Saguenay-Lac-Saint-Jean
Saguenay-Lac-Saint-Jean. Vaste région occupant le moyen-nord québécois et dont la population d'environ 300 000 personnes (1991) est concentrée principalement dans les centres urbains de Chicoutimi, Jonquière et Alma. De 1652 à 1842, le territoire était réservé à la traite des fourrures. Seuls les agents de commerce et les missionnaires étaient autorisés à y pénétrer. Les missionnaires mirent à profit le goût et les talents des Amérindiens pour la musique, et s'en servirent auprès des Montagnais des postes de Tadoussac, Chicoutimi et Métabetchouan. Le premier témoignage en ce sens fut celui de Jean DeQuen, découvreur du lac Saint-Jean, qui fit chanter « des cantiques spirituels » le 21 mai 1652 sur le site actuel de Belle-Rivière (Relations des Jésuites, 1652). En 1683, Thierry Beschefer, supérieur des missions, écrivit : « Nous avons à Chicoutimi et au Lac St-Jean, des missions et des chapelles bien ornées. C'est là que s'assemblent les Montagnais et les Algonquins qui sont tous chrétiens [...]. Le soir, ils font des prières, chantant alternativement avec les Français qui s'y trouvent des cantiques de l'Église, ceux-ci en latin et les autres en leur langue » (Évocations et témoignages : centenaire du diocèse de Chicoutimi). Au siècle suivant, le père Jean-Baptiste de La Brosse apprit à lire, à écrire et à solfier aux Amérindiens de Tadoussac et « ce ne fut pas sans succès; il n'y avait pas eu de vêpres en montagnais depuis de nombreuses années; je veillai à ce qu'on les chante selon le mode habituel, avec deux choeurs qui alternent; on les chanta pour la première fois le jour de l'Épiphanie 1767 » (Annales missionis ab anno 1766 du père de La Brosse, traduction de Léo-Paul Hébert). Lorsque James McKenzie passa à Tadoussac en 1808, il remarqua que les Montagnais « excellent dans le chant des hymnes et que ceux qui chantent à l'église lisent suffisamment la musique pour chanter correctement » (Léo-Paul Hébert, « La Brosse », DBC, vol. IV). Les mêmes faits sont corroborés par François Pilote en 1851.
Saguenay
Le 11 juin 1838, les premiers colons, provenant principalement de la région de Charlevoix, débarquèrent à Grande-Baie (auj. Ville de La Baie). Le Saguenay s'ouvrit officiellement à l'exploitation forestière et à l'agriculture en 1842. Les pionniers agrémentaient leurs loisirs de chansons et n'avaient souvent pour instrument que le violon. à Chicoutimi, dès 1843, on retrace un premier violoneux, Charles Belleau, bientôt suivi d'un autre, John Chaperon. Cette tradition du violoneux, dont Louis « Pitou » Boudreault fut un exemple, demeura longtemps vivante. Le premier piano acheté vers 1855 par le père de Georges McKenzie fut transporté sur deux canots par des Amérindiens. Il était sitôt revendu à Charles Roy de la Grande-Baie. Il y eut un orgue à Saint-François-Xavier de Chicoutimi avant 1873, instrument en mauvais état dont le pédalier n'aurait jamais servi et qu'on nommait « la brimbale » à cause du levier de la soufflerie. L'église fut érigée en cathédrale le 7 août 1878, mais ce n'est qu'en 1895 qu'un orgue du facteur québécois Napoléon Déry fut installé. Il fut malheureusement détruit dans l'incendie de 1912. Un orgue avait été acheté chez Bernard & Allaire de Québec dès 1888 par les paroissiens de Saint-Alphonse de Bagotville.
