John Napier
Turner, CP, C.C.; athlète, homme politique, avocat,
premier ministre (né à Richmond, en Angleterre, le 7 juin 1929 ; décédé le
18 septembre 2020 à Toronto, en Ontario). John Turner est connu surtout
pour le début de sa carrière politique en tant que ministre fédéral de la
Justice (1968-1972) et des Finances (1972-1975) au sein du cabinet du premier
ministre Pierre
Trudeau, et pour sa bataille électorale contre le premier ministre Brian
Mulroney sur l’enjeu du libre-échange
en 1988. Son mandat de premier ministre de 11 semaines en 1984 est le deuxième
plus court de l’histoire du Canada, après celui desir Charles Tupper (10 semaines).
John Turner à l'Arizona State University à Glendale, Arizona, 7 février 2018.
Jeunesse et athlétisme
En 1932, à
l’âge de quatre ans, John Turner perd son père, Leonard Hugh Turner, et quitte
l’Angleterre pour le Canada avec sa mère Phyllis [née Gregory], Canadienne de
naissance. La famille s’installe à Ottawa où Phyllis, qui est économiste,
devient haute fonctionnaire fédérale. John fréquente les
écoles privées d’Ottawa, puis déménage en Colombie-Britannique avec sa mère et son beau-père,
Frank Ross, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. (Frank Ross devient lieutenant-gouverneur
de Colombie-Britannique en 1955, et Phyllis devient chancelière de l’Université de Colombie-Britannique).
John Turner
étudie en sciences
politiques à l’UBC, où il excelle en athlétisme. En 1947, il devient l’homme le
plus rapide au Canada, établissant un record canadien pour la course
de 100 yards (9,8 secondes). L’année suivante, il établit son record
personnel (9,6 secondes) et se qualifie pour les Jeux
olympiques d’été de 1948. Il ne peut toutefois y participer, s’étant blessé
au genou dans un accident de voiture.
John Turner
poursuit donc ses études à l’Université de Paris et à l’Université d’Oxford, où
il complète son diplôme en droit en 1952 en tant que boursier Rhodes. Il
retourne au Canada et se joint à un cabinet d’avocats de Montréal, après avoir reçu le titre d’avocat
au Québec en 1954.
En 1963, John
Turner épouse Geills Kilgour. Ils ont quatre enfants.
Politique fédérale (1962–1974)
Recruté par
le premier
ministre Lester Pearson comme candidat libéral à Montréal, John Turner est élu
à la Chambre des communes en 1962, puis réélu en 1963 et
1965. En 1968, son siège ayant été aboli par le redécoupage de la carte
électorale fédérale, il déménage dans la circonscription d’Ottawa.
Il entre au cabinet pour la première fois en décembre 1965, à l’occasion d’un remaniement post électoral de Lester Pearson. Il occupe alors des postes mineurs avant de devenir ministre de la Consommation et des Affaires commerciales en décembre 1967.
En 1968,
après la démission de Lester Pearson, John Turner se présente à la chefferie du
Parti libéral. Bien qu’il doive s’incliner devant Pierre Trudeau, il obtient un succès respectable,
se présentant comme un candidat « anti-establishment » et comme le
jeune ministre anglophone le plus en vue. En juillet 1968, Pierre Trudeau le
nomme ministre de la Justice, un poste qu’il conservera jusqu’en janvier
1972. En tant que ministre de la Justice, John Turner pilote la réforme
du Code criminel et la loi spéciale qui suit
la crise d’octobre 1970.
En 1972,
Pierre Trudeau déplace John Turner au ministère
des Finances. Quand le gouvernement Trudeau perd sa majorité au Parlement en novembre 1972, John Turner
se voit contraint d’ajuster les politiques aux exigences de l’électorat, et il
s’ensuit des réductions d’impôts et des augmentations de pensions. Le
gouvernement jouit encore de surplus budgétaires en 1973 et 1974, mais l’effet
d’ensemble de cette politique est de stimuler l’inflation.
Quand le
gouvernement Trudeau retrouve sa majorité – dans une élection qui suit le rejet
du budget de Turner par la Chambre
des communes, en mai 1974 – John Turner se concentre sur la lutte contre l’inflation.
Cependant, il demande à quitter le portefeuille des Finances.
Rupture avec Pierre
Trudeau
En 1975, on
rapporte dans la presse que John Turner envisage de quitter à la fois le
gouvernement Trudeau
et la politique fédérale. Il en discute avec le premier ministre en juillet, et
Pierre Trudeau lui suggère de prendre un autre poste au cabinet, ou de demeurer
dans le gouvernement pendant au moins une autre année. La réunion se termine
sans qu’une décision claire ait été prise.
Les deux se
rencontrent à nouveau au début de septembre. À ce moment, John Turner considère
que le gouvernement Trudeau a évalué de manière irréaliste la situation
économique du pays et l’humeur de l’électorat. Il juge que le premier ministre
n’a pas suffisamment appuyé ses politiques économiques et n’a pas fait preuve
d’un bon leadership. Surtout, John Turner ne voit aucune possibilité d’accéder
au leadership du Parti libéral. Le 9 septembre, il présente sa lettre de
démission au cabinet du premier ministre.
La
démission soudaine de John Turner au cabinet est
une bombe qui fait la une des journaux. Des partisans de Pierre Trudeau
présentent ce départ comme un acte déloyal de John Turner, mais d’autres
perçoivent celui-ci comme l’offensé. Les médias encensent son travail aux
ministères de la Justice et des Finances. On s’entend à croire qu’il a
démissionné parce qu’il n’avait pu convaincre ses collègues de la nécessité de
réduire les dépenses.
