L’édifice majestueux qui se dresse sur le coin nord-ouest des rues Hastings et Granville est connu aujourd’hui sous le nom de Centre Sinclair. Il abrite des bureaux du gouvernement fédéral, des magasins de vêtements haut de gamme et une petite galerie commerciale. Ce fut jadis le bureau de poste central de Vancouver et c’est là que s’est déroulé l’épisode du « Bloody Sunday » (Dimanche sanglant), une violente confrontation entre les forces de l’ordre et des travailleurs au chômage durant la Crise des années 30.
En 1938, la crise dure déjà depuis neuf ans. Tout au long des « sales années trente », Vancouver est le théâtre de manifestations contre l’inaction du gouvernement. Steve Brodie, un vétéran de la Marche sur Ottawa et de l’Émeute de Regina, fait partie des principaux organisateurs. Il expliquera que les sans-emploi se sont massés à l’intérieur de la ville parce que Vancouver est alors « le seul endroit au Canada où il est possible de mourir de faim avant d’y mourir de froid ». Il fait le vœu de continuer à faire pression sur les gouvernements provincial et fédéral pour qu’ils créent des programmes d’emploi efficaces.
Le 20 mai 1938, Steve Brodie prend la tête de 1 200 hommes pour occuper la galerie d’art, l’hôtel Georgia et le bureau de poste. En leur donnant de l’argent, l’hôtel Georgia obtient rapidement des occupants qu’ils quittent les lieux et ces derniers rejoignent leurs collègues à la galerie d’art. Les 800 hommes qui occupent le bureau de poste demandent à être arrêtés, mais la police refuse. Les occupants se résignent alors à une occupation pacifique qui va durer 30 jours. Ils n’interrompent aucune activité postale. Ils organisent même une journée sportive et publient un journal. Ils sont soutenus par des « tincanners » qui font la quête dans la rue (jusqu’à leur arrestation pour cette activité).
Le 19 juin, à 5 h du matin, la police municipale et la GRC pénètrent dans l’immeuble et en chassent les occupants en faisant usage de gaz lacrymogène et de gourdins, alors même que les occupants s’étaient soumis à leur éventuelle arrestation. Au total, une centaine d’hommes sont blessés et 23 sont hospitalisés. Steve Brodie est personnellement ciblé. Cinq policiers le rouent de coups de gourdin jusqu’au moment où un journaliste commence à filmer la scène. La police refuse d’appeler une ambulance pour évacuer Steve Brodie, qui gît alors sans connaissance, mais plusieurs de ses amis le transportent à l’hôpital Saint-Paul où il reprend connaissance 24 heures plus tard.
La situation évolue plus pacifiquement à la galerie d’art où les occupants parviennent à sortir après l’aspersion des lieux au gaz lacrymogène.
Jusqu’à sa mort en 1996, Steve Brodie reste un fervent critique du capitalisme et du laisser-faire du gouvernement.