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Canadiens slovaques (Slovaco-Canadiens ou Canadiens d'origine slovaque)

La Slovaquie, le pays des Slovaques, est située en Europe centrale. Elle partage ses frontières avec la République tchèque et l’Autriche à l’ouest, la Pologne au nord, l’Ukraine à l’est et la Hongrie au sud. Les Canadiens d’origine slovaque sont des gens profondément religieux et tournés vers les valeurs familiales. Fiers de leur langue et de leur origine, ils sont assez prompts à corriger ceux qui disent d’eux qu’ils sont des Tchèques ou des Tchécoslovaques. Les Slovaco-Canadiens ont commencé à immigrer en Amérique du Nord au cours de la seconde moitié du 19e siècle et ils ont contribué de façon significative au développement économique, social et culturel du Canada. Lors du recensement de la population de 2016, 72 290 Canadiens ont déclaré des origines slovaques.

Présentation

L’histoire récente montre que durant un peu moins de trois quarts de siècle, la Slovaquie constituait la partie est de la Tchécoslovaquie, créée en 1918 après la dissolution de l’Empire austro-hongrois. De 1939 à 1945, lors de l’occupation allemande des Pays tchèques et de la Moravie, la Slovaquie était indépendante mais alliée à l’Allemagne. Quant à la Tchécoslovaquie, reconstituée en 1945, elle devenait communiste en 1948 puis démocratique après la chute du communisme en 1989. En 1993, elle se scindait en deux États indépendants, la République tchèque et la Slovaquie.

D’après ce que l’on sait, le premier immigrant slovaque à s’établir au Canada fut Joseph Bellon. Arrivé à Toronto en 1878, il y ouvrit une tréfilerie. En fait, il n’y a jamais eu de statistiques exactes sur le nombre de Canadiens de souche slovaque puisque dans les recensements canadiens, les Tchèques et les Slovaques étaient désignés comme Tchécoslovaques. Lors du premier recensement leur permettant de s’identifier comme Slovaques, celui de 1981, environ 40 000 Canadiens se déclaraient d’origine slovaque. Au recensement de 2006, ce nombre passait à 64 145 (20 970 réponses uniques et 43 180 réponses multiples). Plus récemment, l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011 permettait d’en dénombrer 66 540 (19 125 réponses uniques et 47 415 réponses multiples). En 2016, on dénombre 72 290 Canadiens aux origines slovaques (20 475 réponses uniques et 51 815 réponses multiples).

Histoire migratoire et établissement au Canada

Il y a eu quatre grandes vagues d’immigration slovaque, toutes générées par les conditions économiques et politiques instables dans le pays d’origine. Si la majorité des premiers immigrants étaient des travailleurs manuels entrés par les États-Unis, l’immigration d’après-guerre comprend un pourcentage élevé de professionnels et de personnes ayant fait des études supérieures.

Première vague migratoire

Les immigrants de la première vague migratoire slovaque (1885-1914) sont environ 5 000. Ils s’établissent sur des terres agricoles de l’Ouest, attirés par des promesses de concessions foncières faites par le gouvernement canadien. Plus tard, d’autres groupes viennent travailler dans les mines de l’Alberta et de la Colombie-Britannique ou pour le chemin de fer du Canadien Pacifique. Ces immigrants sont les premiers à fonder des mutuelles et des sociétés fraternelles slovaques.

Deuxième vague migratoire

La deuxième vague migratoire, estimée à 40 000 personnes, arrive dans les années de l’entre-deux-guerres. Il s’agit, pour la plupart, de jeunes travailleurs qualifiés qui émigrent dans l’intention de gagner suffisamment d’argent pour pouvoir acheter une terre en Slovaquie. D’autres, par contre, font venir leur famille et s’établissent dans les fermes de l’Ouest canadien ou dans les villes minières de l’Ontario et du Québec. Ils créent des organisations slovaques au Canada et suivent de très près le déroulement des événements dans leur pays d’origine. Parmi les représentants éminents de cette deuxième vague migratoire figure Stephen Boleslav Roman, qui est devenu un baron de l’uranium et le président de la compagnie minière Denison. On peut aussi mentionner Frank Sura, entrepreneur et développeur immobilier, et Stefan Hreha, fondateur et premier directeur de l’hebdomadaire Kanadský Slovák/The Canadian Slovak. La déclaration d’indépendance de la Slovaquie en mars 1939, de même que l’alliance avec l’Allemagne qui s’ensuit, provoquent des dissensions au sein de la communauté slovaque canadienne. Ceux qui appuient l’indépendance slovaque sont dénoncés par les diplomates tchécoslovaques en poste au Canada.

