Ydessa Hendeles, C.M., O.Ont., collectionneuse d’œuvres d’art, conservatrice, artiste, mécène (née le 27 décembre 1948 à Marbourg, en Allemagne). Lauréate du Prix du Gouverneur général en arts visuels et en arts médiatiques, elle est mieux connue comme étant l’un des principaux collectionneurs d’art contemporain et de photographies du monde, comme fondatrice de la Ydessa Hendeles Art Foundation, à Toronto, et comme conservatrice de plus de 35 expositions d’art contemporain à Toronto et à travers le monde.
Enfance et formation
Ydessa Hendeles est l’enfant unique de Jacob et Dorothy Hendeles, les deux des Juifs polonais qui ont survécu au camp de concentration nazi à Auschwitz (voir Le Canada et l’Holocauste). Comme des milliers d’Européens de l’Est, surtout les survivants de l’Holocauste, ils sont laissés sans foyer après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Avec d’autres membres de la famille, Jacob et Dorothy Hendeles s’installent à Marbourg, une ville allemande relativement intacte en zone d’occupation américaine, où Jacob ouvre un commerce. Le couple immigre au Canada avec leur fille de deux ans au printemps 1951.
La famille Hendeles s’installe à Toronto, où le père de Ydessa démarre une entreprise d’immobilier commercial qui rendrait la famille riche. Le traumatisme et le sentiment de perte avec lesquels elle est élevée, étant l’enfant de deux survivants de l’Holocauste, influencent profondément la carrière de collectionneuse d’œuvres d’art, de conservatrice et d’artiste de Ydessa Hendeles. Comme elle le fait remarquer lors d’une entrevue avec Canadian Art en 2002, la connaissance qu’elle faisait « partie d’une génération qui n’était pas censée exister » ne lui a jamais échappé.
Ydessa Hendeles est diplômée de l’Université de Toronto. Après l’obtention de son diplôme, elle poursuit ses études à la New School of Art, au Toronto Art Therapy Institute (où elle étudie avec le feu Dr Martin A. Fischer), et enfin avec le professeur Mieke Bal à la Amsterdam School for Cultural Analysis, de l’Université d’Amsterdam, où elle obtient un doctorat avec distinction.
L’entreprise d’immobilier que son père a démarrée fait finalement fortune. Cela donne à sa fille la liberté financière d’ouvrir sa première galerie, la Ydessa Gallery, et de se tailler une place dans le monde de la collection d’œuvres d’art contemporain (voir aussi Marchands d’œuvres d’art).
Galeriste, collectionneuse et conservatrice
Après avoir travaillé comme conceptrice de cuisines et de salles de bain domestiques pour Salvarani Kitchens, à Toronto, Ydessa Hendeles ouvre la Ydessa Gallery en 1980, une galerie d’art commerciale sur la rue Queen Ouest, à Toronto. Elle dirige la galerie pendant huit ans, présente plus de 60 expositions. Elle aide à lancer la carrière de plusieurs artistes qui sont aujourd’hui reconnus mondialement, tels Kim Adams, Sandra Meigs, Jana Sterbak, Jeff Wall, Rodney Graham et Krzysztof Wodiczko. Elle ferme les portes de la galerie en 1988 pour établir la Ydessa Hendeles Art Foundation, un espace d’art unique à Toronto où elle organise des expositions de sa collection privée d’art contemporain canadien et international.
« Après huit ans en tant que galeriste », affirme Ydessa Hendeles en 2012 lors d’une entrevue avec le magazine Flash Art, « j’ai décidé de renoncer au côté commercial privé de mes activités et de devenir une collectionneuse, mais du type qui acquiert les œuvres d‘art explicitement dans le but de créer des expositions publiques. Je répondais à ce que je percevais comme un besoin – certainement au Canada, mais aussi à l’échelle internationale à ce moment-là. En 1988, le fait de collectionner des œuvres d’art et de les exposer constituait un geste philanthropique qui appuyait les artistes. L’établissement de la fondation représentait une affirmation concrète de ma reconnaissance de l’importance – voire l’effet d’humanisation – de l’expérience de l’art contemporain. »
Située dans une usine d’uniformes convertie sur rue King Ouest, à Toronto, la Ydessa Hendeles Art Foundation devient rapidement l’une des galeries les plus intrigantes de la scène de l’art contemporain. La première exposition, en 1988, présente 12 œuvres de l’artiste français Christian Boltanski. Tout comme Ydessa Hendeles, celui-ci est né près de la fin de la Deuxième Guerre mondiale de parents juifs européens. Son œuvre in situ, Canada, représente une petite salle aux murs très escarpés recouverts du plafond au plancher de vieux vêtements. Il s’agit d’une allusion au nom d’une salle d’Auschwitz, où les vêtements étaient triés et gardés. La mère de Ydessa Hendeles a des souvenirs frappants de cette salle.
Le lien entre ces deux couches, biographiques et métaphoriques, entre l’artiste et la conservatrice, le contenu et l’emplacement sont des traits typiques de la façon idiosyncrasique et évocatrice dont Ydessa Hendeles organise ses expositions. « L’enjeu, c’est le tissu conjonctif intellectuel reliant l’œuvre à l’œuvre, l’exposition à l’exposition », écrit Richard Rhodes dans Canadian Art en 1993, louant l’originalité du style de conservation de Ydessa Hendeles. « Il écarte le modèle du musée traditionnel qui organise les objets et les expositions en des présentations explicatives de types historiques et formels en mutation ou en thèmes actuels généraux. »
Au cours des 25 années d’existence de la Ydessa Hendeles Foundation, celle-ci présente 30 expositions, incluant des œuvres empruntées de sa collection et de musées canadiens, et présentant de grands artistes canadiens et internationaux, tels Diane Arbus, Louise Bourgeois, Bill Brandt, Bruce Nauman, Jeff Wall, Sandra Meigs, Ian Carr-Harris, John Massey, Jenny Holzer, Hanne Darboven, Maurizio Cattelan, Edward Muybridge, Andre Kerész, James Coleman, Gary Hill, Bill Viola, Walker Evans et bien d’autres encore. Souvent, les expositions contiennent les œuvres de plusieurs artistes et de différents médias, comme la sculpture, l’in situ, la vidéo et la photographie d’art, le photojournalisme et la conception vernaculaire et les objets trouvés.
