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Joseph-Israël Tarte

Joseph-Israël Tarte, journaliste et homme politique (né le 11 janvier 1848 à Lanoraie, Canada-Est; décédé le 18 décembre 1907 à Montréal, Québec). Polémiste brillant, caustique et souvent impulsif, Tarte est, au cours de sa carrière, propriétaire et rédacteur en chef de plusieurs journaux dont Le Canadien, L’Événement, La Patrie et le Quebec Daily Mercury, publications qu’il met au service de diverses causes et factions politiques.

Tarte a si souvent changé d’allégeance au cours de sa trajectoire d’homme politique et de journaliste qu’il s’est vu accoler, par ses différents adversaires politiques, le surnom sans équivoque de Judas Iscariote. Il ne faut cependant pas conclure que ces changements politiques multiples et souvent abrupts seraient l’indice de vues opportunistes ou cyniques chez lui. Il serait plus juste d’y voir la manifestation intellectuelle et politique des flottements et des variations de toute une époque riche en luttes sociales complexes, tendues et polarisées.

Jeunesse et formation

Joseph-Israël Tarte fait son cours primaire à l’école de Saint-Joseph-de-Lanoraie, puis devient étudiant au Collège de L’Assomption, en 1860. Il quitte toutefois cette institution après avoir fait la rhétorique et seulement la première année de philosophie du cours classique. Il fait ensuite son stage de clerc de notaire auprès de Louis Archambeault et il est admis à la pratique du notariat en 1871. Il exerce cette profession à L’Assomption, puis, pendant quelques années, à Saint-Lin des Laurentides. En 1872, il devient propriétaire du journal Les Laurentides et collaborateur à La Gazette de Joliette. À partir d’octobre 1874, il est rédacteur adjoint au journal Le Canadien. Quelques mois plus tard, en juin 1875, il en fait l’achat et s’associe à Louis-Georges Desjardins, éditeur en chef de ce journal canadien-français influent et figure bien en vue du Parti conservateur du Québec.

Libéral-conservateur

En tant que libéral-conservateur au début des années 1870, Joseph-Israël Tarte s’oppose au programme catholique. Il est alors dans la ligne idéologique du conservateur modéré George-Étienne Cartier qui préconise le respect du pouvoir spirituel de l’Église, mais en veillant à réduire son ingérence en politique. La mort de Cartier en 1873 correspond à l’émergence de Tarte comme journaliste politique. Trois doctrines sociales s’affrontent, les libéraux, les conservateurs modérés, et les conservateurs ultramontains (voir Ultramontanisme). Travaillant comme organisateur à la solidification de la chefferie du nouveau meneur de l’aile québécoise du Parti conservateur, Hector-Louis Langevin, Tarte combat les libéraux sur sa gauche en les faisant passer pour des anticléricaux (notamment dans la mouvance de l’affaire Joseph Guibord). Et il combat les ultramontains sur sa droite, en sapant leur action notamment par ses interventions éditoriales de tendance nationaliste. Sa finesse et son ardeur de polémiste fait alors de Tarte le journaliste le plus admiré de sa génération.

Sir Hector-Louis Langevin
Sir Hector-Louis Langevin, député de Dorchester (Québec) et ministre des Travaux publics; Ottawa (Ontario); juillet 1873 (avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada, PA-026409).
Honoré Mercier
Avocat, journaliste et politicien, Mercier fut premier ministre du Québec du 27 janvier 1887 au 21 décembre 1891.

Virage ultramontain

Au printemps 1875, Joseph-Israël Tarte se tourne subitement vers l’ultramontanisme et en devient l’un des chefs de file. Il siège à l’Assemblée législative du Québec de 1877 à 1881 dans les rangs conservateurs. Il se rapproche en même temps du Parti national d’Honoré Mercier, une coalition de libéraux et de conservateurs qui, elle aussi, cherche intensément à se gagner l’appui du clergé. Pour expliquer son revirement idéologique, Tarte invoque ses convictions religieuses autant que la nécessité de se gagner l’électorat québécois (cette approche sera reprise à partir de 1882 par le mouvement Castor). Jugeant en conscience que le vote peut être bon ou mauvais, Tarte considère désormais qu’il est du devoir de l’Église catholique d’apporter son éclairage spirituel en politique. L’épiscopat québécois abonde dans son sens jusqu’à ce que le Vatican y mette bon ordre, notamment par l’Encyclique du pape Léon XIII, Immortale Dei (1885) qui rappelle la répartition des devoirs entre l’Église et l’État.