Troisième vague migratoire

La troisième vague migratoire comprend environ 20 000 immigrants slovaques. Elle débute après la Deuxième Guerre mondiale et se compose de réfugiés de guerre ainsi que de personnes fuyant la prise de pouvoir par le parti communiste en 1948. La majorité d’entre eux s’installent dans les grands centres urbains, principalement Toronto, Montréal et Winnipeg, où ils trouvent des emplois dans l’industrie, l’instruction publique, le secteur tertiaire et les professions. Cette vague comprend certaines des personnalités les plus connues de la communauté slovaco-canadienne. Mentionnons Rudolf Fraštacký, un des fondateurs de la Société de fiducie La Métropolitaine du Canada, Dusty Miklas, entrepreneur et développeur immobilier, Kornel Piaček, fondateur de la Alpina Salami Inc. à Montréal et Joseph (dit Jožo) Weider, créateur de la station de ski alpin Blue Mountain à Collingwood, en Ontario. Plusieurs personnalités de cette troisième vague d’immigrants ont contribué de façon significative à la vie de la communauté slovaco-canadienne, notamment par leur participation aux activités de la Ligue canadienne slovaque.

Quatrième vague migratoire

La quatrième vague d’immigration slovaque résulte de l’invasion de la Tchécoslovaquie par les forces du Pacte de Varsovie en 1968. Ces réfugiés, dont le nombre s’élève à 13 000 environ, sont parmi les plus instruits à quitter leur pays. Établis dans les centres urbains, ils contribuent à l’essor des organisations slovaques et prennent leur place dans la vie économique, sociale et culturelle du Canada. On retrouve parmi eux Joseph Hoffman, entrepreneur et développeur immobilier, Julius Behul, qui sera directeur de l’hebdomadaire Kanadský Slovák/The Canadian Slovak, ainsi que Ladislav Guderna et Tibor Koválik, deux peintres renommés.

D’après les données du recensement de 2016, plus de 6 000 Slovaques se sont installés au Canada depuis la chute du communisme en 1989. Contrairement aux immigrants précédents, ces nouveaux venus peuvent rentrer dans leur pays d’origine quand bon leur semble. Comme ils lisent les quotidiens slovaques sur l’Internet, ils ont tendance à moins s’impliquer dans les organisations slovaco-canadiennes. Par contre, ils participent aux événements sociaux et culturels qu’elles organisent.

Vie politique

Comme la Slovaquie était partie intégrante d’un autre État jusqu’au 20e siècle, les Slovaques de Slovaquie autant que ceux du Canada étaient divisés sur l’avenir de leur nation. Parmi les immigrants des quatre vagues migratoires, ce sont les représentants de la première qui étaient les moins politisés. Ces personnes étaient motivées avant tout par des considérations économiques et n’avaient pas vraiment de perspective politique sur leur pays d’origine. Ce sont les immigrants des trois vagues suivantes qui ont défini la vie politique de leur communauté au Canada. La création de la Tchéco-Slovaquie en 1918 a d’abord été bien reçue par les Slovaques. Toutefois, ils se sont vite rendu compte que la Slovaquie ne jouirait pas de l’autonomie promise dans le nouvel État et que leur vitalité nationale et linguistique était menacée par l’idéologie « tchécoslovaquiste » du gouvernement de Prague.

La réintégration de la Slovaquie au sein de la Tchécoslovaquie après la Deuxième Guerre mondiale et la prise de pouvoir communiste en 1948 ont par la suite accru les divisions au sein de la communauté slovaco-canadienne. La courte période d’indépendance des années de guerre avait convaincu plusieurs que la Slovaquie n’avait pas besoin de faire partie de la Tchécoslovaquie. D’autres appuyaient l’État commun en espérant qu’il accorderait plus d’autonomie à la Slovaquie. Tous, par contre, s’opposaient au régime communiste.

Les divisions entre Slovaco-Canadiens pro-Slovaquie et Slovaco-Canadiens pro-Tchécoslovaquie étaient déjà évidentes quand ils fondèrent leurs organisations et leurs journaux. La Ligue canadienne slovaque, créée en 1932 à Winnipeg, et son organe officiel Kanadský Slovák/The Canadian Slovak, lancé en 1942 à Montréal, représentaient la majorité des membres de la communauté. La Ligue favorisait initialement l’autonomie slovaque et ensuite, durant la période communiste, l’indépendance et la démocratie pour la Slovaquie. Les Slovaco-Canadiens pro-Tchécoslovaquie, ayant d’abord créé leurs propres organisations, finirent par se joindre aux Tchèques, dans des organisations tchécoslovaques, afin d’appuyer un État unique tout en s’opposant au régime communiste. En 1970, Stephen Boleslav Roman et Joseph M. Kirschbaum créaient à Toronto le Congrès mondial slovaque. Leur but était de réunir les organisations slovaques, non seulement au Canada et aux États-Unis mais dans le monde entier, afin de coordonner l’action en faveur de la lutte de la Slovaquie pour la liberté et l’indépendance. Les divisions perdurèrent jusqu’à la dissolution de la Tchécoslovaquie le 31 décembre 1992.