Isolée par sa géographie, la région dépendait culturellement de l'initiative des communautés religieuses, des membres du clergé, de quelques généreux laïques souvent autodidactes, ou de professionnels de passage. Dès l'arrivée des Soeurs du Bon-Pasteur à Chicoutimi en 1864, une institutrice, Mary-Ann O'Reilly, assura l'enseignement du piano, et les élèves pratiquaient le chant choral une demi-heure par jour. En 1898, un certain M.T. Jenkins annonçait « qu'il se chargera de former les jeunes élèves pour le piano à l'école de Bach, Clementi, Hummel et Kuhlau qui sont des maîtres enseignés dans les conservatoires européens » (Le Progrès du Saguenay, 20 octobre 1898). Au séminaire de Chicoutimi en 1877, Mgr Victor-Alphonse Huard se fit le promoteur d'une chorale, l'Union Sainte-Cécile, qui existait encore en 1991 sous le nom de Chorale Sainte-Cécile. La première fanfare fut formée au même endroit en 1879. Elle se fit entendre à la messe de Noël à la cathédrale et joua « La Fille du régiment » à l'entrée de l'évêque, le « God Save the Queen » après la communion et la « Chicoutimi Waltz » de David-Odilon Dufresne après la messe. Avant 1918, des cordes s'ajoutaient parfois aux bois, cuivres et percussions pour former un orchestre, le premier sans doute au Saguenay. Parmi les prêtres qui dirigèrent ces différentes formations, on remarque D.-O. Dufresne, également organiste à la cathédrale (1881-89), David Chénard, Narcisse Desgagnés, Mgr Jos-Wilbrod Dufour, m. c. à la cathédrale, Mgr Albert Tremblay, Herménégilde Fortin, organiste à la cathédrale (1912-43) et prof. de piano (1912-55). Fortin enseigna notamment à Romuald Chayer et à François Brassard. Enfin, Maurice Constantin, né à Roberval en 1896, dirigea aussi la Fanfare de Chicoutimi et se fit compositeur et arrangeur à l'occasion.
Le premier corps de musique municipal fut l'Union musicale de Chicoutimi formée en 1888 par Ludger Alain. La Fanfare de Chicoutimi avec L. Fyfe à sa tête prit la relève en 1904. Plusieurs réorganisations s'imposèrent et, de 1932 à 1947, on fit souvent appel aux prêtres du séminaire pour la diriger. à partir de 1947, l'harmonie trouva un chef compétent et permanent en la personne d'Yvon Gaudreault, qui mit sur pied des cours gratuits d'instruments à vent. En 1935 fut créée l'Assn des fanfares amateurs du Saguenay, puis du Saguenay-Lac-Saint-Jean, dont firent partie les harmonies de Chicoutimi, Saint-Dominique de Jonquière, Kénogami, Port-Alfred, Saint-Joseph d'Alma, Dolbeau, de l'Assn catholique de la jeunesse canadienne, des Chevaliers de Colomb, etc.
Les années 1930 et 1940 furent d'ailleurs témoins d'une effervescence dans le domaine des arts au Saguenay. En 1932, le premier baccalauréat en musique de la région fut obtenu par Anna-Marie Plourde, élève des religieuses du Bon-Pasteur à Jonquière. Entre 1935 et 1939, on entendait souvent Les Voix du Saguenay, octuor vocal accompagné au piano par Juliette Riverin et réuni par Vilmond Fortin pour la station CRCS. Avec le trio Marviro, l'ensemble fournit une partie de la musique retransmise quotidiennement par ce poste qui devint CBJ Radio-Canada en 1939. Un des chanteurs, Lucien Ruelland qui fit carrière comme ténor, étudia avec Rodolphe Plamondon à Chicoutimi (1938-39) avant de se rendre en Europe. Des concerts où alternaient solistes, petits et grands ensembles sous la direction d'Herménégilde Poirier, furent présentés par la Société musicale de Jonquière (1935-36). François Brassard y participa. à partir de 1939, la Société des concerts (Community Concerts) de Chicoutimi accueillit plusieurs grands artistes de l'époque, tels que Szigeti, Piatigorsky, Serkin, Novaes, LeBlanc, Malcuzynski, Francescatti, Primrose, la Sinfonietta de Saint Louis; les chanteurs Bidú Sayão, Wilbur Evans, Igor Gorin et Edna Phillips. Active jusqu'en 1970, la Société présenta encore dans les années 1950 Gérard Souzay, Pierrette Alarie et Léopold Simoneau, Maureen Forrester, l'Orchestre de Buffalo, les choeurs de l'Académie de Vienne, les Festival Strings de Lucerne, etc. Le Cercle musical de Chicoutimi (1945-65) présenta aussi des artistes de réputation internationale, de même que la Société des concerts d'Arvida, la Société des concerts de Jonquière et même la Société Saint-Jean-Baptiste qui à elle seule comptait 2025 membres, de Chicoutimi à Alma. Entre-temps, Arthur LeBlanc donna plusieurs récitals au séminaire, à l'École normale et ailleurs. à Arvida, l'Alcan (Aluminum Co. of Canada) soutint financièrement l'harmonie fondée dans cette ville en 1930. Et l'Arvida Concert Assn forma un orchestre symphonique qui donna huit concerts entre 1940 et 1943, année du départ de son chef Oscar E. Dahlstrom. Les musiciens étaient pour la plupart des employés anglophones de la compagnie ou des membres de leurs familles. La Fanfare d'Arvida récupéra et réorganisa l'orchestre qui devint la Petite symphonie à l'automne de 1944. Des musiciens de Chicoutimi, Jonquière et Kénogami s'étaient joints à l'orchestre. Jean Back entra en fonction comme chef de musique de la fanfare et de la Petite symphonie en 1949; puis les activités de cette dernière semblent diminuer au profit de celles de l'harmonie. Enfin, en 1947, l'Arvida Choral Society présenta The Pirates of Penzance de Gilbert et Sullivan, et plusieurs opérettes dans les années qui suivirent.