La démission de John Turner fait mal au Parti libéral fédéral. Elle contribue peut-être aussi à la défaite du libéral Robert Nixon à l’élection provinciale de septembre en Ontario, devant le premier ministre progressiste-conservateur Bill Davis. Certains spéculent que John Turner pourrait briguer le leadership du Parti libéral de l’Ontario, ou même changer de couleurs politiques et tenter sa chance à la tête du Parti progressiste-conservateur fédéral après la démission de Robert Stanfield. Cependant, en février 1976, John Turner quitte entièrement la politique. Il se joint à un cabinet d’avocats de Toronto et siège au conseil d’administration de plusieurs entreprises canadiennes.
Premier ministre
John Turner
omet de présenter sa candidature à la chefferie du Parti libéral
en 1979, après la première démission de Pierre
Trudeau, de courte durée. La course à la chefferie n’a jamais lieu puisque
Pierre Trudeau revient brusquement avant l’élection de 1980. (Voir
Élections de 1979 et 1980.)
Quatre ans
plus tard, à l’annonce de la démission de Pierre Trudeau, John Turner décide de
se présenter à la chefferie. Il la remporte au second tour, le 16 juin
1984, défaisant son collègue Jean Chrétien. Le Parti libéral étant au pouvoir,
John Turner devient automatiquement le 17e premier
ministre du Canada le 30 juin. Il n’est pas obligé de déclencher une élection
avant 1985, mais puisque les libéraux mènent dans les sondages, il décide de
dissoudre le Parlement
le 9 juillet. Une élection fédérale est déclenchée pour le 4 septembre.
Élection de 1984
L’avance du
Parti libéral
s’effrite à la suite de graves bévues de John Turner durant la campagne de
l’été. On lui reproche de vouloir créer des emplois à court terme, une approche
des années 1970, révélatrice d’une conduite et d’un style de campagne
d’une autre époque. On le filme en train de donner une tape sur la fesse de la
présidente du Parti libéral Iona Campagnolo. Il tente de présenter la chose
comme un geste amical, ne comprenant pas que beaucoup de femmes y voient de la
condescendance.
Mais la
campagne de John Turner souffre surtout du patronage
que le Parti lui laisse en héritage. Avant de quitter son poste, Pierre
Trudeau a recommandé que la gouverneure
générale Jeanne Sauvé nomme plus de 200 libéraux à des
postes du gouvernement. Devenu premier ministre, John Turner non seulement n’annule
pas ces nominations, mais il en ajoute 70 de plus. Les Canadiens sont outragés.
Dans un débat télévisé en anglais, le chef progressiste-conservateur Brian Mulroney met fin à toute possibilité de
réélection des libéraux quand il a déclaré à un John Turner visiblement troublé :
« Vous
aviez une possibilité, monsieur. Vous pouviez dire “Je ne le ferai pas. Ce
n’est pas bon pour le Canada, et je ne demanderai pas aux Canadiens de payer le
prix.” Vous aviez une possibilité, monsieur, de dire “non”, et vous avez choisi
de dire “oui” aux vieilles attitudes et aux vieilles histoires du Parti
libéral. Ceci, monsieur, je vous le dis respectueusement, ceci n’est pas assez
bon pour les Canadiens. »
Les
libéraux subissent une défaite magistrale. Ils ne conservent que 40 sièges à la
Chambre
des communes après avoir perdu de nombreuses circonscriptions dans leur
château fort traditionnel du Québec. John Turner conserve son propre
siège dans Vancouver Quadra. Il quitte ses fonctions de premier ministre le 17 septembre
et devient, pour quatre années, chef de l’opposition.
Élection de 1988
Au milieu
des dissensions internes, John Turner réussit à reconstruire et à revitaliser
le Parti
libéral. Il est reconduit à la chefferie du parti au congrès de 1986. Les
libéraux mènent à nouveau dans les sondages en 1987.
L’enjeu
central de l’élection de 1988 est l’entente de libre-échange que le gouvernement du premier
ministre Brian Mulroney a négociée avec les
États-Unis. (Voir ALENA.)
L’entente abolirait la plupart des droits à la frontière canado-américaine et
établirait un nouveau processus pour régler les différends commerciaux.
L’establishment d’affaires soutient fermement l’entente ; les syndicats, la
communauté artistique et les Canadiens qui craignent pour la souveraineté
du pays s’y opposent.
John Turner accuse Brian Mulroney de vendre le Canada aux États-Unis et déclare que la lutte contre l’entente sera « la bataille de [sa] vie ». Les libéraux parviennent à doubler leur nombre de députés durant cette élection, prenant 83 sièges. Malgré tout, Mulroney obtient un second gouvernement majoritaire et l’entente de libre-échange est ratifiée. En 1990, John Turner démissionne de la chefferie du Parti libéral; il est remplacé par Jean Chrétien.
Après la carrière
politique
John Turner
conserve son siège au Parlement
jusqu’en 1993, mais on le voit rarement aux Communes. En 1990, il retourne à la
pratique privée, cette fois comme avocat chez Miller Thomson LLP. Il devient
plus tard chef du programme de bourses du cabinet. Il siège aussi au conseil
d’administration de plusieurs entreprises.
En 1994, John
Turner est fait Compagnon de l’Ordre du Canada. En 2004, il est membre de la
délégation canadienne qui observe le déroulement de l’élection présidentielle
ukrainienne. En 2008, il participe, avec d’autres anciens premiers ministres, à
la série télévisée de téléréalité Canada’s Next Great Prime Minister.
En 2012, il reçoit la médaille du jubilé de la reine Elizabeth II pour le Canada.
Des funérailles nationales sont prévues pour John Turner après son décès le 18 septembre 2020 à l’âge de 91 ans; cependant, la pandémie de COVID-19 en cours devrait compliquer ces plans.