La fondation de la République slovaque le 1er janvier 1993 mit un terme aux activités politiques des organisations slovaco-canadiennes. La quête d’identité nationale qui avait marqué les années de l’entre-deux-guerres et de l’après-guerre n’était plus nécessaire. Le besoin de lutter pour la liberté et l’indépendance de la Slovaquie ne se faisait plus sentir. L’objectif politique qui avait défini la Ligue canadienne slovaque cédait le pas au besoin d’accentuer sa mission socioculturelle. Par conséquent, Kanadský Slovák/The Canadian Slovak se concentrait désormais sur les activités de la communauté slovaque au Canada, sur les événements d’actualité en Slovaquie et sur des questions historiques. L’ Internet et les médias sociaux finirent aussi par avoir un impact positif sur ces organisations, accroissant leur public et leur influence.

En politique canadienne, un certain nombre de Slovaco-Canadiens ont assumé des fonctions électives. Mentionnons William A. Kovach à la législature de l’Alberta (1948-1966), George Ben en politique municipale à Toronto puis à la législature de l’Ontario (1965-1971), Peter Kormos (1988-2011) et Tim Hudak à la législature de l’Ontario (1995-) ainsi que Anthony Roman (1984-1988), Paul Szabo (1993-2011) et Michelle Rempel (2011-) à la Chambre des communes. Trois Slovaco-Canadiens ont été ministres : Peter Kormo a été ministre de la Consommation et du Commerce ainsi que ministre des Institutions financières dans le gouvernement de Bob Rae, en Ontario; Tim Hudak a été ministre du Développement du Nord et des Mines dans le gouvernement de Ernie Eves, puis ministre de la Culture, du Tourisme et des Loisirs ainsi que ministre des Services aux consommateurs et aux entreprises dans le gouvernement de Mike Harris; Michelle Rempel a été ministre d’État à la diversification de l’économie de l’Ouest dans le gouvernement de Stephen Harper. Tim Hudak a aussi été chef du Parti progressiste-conservateur de l’Ontario et chef de l’Opposition de 2009 à 2014.

Éducation

Le niveau d’instruction des immigrants slovaques au Canada augmente avec chaque vague de nouveaux arrivants. Par contre, c’est seulement après la Deuxième Guerre mondiale que des Slovaco-Canadiens s’impliquent dans l’instruction publique, notamment dans l’enseignement postsecondaire (voir Organisation de l’éducation). Au départ, le défi pour la majorité des nouveaux-venus était l’acquisition d’une ou des deux langues officielles (voir Langues en usages au Canada). L’anglais était généralement favorisé. Au fil des années, des tentatives ont été faites pour offrir l’enseignement du slovaque, principalement aux enfants des immigrants. Ces efforts ont eu des succès variables. En 1990, grâce à l’initiative de Joseph M. Kirschbaum, l’Université d’Ottawa inaugurait sa Chaire en histoire et culture slovaques. Celle-ci obtint un appui financier de la part de Stephen Boleslav Roman et de la communauté slovaque canadienne.

Depuis la Deuxième Guerre mondiale, un certain nombre de Slovaco-Canadiens ont été reconnus comme savants et chercheurs dans des universités canadiennes. C’est le cas de l’astronome Gustáv Bakoš, dont le nom a été donné à l’observatoire de l’Université de Waterloo. Il y a aussi Anthony J. Bella en médicine, titulaire de la Greta and John Hansen Chair in Men’s Reseach à l’Université d’Ottawa, Miroslav Grandtner en foresterie à l’Université Laval, Stanislav J. Kirschbaum en études internationales à l’Université York, Charles Murin en philosophie à l’Université de Montréal, Janet Paterson (née Kirschbaum) en littérature québécoise à l’Université de Toronto, Igor Jurisica, détenteur de la Chaire de recherche du Canada sur l’informatique intégrative en cancérologie de l’Université de Toronto, Otakar et Anna Širek en médecine à l’Université de Toronto, Stanley C. Škorina en médecine à l’Université McGill, John Smol en microbiologie et en biochimie à l’Université Queen’s, Mark Stolárik, détenteur de la Chaire en histoire et culture slovaques de l’Université d’Ottawa, et Ambrose Žitňák en biochimie végétale à l’Université de Guelph. Trois de ces personnalités ont été élues membres de la Société royale du Canada: Stanislav J. Kirschbaum, Janet Paterson et John Smol.

