Winnifred Eaton Babcock Reeve (aussi appelée Onoto Watanna), écrivaine (née le 21 août 1875 à Montréal, au Québec ; décédée le 8 avril 1954 à Butte, au Montana). Winnifred Eaton est devenue célèbre en tant qu’auteure sous le pseudonyme d’Onoto Watanna. Elle a été la première personne d’origine asiatique à publier un roman aux États‑Unis (Miss Numè of Japan, 1899) et à atteindre un large public de lecteurs. Son roman A Japanese Nightingale (1901) a été adapté en pièce de théâtre sur Broadway et en film. Elle a également écrit des scénarios pour Hollywood et deux romans, Cattle (1924) et His Royal Nibs (1925), portant sur la vie dans les ranchs de l’Alberta.
Jeunesse
Winnifred Eaton est la 8e des 14 enfants d’Edward Eaton, marchand anglais et peintre, et de sa femme Grace Trefusis, d’origine chinoise. Edward et Grace se rencontrent à Shanghai et vivent en Angleterre et aux États‑Unis avant de déménager à Montréal en 1872. La famille connaît des difficultés financières ; toutefois, les enfants sont élevés dans un environnement stimulant sur le plan culturel et intellectuel.
La jeune Winnifred est une enfant précoce. Elle réalise très tôt que le fait de raconter des histoires peut l’aider à faire face à la pauvreté et aux difficultés liées à sa différence raciale. En 1895, alors qu’elle a 14 ans, elle vend sa première nouvelle au Metropolitan Magazine de Montréal. Elle publie ensuite plusieurs articles et récits dans des magazines américains populaires, notamment Ladies’ Home Journal et Harper’s Weekly.
Sa sœur aînée, Edith Maude Eaton (1865‑1914), journaliste à succès. Winnifred et elle ont toutes deux travaillé, quoiqu’à des moments différents, à Kingston en Jamaïque, au sein du journal à capitaux canadiens Gall’s News Letter. Outre la rédaction d’articles et de reportages, elle y publie également des poèmes et des nouvelles. Elle est à la Jamaïque depuis moins d’un an lorsque, en 1896, elle déménage à Chicago pour travailler comme sténographe. Deux ans plus tard, en 1901, elle déménage à nouveau, cette fois pour s’installer à New York.
Onoto Watanna
En 1897, Winnifred Eaton écrit une nouvelle, « Japanese Love Story », qu’elle publie dans Iroquois Magazine sous le nom d’Onoto Watanna. Cet ouvrage séduit le public américain fasciné par le Japon et par sa culture. Il sera réimprimé à plusieurs occasions. En fait, elle n’a jamais mis les pieds au Japon. Sa connaissance de ce pays lui vient de ses lectures. Son nom de plume à consonance japonaise n’a aucune signification réelle en japonais.
Des années plus tard, elle expliquera qu’elle a choisi d’écrire à propos de personnages japonais et d’utiliser un pseudonyme japonais pour distinguer son travail de celui de sa sœur Edith qui écrivait des romans situés en Chine sous le nom de Sui Sin Far. Il est également tout à fait probable que sa décision en la matière a été influencée par le fait qu’elle savait pertinemment que les Américains entretenaient des préjugés à l’encontre des Chinois et qu’en Occident, la culture japonaise était perçue comme supérieure à la culture chinoise. Le succès de Japanese Love Story débouche sur la publication de plusieurs autres récits d’Onoto Watanna dans des magazines américains.
Miss Numè of Japan
En 1899, Rand McNally publie le premier roman écrit par Winnifred Eaton sous le nom de plume d’Onoto Watanna, Miss Numè of Japan. Le livre raconte une histoire d’amour interraciale, ce qui lui vaut des critiques mitigées, le sujet étant à l’époque assez controversé. Toutefois, ce roman, qui constitue un nouveau genre, rencontre un important succès auprès du public. Il fixe le cadre d’une formule que l’auteure va réutiliser pour se constituer un lectorat international avec des œuvres comme A Japanese Nightingale en 1901 (qui donnera plus tard naissance à une adaptation théâtrale sur Broadway et à une production cinématographique), The Wooing of Wisteria en1902, The Heart of Hyacinth en 1903, A Japanese Blossom en 1906, et Tama en 1910.