Conservatrice devenue artiste
Ydessa Hendeles commence à inclure ses propres œuvres d’art dans les expositions de la Ydessa Hendeles Art Foundation au début des années 1990; plus tard, elle les intègre dans des expositions internationales. En 2003, elle est la conservatrice invitée de Partners, tenue à Munich, au Haus der Kunst. Il s’agit d’un musée construit sous les ordres de Hitler et qui a ouvert ses portes le 18 juillet 1937 avec la Grosse Deutsche Kunstausstellung, (Grande exposition d’art allemande) sanctionnée par les nazis. L’exposition de Ydessa Hendeles est un véritable dialogue avec cet emplacement historiquement chargé. En effet, elle présente l’œuvre de l’artiste italien Maurizio Cattelan Him, une sculpture réduite, mais réaliste, d’un Hitler à genoux; la sculpture de l’artiste étatsunien Paul McCarthy Saloon, grotesque et caricaturée; des photographies d’une exécution au Vietnam et de l’auto-immolation d’un moine; et sa propre œuvre in situ Partners (The Teddy Bear Project).
Présenté pour la première fois à la Ydessa Hendeles Art Foundation, Partners (The Teddy Bear Project) consiste en 3000 photographies anciennes de différentes personnes tenant des ours en peluche : des enfants, des prostituées, des prisonniers, des politiciens et des équipes sportives. Les photographies, que l’artiste a surtout achetées sur eBay, sont encadrées et entassées dans une salle, du plancher jusqu’au plafond. « J’abordais des besoins inconscients », explique-t-elle au sujet des origines du projet en 2016 dans une entrevue avec le New York Times. « Je conserve les souvenirs d’autres personnes. »
Partners (The Teddy Bear Project) est présenté de nouveau dans Noah’s Ark, par le Musée des beaux-arts du Canada (2004); dans 10,000 Lives (2010), à la biennale de Gwangju, en Corée du Sud; et dans The Keeper (2016), une exposition de groupe organisée par Massimiliano Gioni au New Museum of Contemporary Art, à New York.
La première exposition solo de Ydessa Hendeles dans un musée public, From her wooden sleep…, est présentée en 2015 à l’Institute of Contemporary Arts, à Londres, en Angleterre, par Philip Larrat-Smith. Elle s’articule autour de 150 mannequins en bois que l’artiste a rassemblés. Ils datent des années 1520 aux années 1930, et varient en taille de grandeur nature à la grandeur d’une poupée. « L’exposition soulève de nombreuses questions sur la formation sociale », écrit Elizabeth Legge dans Canadian Art, « sur l’inclusion et l’exclusion, sur la différence et la ressemblance, sur la communauté et l’oppression, sur le pouvoir de la surveillance, sur la conformité et l’appréciation, et sur les souvenirs troublés individuels et culturels du passé, conçu comme une enfance historique. » L’œuvre est par la suite enrichie et remontée pour le Helena Rubinstein Pavilion for Contemporary Art, au Tel Aviv Museum of Art, à Tel Aviv, en Israël, en 2016.
Philanthropie
En 2001, Ydessa Hendeles fonde une série de conférences au Department of Fine Art (aujourd’hui Department of Art) de l’Université de Toronto. Elle effectue plusieurs dons d’œuvres à une variété d’institutions canadiennes, y compris le Musée des beaux-arts du Canada, la Vancouver Art Gallery et le Musée des beaux-arts de l’Ontario. Son don de 32 œuvres d’art contemporain international et canadien au Musée des beaux-arts de l’Ontario en 2009 représente le don unique le plus important d’œuvres d’art contemporain dans l’histoire du musée.
En octobre 2012, la Ydessa Hendeles Art Foundation ferme son espace d’exposition à Toronto.
Honneurs
Membre des conseils internationaux du Museum of Modern Art de New York et de la Tate Gallery de Londres, en Angleterre, Ydessa Hendeles est nommée l’une des 50 personnes les plus importantes dans le monde de l’art contemporain par le magazine ARTnews. De surcroît, elle est la seule Canadienne qui figure sur la liste. En 1995, elle est choisie par American Photo comme l’un des 50 collectionneurs d’œuvres d’art les plus importants du monde. En 1996, ses expositions Projections et Portraits sont incluses dans la liste des meilleures expositions de l’année de l’Artforum. Son exposition Same Difference obtient deux prix de mérite de l’Association ontarienne des galeries d’art en 2003, l’une, la Meilleure exposition de l’année et l’autre, la Meilleure conception et installation d’une exposition.
Récompenses
- Doctorat honorifique, Nova Scotia College of Art and Design (1996)
- Membre, Ordre de l’Ontario (1998)
- Doctorat honorifique, Université de Toronto (2000)
- Prix du Gouverneur général (2002)
- Médaille du jubilé d’or de la reine Elizabeth II (2002)
- Membre, Ordre du Canada (2004)
- Médaille du jubilé de diamant de la reine Elizabeth II (2012)
- Doctorat honorifique, Philipps-Universität Marburg (Allemagne) (2017)