Virage libéral

Quand le Vatican règle la question de l’ingérence du clergé dans la politique, Tarte revient à une position plus modérée. Son heure de gloire survient sans doute en 1890-1891, lorsqu’il révèle le scandale McGreevy-Langevin, d’abord dans Le Canadien, puis à la Chambre des communes où il est élu en 1891. Cette affaire discrédite le Parti conservateur, force son ancien mentor politique Hector-Louis Langevin à démissionner du Cabinet et finit par pousser Tarte dans les rangs des libéraux. La question des écoles du Manitoba cimente cette alliance et Tarte, en organisateur électoral efficace, contribue grandement au triomphe de Wilfrid Laurier au Québec, à l’élection de 1896. Laurier envoie immédiatement Tarte, transfuge politique expérimenté et Henri Bourassa, jeune ultramontain efficace, négocier avec Thomas Greenway, premier ministre du Manitoba et Clifford Sifton, son ministre de la Justice, le statut des écoles catholiques manitobaines. Tarte et Bourassa seront donc deux des artisans du compromis Laurier-Greenway sur la question scolaire manitobaine.

Sir Wilfrid Laurier
Politicien habile et éloquent, une vraie légende de son vivant malgré les oppositions qu'ont soulevées ses politiques, Laurier a suscité les jugements les plus divers.
Sir Wilfrid Laurier
Laurier a mené avec succès des campagnes pour devenir premier ministre en 1896, en 1900, en 1904 et en 1908.
Sir Wilfrid Laurier
Sir Wilfrid Laurier en campagne électorale.
Henri Bourassa, 1917
Sir Clifford Sifton, homme politique
L'un des hommes politiciques les plus doués de son époque, Sifton est renommé surtout pour avoir fait des efforts afin de favoriser l'immigration pour la colonisation de l'Ouest (avec la permission des Bibliothèque et Archives Canada/PA-27943).

Comme ministre des Travaux publics dans le gouvernement de Laurier, Tarte accélère le réaménagement de la voie maritime du Saint-Laurent pour acheminer le blé de l’Ouest canadien vers l’Europe. Il fait construire le canal de Soulanges (une voie navigable de 23,5 km reliant le lac Saint-François à l’ouest au lac Saint-Louis à l’est) pour remplacer le canal de Beauharnois, désormais trop peu profond pour le gabarit des nouveaux navires. Il engage des ressources pour faire réparer et élargir les ports, surtout le port de Montréal. Il fait aménager à Sorel le grand chantier maritime de l’Est canadien. Il lance aussi des travaux publics dans les provinces maritimes et en Colombie-Britannique. Il œuvre à une liaison ferroviaire rapide entre Liverpool (Nouvelle-Écosse) et Montréal. Il fait construire le chemin de fer traversant Drummondville, afin de relier le chemin de fer Intercolonial à celui du Grand Tronc.

Mais sa position de ministre des Travaux publics facilite aussi ses propensions électoralistes. Il pratique le favoritisme, renforce les liens libéraux avec le milieu des affaires de Montréal et voit aux avancées politiques et électorales de Wilfrid Laurier au Québec. Il se démarque notoirement dans des questions controversées par ses opinions, souvent contradictoires, qu’il défend avec franc-parler. Il est un ardent partisan de l’impérialisme britannique et pourtant, en 1899, il s’oppose vigoureusement à l’implication de troupes canadiennes dans la guerre d’Afrique du Sud. En 1900, ses discours sur l’indépendance du Canada lui valent d’être sévèrement blâmé par la presse conservatrice de l’Ontario. Homme de convictions plus que de parti ou d’obédience, centré sur des dossiers spécifiques plus que sur de grandes orientations, Tarte se fait de plus en plus d’ennemis des deux côtés de la Chambre des communes.

Retour vers le conservatisme

Finalement, en 1902, la campagne de Joseph-Israël Tarte en faveur de l’unité économique impériale et d’une hausse de la protection douanière conduit Laurier à le congédier en lui signalant que cette nouvelle prise de position représente cette fois-ci une rupture de la solidarité ministérielle libérale. Cela met fin à la carrière de Tarte au gouvernement fédéral. Il redevient alors organisateur électoral conservateur pour quelques élections partielles. Cependant, le retour paradoxal dans les rangs conservateurs de cet ancien ministre libéral créée une « bisbille » et il doit vite renoncer à l’action politique. Il retourne alors au journalisme où, dans une pirouette ultime, il redonnera son appui à Wilfrid Laurier sur la question des écoles de la Saskatchewan et de l’Alberta (voir Question des écoles du Nord-Ouest). Il meurt à 59 ans.

Principaux ouvrages

Le clergé, ses droits, nos devoirs (1880)

La Prétendue Conférence; les périls de la souveraineté des provinces; l’autonomie canadienne est notre sauvegarde (1889)

Procès Mercier : les causes qui l’ont provoqué, quelques faits pour l’histoire (1892)

Les États-Unis au XXe siècle (1904)