À des fins publicitaires, la romancière se coule dans la peau du personnage Onoto Watanna. Elle pose en kimono pour des photographes et répond aux journalistes qui l’interrogent sur ses origines qu’elle est née au Japon de parents occupant une position sociale élevée. Elle ne se montre toutefois pas très cohérente quant à ses origines ethniques : parfois son père est japonais, d’autres fois il est anglais ; quant à sa mère, elle est tantôt japonaise et tantôt moitié japonaise et moitié chinoise.
Retour au Canada
En 1901, Winnifred Eaton épouse Bertrand Babcock, un journaliste américain. Ils ont quatre enfants. Son mari étant devenu violent, elle divorce en 1917. Cette année‑là, elle publie anonymement un roman autobiographique Me : A Book of Remembrance. En 1917, elle épouse Francis Reeve, un homme d’affaires américain qui rêve de pratiquer l’élevage dans l’Ouest.
Le couple déménage alors en Alberta, s’installant au Bow View Ranch, une ferme d’élevage sur 4 000 hectares située à 65 k, à l’ouest de Calgary. Malgré le confort de son foyer, la romancière se sent isolée loin de la ville, particulièrement en hiver, lorsque ses enfants étudient dans un pensionnat à Calgary. Elle dit à une amie : « Je me sens comme en exil en Sibérie. »
Comme elle trouve la vie au ranch trop étouffante, Winnifred Eaton loue une petite maison à Calgary dans laquelle elle se rend pour écrire. Elle rédige des articles pour l’Albertan et pour un hebdomadaire de Calgary, Farm and Ranch Review. Elle s’implique dans la vie théâtrale locale et joue un rôle essentiel dans la création de la Calgary Little Theatre Association. (Voir Mouvement du théâtre amateur.) Elle est également membre fondatrice de la section de Calgary de la Canadian Authors Association.
En 1922, elle publie son dernier roman à thématique japonaise, Sunny‑San. Les œuvres qui suivent, Cattle en 1924 et His Royal Nibs en 1925, ont pour cadre les vastes terres d’élevage de l’Alberta. Elles sont respectivement publiées sous les noms de Winnifred Eaton et Winifred Eaton Reeve. Ces deux romans sont les plus canadiens de toute son œuvre.
Hollywood
Winnifred Eaton se rend parfois à New York où elle écrit des scénarios pour Paramount et Universal Pictures. S’étant séparée de Frank Reeve en 1924, elle déménage à Los Angeles en 1925. Durant les six années suivantes, elle travaille comme scénariste pour Hollywood. Elle participe notamment à l’adaptation cinématographique de romans comme Le fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux, bien que son nom n’apparaisse pas au générique, et Showboat d’Edna Ferber et de pièces de théâtre comme East is West de John B. Hymer et Samuel Shipman. Elle quitte Hollywood lorsqu’elle se réconcilie avec Frank Reeve en 1931.
Dernières années
Après son retour en Alberta, Winnifred Eaton n’écrira plus de roman. À la suite de l’invasion de la Chine par les Japonais et du bombardement de Pearl Harbor pendant la Deuxième Guerre mondiale, elle confie son regret d’avoir choisi le Japon comme cadre de ses romans et le sentiment qui la traverse d’avoir trahi son héritage chinois. (Voir Le Canada et la bataille de Hong Kong.) Elle écrit néanmoins des pièces pour le Calgary Little Theatre et occupe les fonctions de présidente de la Canadian Authors Association. Elle décède d’une crise cardiaque en 1954, alors qu’elle conduit sa voiture sur la route du retour à Calgary après des vacances en Californie.
Winnifred Eaton est l’auteure de plus de 16 romans et, probablement, de plus d’une centaine de nouvelles et d’articles. Une anthologie de ses écrits parus dans des publications périodiques a été publiée en 2003, sous le titre “A Half‑Caste” and Other Writings. Le théâtre de l’Université de Calgary a été nommé Théâtre Reeve en son honneur.
Voir aussi Canadiens d’origine chinoise; Canadiens d’origine japonaise; Asie-Canada : chronologie; Littérature ethnique; Histoire de la colonisation des prairies canadiennes.