à partir des années 1960, les municipalités et les gouvernements soutinrent un peu plus les individus qui se dévouèrent à l'enseignement musical, et celui-ci devint de mieux en mieux structuré. L'Institut des beaux-arts de Jonquière vit le jour en 1959, fondé par Pierrette Lamontagne Gaudreault. Incorporé en 1961 sous le nom de Institut des arts du Saguenay, il regroupait l'enseignement de la musique, du ballet et des arts plastiques. François Brassard, Raoul Jobin, Jean Manny, Jean-Eudes Vaillancourt et Lucien Ruelland y enseignèrent. Jean Cousineau y donna des cours d'après la méthode Suzuki dès 1963, et y dirigea un orchestre. L'Institut se transporta au Centre culturel du Mont-Jacob en 1967. à Chicoutimi en 1964, Gabrielle et Yvon Gaudreault fondèrent la Société philharmonique de Chicoutimi Inc. formée de plusieurs entités : une harmonie, une chorale, un orchestre, l'école de musique et solfège et une école de ballet. L'école de musique prolongeait et remplaçait l'école établie par la Fanfare de Chicoutimi en 1956. L'orchestre devint l'OS de Chicoutimi (1967-76), dirigé par Yvon Gaudreault, également fondateur et dir. artistique (1967-84) de l'Orchestre des jeunes. La recrudescence des écoles de musique jointe à l'enseignement déjà existant dans les communautés religieuses permirent à plusieurs groupes ou individus de se distinguer lors des finales des Festivals de musique du Québec et des Concours de musique du Canada.
Lac-Saint-Jean
Au Lac-Saint-Jean, où le développement survint un peu plus tard qu'au Saguenay, la première paroisse d'importance, Hébertville, fut peuplée à partir de 1849 par la Société des comtés de l'Islet et de Kamouraska. Entre 1870 et 1910, 31 missions ou paroisses entourèrent le lac, et Roberval atteignit 8000 de population en 1901. Là comme au Saguenay, violons et accordéons soutinrent longtemps les chants à l'église en attendant l'harmonium. Ce fut le cas à Hébertville jusqu'en 1871. Cette année-là, le notaire Séverin Dumais se mit à transporter son harmonium à l'église en « charette ». La paroisse acheta enfin un instrument en décembre 1882. à Saint-Gédéon, le député conservateur Joseph Girard, m. c., vit à l'acquisition d'un harmonium en 1882. L'année de sa mort en 1933, à 80 ans, il introduisait le chant pratiqué à Solesmes, et projetait l'achat d'un orgue Casavant pour sa paroisse. Dans son célèbre roman Maria Chapdelaine, Louis Hémon rend hommage à ces musiciens obscurs des petites paroisses du Lac-Saint-Jean en écrivant : « Y a-t-il rien de plus beau que la messe de minuit à Saint-Coeur-de-Marie, avec Yvonne Boily à l'harmonium et Pacifique Simard qui chante le latin si bellement! » (chapitre IX).
C'est à Roberval que les Ursulines s'établirent en 1882. Elles commencèrent immédiatement l'enseignement de la musique. Au tournant du XXe siècle, elles enseignaient le piano, le chant, l'orgue, le violon, la guitare et la mandoline. Deux Ursulines, les soeurs Constantin, ont laissé des oeuvres religieuses et profanes. Un corps de musique fut fondé dans la même ville en 1887, précédant de quelques mois celui de Chicoutimi. Le clarinettiste Joseph-Désiré Marcoux, mort tragiquement en 1888, le dirigea d'abord et donna des leçons gratuites. Son frère Thomas lui succéda.
Une chorale Sainte-Cécile fut formée en 1912 à Alma par Imelda Lavoie. Sa soeur Cécile prit la relève en 1920, organisa des soirées dramatiques et musicales, et la chorale se produisit souvent à l'extérieur de la région. En dehors des chorales paroissiales, la formation de corps de musique ou d'harmonies constituait le noyau des activités musicales et favorisait l'accès à la pratique instrumentale. Alma avait son harmonie depuis 1928. Elle eut sa Société des concerts, fondée en 1944 par les membres de la chorale Sainte-Cécile. En 1950, Roberval avait la sienne.
