Origine et objectifs
Créée en 1883, au lendemain de la Guerre franco-allemande de 1870, l’Alliance Française veut « réparer l’échec des armes par les charmes de la culture ». Cette « association nationale pour la propagation de la langue française dans les colonies et à l’étranger » est laïque et non partisane. Fondée par Paul Cambon, ancien diplomate et chef cabinet de Jules Ferry, et le géographe Pierre Foncin, l’Alliance Française aspire, à travers des comités locaux, à établir des échanges avec d’autres peuples afin de parler « de leurs mœurs, de leurs coutumes, de leurs progrès, des exemples bons à suivre qu’ils nous donnent, de leurs enfants, de leurs écoles ».
Les fondateurs de l’Alliance Française, entre autres, l’écrivain Jules Verne, le scientifique Louis Pasteur et le directeur de la construction des canaux de Suez et de Panama, Ferdinand de Lesseps, mobilisent leurs réseaux pour établir des comités. À cette fin, ils recrutent sur place une élite française et francophileapte à enseigner le français à toute personne intéressée, soutenant ainsi les idéaux de liberté et d’universalité qu’incarne la culture française. Alors que les limites du monde sont désormais connues et que les empires britannique et allemand gagnent en puissance, les agents, consuls et ambassadeurs du ministère des Affaires étrangères (MAÉ) de la France sont chargés de veiller à l’implantation, au maintien et au renouvèlement des comités de l’Alliance Française.
L’expansion de l’Alliance Française
Grâce aux compétences, aux réseaux et aux subventions du MAÉ, les comités locaux s’établissent dans les capitales ou les principales villes de l’Espagne, du Sénégal, de l’Île Maurice et du Mexique en 1884, au Danemark et en Égypte en 1885, puis en Autriche, en Grèce, en Inde eten Australie en 1886; en Amérique latine, la volonté de circonscrire les influences de l’Espagne et des États-Unis crée un terreau fertile pour l’Alliance Française. Dès 1894, l’Alliance Française de Paris (AFP) offre des cours d’été à des milliers d’enseignants du monde afin qu’ils améliorent leur formation en français, qu’ils suivent des cours de civilisation de haut niveau (histoire, politique, littérature françaises) et qu’ils visitent Paris ainsi que de grands lieux historiques. En 1919, l’Alliance Française ouvre l’École pratique de langue française sur le boulevard Raspail, près de l’Université de Paris.
Dans les comités, les universitaires, les fonctionnaires et les diplomates font circuler les idées entre les milieux locaux et la diplomatie française officielle. Bien souvent, ces personnes de prestige entament leur carrière auprès de l’Alliance Française : elles enseignent le français, constituent des bibliothèques et en animent des activités culturelles sur la scène locale. L’établissement d’un programme d’enseignement pour l’Europe et l’Amérique du Nord (1901) et les crédits accordés par la République pour la diffusion du livre français (1910) font des quelques centaines de comités de l’Alliance Française de puissantes armes pour répandre une culture française idéalisée et soutenir l’économie culturelle de la France – grâce à l’aide aux établissements scolaires, à la diffusion des idées et aux visites d’artistes et d’auteurs. Jouissant d’une grande indépendance par rapport au siège de l’Alliance Française à Paris, mais alignés sur la politique étrangère française, les comités coûtent peu au MAÉ, car 70 % de leur financement proviennent de leurs activités locales.
Cette souplesse constitue la clé du succès de cette diplomatie culturelle moderne, selon l’historien François Chaubet, car elle permet aux acteurs de s’adapter à la variété des situations locales. Mais il y a plus : l’Alliance Française répond à un besoin de rassemblement et d’expression culturelle chez les 600 000 expatriés français. Ainsi, l’Alliance fait des inventaires des livres français dans les bibliothèques des villes où elle s’est établie. De plus, elle améliore la formation des enseignants, promeut la France dans les pays où elle est peu présente et suscite un engouement pour une France qu’elle représente dans une perspective idéale, pacifiste et universaliste. Ce projet, qui motive les élites françaises expatriées dans les colonies et permet aux artistes et aux penseurs de la métropole de se faire connaître à l’étranger, adoucit les dimensions les plus rigides de la politique extérieure française.
