pour ses propres films. Ce temps passé dans le sud de la Californie lui permet aussi de prendre contact avec la Comic Con (convention de bédéistes) de San Diego et sa culture intime hautement mécomprise. Cela devient le sujet d’un de ses plus grands succès cinématographiques : Comic Book Confidential (1988). Ce film inventif porte sur les auteurs de bandes dessinées. Il remporte le prix Géniedu Meilleur long métrage documentaire. Il fait aussi l’objet de projections dans des festivals internationaux comme Sundance et le Festival international du film de Chicago, où il est désigné meilleur documentaire. Comme le note le critique Adam Nayman, Comic Book Confidential est un succès au guichet qui « confirme que Mann est le cinéaste de documentaires le plus dans le coup, au Canada.»
Après Comic Book Confidential, Mann tourne des longs métrages sur différents sujets. Le documentaire sur la danse Twist (1992) clôture le Festival des festivals de Toronto de 1992 en déclenchant une guerre d’enchères. Le film Grass (1999), récipiendaire d’un prix Génie, porte sur la législation américaine sur le cannabis. Le documentaire, très critique face au monde de l’entreprise, Go Further (2003), portant sur un voyage en autobus effectué par Woody Harrelson et d’autres activistes écologiques, est projeté en ouverture du Festival du Film South by Southwest et est mis en nomination pour un prix Génie. Le film Tales of the Rat Fink (2006) porte sur le fameux bidouilleur de voitures anciennes et concepteur d’automobiles faites sur mesure Ed « Big Daddy » Roth. Le film Know Your Mushrooms (2008) permet à Ron Mann d’explorer l’univers des champignons magiques. Altman (2014) porte sur le cinéaste Robert Altman (Le meneur, Un week-end à Gosford Park).
Ron Mann a aussi produit un certain nombre de documentaires tournés par des cinéastes très personnels, sur des artistes et des obsessifs. Le documentaire biographique Brakhage (1998) de Jim Shedden porte sur le légendaire cinéaste expérimental Stan Brakhage. Le film d’Astra Taylor intitulé Examined Life (2008) porte sur des intellectuels comme Cornel West, Slavoj Žižek et Judith Butler qui emportent leurs cadres philosophiques avec eux dans les rues. Le très personnel Lunarcy! (2012) de Simon Ennis étudie des personnes très fermement déterminées à coloniser la lune. Et Al Purdy Was Here (2015) de Brian D. Johnson nous fait découvrir le fameux poète canadien Al Purdy.
Style
Ron Mann est un des seuls cinéastes de documentaires indépendants à s’être constitué une carrière en dehors de la CBC ou de l’ONF. Accessibles et méticuleusement fouillés, ses films ont été décrits, notamment par lui-même, comme une sorte de hollywoodisation de la forme documentaire. Ils promeuvent des histoires de marginaux et une vie en dehors des cadres normés. Ils misent aussi sur la procédure d’Emile de Antonio consistant à créer des espaces cinématiques au montage, par des procédés de type collage. Cameron Bailey a un jour écrit que les œuvres de Mann « ne sont pas, de prime abord, des révélations personnelles. Elles opèrent plutôt sur le canevas de territoires alternatifs. Elles sont les tentatives d’un admirateur de la culture visant sciemment à recentrer ladite culture selon des paramètres encore plus radicaux. »
Compagnie de distribution
Ron Mann donne aussi son appui au cinéma indépendant à travers sa compagnie de distribution. Il a œuvré sur le Citizen Kane (1941) et le King Kong (1933) présentés dans l’édition sur disque laser de la collection Criterion. Il est aussi un pionnier de l’édition vidéo avec des éditions domestiques sur CD-ROM de son film Poetry in Motion et du film de de Antonio, Painters Painting (1973).
En 2003, Mann et son partenaire d’affaires Gary Topp fondent la compagnie de distribution Films We Like. Le duo se lance en affaires quand il apprend qu’il faudrait un distributeur canadien pour le documentaire activiste très acclamé The Weather Underground (2002), qui plus tard fera l’objet d’une nomination aux Oscars. Avec Films We Like, Mann continue de donner son appui aux voix marginalisées, en distribuant des films canadiens, des documentaires et des films internationaux indépendants. Plusieurs de ses propres films figurent aussi au catalogue de Films We Like.
La compagnie de distribution Films We Like est perçue comme une boîte n’hésitant pas à prendre des risques, et ce, tant avec sa programmation que de par ses efforts audacieux pour élargir le marché de la vidéo. On lui doit notamment la toute première sortie d’un film sur clef USB (Know Your Mushrooms). Les titres les plus remarquables de l’entreprise sont : Oncle Boonmee (celui qui se souvient de ses vies antérieures) (2010), gagnant de la Palme d’Or d’Apichatpong Weerasethakul; The Act of Killing (2012) de Joshua Oppenheimer, mis en nomination aux Oscars; Ida (2014) de Pawel Pawlikowski, oscarisé; Phoenix (2014), film acclamé de Christian Petzold; et une collection de films d’Emile de Antonio.
Récompenses
Meilleur long métrage documentaire (Comic Book Confidential), Festival international du film de Chicago (1988).
Meilleur long métrage documentaire (Comic Book Confidential), Prix Génie (1989).
Meilleur long métrage ontarien (Twist), Cinéfest Sudbury (1992).
Meilleur long métrage documentaire (Grass), Prix Génie (2000).