Vie sociale et culturelle

La stratification sociale des Canadiens d’origine slovaque dépend de leur date d’arrivée au Canada, du statut social qu’ils avaient en Slovaquie, de leur niveau d’instruction, de leur degré de réussite au Canada et de leur volonté de participer aux activités des associations slovaques. Les premiers immigrants avaient créé des sociétés d’entraide à cause des conditions économiques difficiles et du manque de couverture sociale assurée par l’État. Aujourd’hui, ces sociétés ont des fonctions sociales et culturelles. Il en est de même pour un certain nombre d’autres organisations créées avant et après la Deuxième Guerre mondiale. Cette vocation culturelle a permis de faire connaître des compagnies de danse traditionnelle slovaque comme les Vychodna Slovak Dancers de Toronto et les Rozmarin Dancers de Windsor.

La Ligue canadienne slovaque reste toutefois l’organisation slovaque la plus importante au Canada. Elle assure un bon nombre d’événements culturels et sociaux. Elle a organisé des expositions, en solo ou en groupe, d’artistes comme Mikuláš Kravjanský, Marta Breštovanská, Tibor et Peter Koválik et Ladislav Guderna. D’autres artistes ont également vu leurs travaux exposés, notamment Andrew Lukachko et Frank Mikuška.

De nombreux Slovaques se sont fait connaître dans les sports, la musique et le cinéma. Parmi les Slovaco-Canadiens admis au sein de la Ligue nationale de hockey, il y a Stan Mikita, qui est arrivé au Canada en 1948 et a joué pour les Blackhawks de Chicago de 1958 à 1980, de même que les frères Šťastný, qui ont fait défection pour venir au Canada au début des années 1980. Au football, Mike Volcan a joué pour les Eskimos d’Edmonton de 1955 à 1964. Dans le domaine du journalisme, George Gross a été éditeur sportif pour le Toronto Telegram et le Toronto Sun. Il a été intronisé au Panthéon des sports canadiens en 2005. En musique, les concerts d’Antonia Mazán, de Charles Dobiáš et de Helen Hájnik ont enchanté les auditoires canadiens. Au cinéma, Ingrid Veninger est reconnue comme productrice, réalisatrice, actrice et scénariste.

Ingrid Veninger, 2013.
Image: Canadian Film Centre/flickr cc.

Les clergés catholique et protestant continuent de jouer un rôle important dans la vie spirituelle et communautaire des Slovaco-Canadiens. Les fidèles Slovaques de toutes confessions ainsi que leurs clergés aident les nouveaux arrivants à surmonter les difficultés linguistiques et culturelles. Des églises slovaques ont été érigées là où on retrouve des communautés slovaques. La vie paroissiale, particulièrement active durant les trois premières vagues migratoires, de même que les organisations slovaques, ont contribué à promouvoir la langue slovaque et à accroître la cohésion familiale. L’importance de la vie paroissiale a connu son apogée le 15 septembre 1984 avec la consécration de la cathédrale slovaque de la Transfiguration à Unionville, en Ontario, par le pape Jean-Paul II en visite au Canada. Cette dernière avait été construite par Stephen Boleslav Roman.

Maintien de la conscience communautaire

Le sort des Slovaques restés dans leur pays natal, mal connu des Slovaco-Canadiens jusqu’à tout récemment, a longtemps été l’un des principaux facteurs favorisant la survivance d’un sentiment d’identité et de cohésion communautaire chez les Slovaques du Canada. Avec la révolution des communications, et surtout depuis l’indépendance de la Slovaquie en 1993, l’attention est davantage portée aujourd’hui sur les événements culturels et communautaires, au sujet desquels les Slovaco-Canadiens s’informent par le biais de leurs organisations, de leurs journaux, de leurs bulletins paroissiaux, de l’Internet et parfois même des médias sociaux. La Journée slovaque, événement annuel traditionnel qui a lieu en été, existe encore dans la majorité des communautés dotées d’une organisation slovaque. Les grands congés religieux comme Noël et Pâques continuent de donner lieu à des rencontres communautaires, des ventes de pâtisseries et d’autres événements culturels. Les visites d’artistes de Slovaquie en font autant. Pour ce qui est de l’actualité politique dans la mère patrie, c’est désormais grâce à l’Internet que l’on en prend surtout connaissance.

Le plus grand défi auquel font face la Ligue slovaque canadienne ainsi que son actuelle présidente Mary Ann Doucette (née Hačková) et ses successeurs, tout comme les autres organisations slovaco-canadiennes, consiste à trouver un moyen d’intéresser les jeunes générations aux activités de la Ligue afin de maintenir l’intérêt pour la culture, la langue et les traditions slovaques au Canada.