Régionalisation
Dans les années 1960, on assista à la régionalisation des services. Le Camp musical du Lac-Saint-Jean, fondé à Métabetchouan par l'abbé Raymond Tremblay en 1964, dessert aussi la population du Saguenay. De même, le Cons. de Chicoutimi établi en 1967 s'adresse à la population du Saguenay, du Lac-Saint-Jean et d'une partie de la Côte-Nord. L'option musique et musique professionnelle fut offerte au collège du Lac-Saint-Jean en 1970, puis au cégep d'Alma à partir de 1972. L'accès à l'enseignement supérieur de la musique en région éloignée favorisa l'épanouissement de la vie musicale. Ainsi, à partir de 1971, le Carnaval souvenir de Chicoutimi a-t-il été souligné par la production d'une opérette, qui fait salle comble pendant deux semaines. Récemment, on a pu y entendre Jean-François Lapointe, Agathe Martel, Claudine Côté, Maureen Browne, etc. L'Almatois Normand Laprise dirige l'orchestre et les musiciens depuis 1978.
Il n'y eut pas d'orchestre symphonique véritablement régional avant 1978. Depuis, l'OS du Saguenay-Lac-Saint-Jean regroupe une quarantaine de musiciens sous la direction de Jacques Clément. Avec un sous-groupe, l'Orchestre de chambre (ensemble stylisé de type baroque dirigé par le violoniste Jean-François Rivest), il donne plus de 15 concerts par année dans différentes villes de la région. Un protocole d'entente permet aux élèves avancés du conservatoire d'en faire partie. Depuis 1989, l'orchestre accueille un quatuor en résidence, le Quatuor Alcan (Brett Molzan et Nathalie Camus, violons; François Bertrand, alto; David Ellis, violoncelle), parrainé par la compagnie Alcan. Deux autres ensembles s'étaient déjà distingués : le Trio Giguère fondé en 1984 et réunissant trois soeurs - Pascale (violon), Claudine (alto) et Nathalie (violoncelle) - ainsi que le Trio Nelligan fondé en 1985 et regroupant Hélène Collerette (violon), Annie Gadbois (violoncelle) et Sandra Murray (piano). Plusieurs chorales exercent aussi des activités régulières. En 1984, quatre écoles de musique de la région accueillaient à elles seules 50 p. cent des élèves inscrits au Québec dans les écoles subventionnées par le MACQ. Outre les organismes déjà mentionnés, les JMC, les Amis de l'orgue (1984 -), le Cercle Germaine Lavoie (Hébertville), la SRC (Chicoutimi), le Rendez-vous musical de Laterrière, Producson (Jonquière), la Corporation culturelle, artistique et sociale (Alma) ainsi que le Comité des spectacles de Dolbeau s'occupent de production et de diffusion de la musique. à Chicoutimi, la Coopérative de développement culturel a géré les spectacles de l'auditorium Dufour à partir de 1974. La région fut d'ailleurs l'une des premières à expérimenter une formule coopérative dans ce domaine.
Parmi les musiciens nés au Saguenay-Lac-Saint-Jean figurent Cécile Bédard, Pierre-Michel Bédard, Roger Bédard, Carol Bergeron, Josée Blackburn, Denis Bluteau, Roger Boudreault, François Brassard, Claude Brisson, Micheline Coulombe Saint-Marcoux, Jacinthe Couture, Alain Desgagné, Vincent Dionne, Marc Fortier, Hélène Fortin, Geneviève et Raymonde Gagnon, Lucie Gascon, Jean Gaudreault, Sylvie Genest, Jeannine Gobeil-Lebrun, Jean Harvey, Bernard Jean, Marc Laberge, Véronique Lacroix, Jean-François Lapointe, Marcel Lapointe, Jean-François et Dominic Laprise, Guy Latraverse, Robert Lépine, Monique Leyrac, Monique Munger, Claire Ouellet, Claude Ouellet, Gaston Ouellet, Mario Pelchat, Johanne Perron, Louise Portal, Yannick Rieu, Marie-Josée Simard, Dominique et J.-Éric Soucy, Alice Tremblay, Édith Tremblay, Gilles Tremblay, Marc Tremblay, Sylvie Tremblay, Jean-Eudes, Lorraine et Pauline Vaillancourt.