Les débuts de l’Alliance Française en Amérique du Nord
Entre 1850 et 1920, 20 000 religieux, professionnels, gens d’affaires, cultivateurs et prospecteurs français immigrent au Canada (voirImmigration française au Canada). Devant la lenteur de l’établissement de rapports diplomatiques officiels – la France ouvre un premier consulat à Québec en 1859 et son ambassade à Ottawa en 1928 – des professeurs et des gens d’affaires s’intéressent aux activités de l’Alliance Française dès la fin du 19e siècle (voir aussiReprésentation diplomatique et consulaire). En 1902 est fondée à Washington la Fédération des Alliances Françaises aux États-Unis qui œuvre à coordonner des tournées, distribuer des livres, favoriser l’échange d’outils culturels et l’inscription des étudiants aux universités françaises. Également en 1902, les premières réunions de comités se tiennent à Montréal, Toronto, Winnipeg et Dawson City. Associés à la fondation des journaux et des associations de défense de l’éducation de langue française dans l’Ouest canadien, plusieurs immigrants français aident l’Alliance Française à s’étendre en formant des comités à Halifax en 1903, à Québec, Vancouver et Victoria en 1904, puis à Ottawa en 1905.
À Ottawa, la francophilie et la volonté de développer des relations étrangères – puis une identité – proprement canadiennes fondées sur une certaine idée de la dualité nationale semblent interpeller diverses personnalités associées au Parti libéral. Ainsi, le futur premier ministre canadien William Lyon Mackenzie King et le sénateur franco-ontarien Napoléon-Antoine Belcourt sont parmi les fondateurs de l’Alliance Française d’Ottawa. À Toronto et à Winnipeg, des professeurs d’université originaires de la France établissent les comités; à Vancouver, c’est à une enseignante française de la Granville School, Marie-Louise Kern, que l’on doit la fondation du comité.
Les activités des premières Alliance Française au Canada
Comme ailleurs, les comités constituent des bibliothèques, organisent des activités littéraires et sociales et offrent des cours de français. Les réunions revêtent un certain prestige, comme l’indiquent les noms des invités et des conférenciers de renom que publient les journaux. Il s’agit surtout de professeurs, d’auteurs et de diplomates français, mais rarement de Canadiens français. En plus du soutien de base accordé par le MAÉ et de l’aide à la diffusion du livre français, l’Alliance Française d’Ottawa reçoit un octroi du bureau du premier ministre en 1911. Faute d’avoir leur édifice à elles pendant les premières décennies, les Alliances Françaises tiennent leurs réunions à l’Institut canadien-français d’Ottawa ou à l’Université de Toronto, par exemple.
Les documents historiques existants contiennent peu de détails sur la contribution des Alliances Françaises pendant la première moitié du 20e siècle. Par ailleurs, on sait qu’à Toronto, pendant la Première Guerre mondiale, l’Alliance Française donne des cours de français aux officiers canadiens qui doivent partir sur le front français; ailleurs, les comités sont enregistrés officiellement comme sociétés provinciales. Si la crise économique des années 1930, la fermeture des frontières à l’immigration et l’occupation de la France pendant la Deuxième Guerre mondiale nuisent à l’essor des Alliances Françaises, elles se maintiennent tout de même grâce à leurs bénévoles, mécènes et nombreux membres ( voir aussiPolitique d’immigration du Canada). En 1931, l’Alliance Française d’Ottawa compte 833 membres.
Le renouvèlement après la Deuxième Guerre mondiale
Après la guerre, la reconstruction et le retour de la prospérité permettent à la République française de s’investir à nouveau dans la diplomatie culturelle, notamment en ouvrant des Instituts français, entièrement financés par le ministère des Affaires étrangères. Au Canada, la reprise de l’immigration française et l’enthousiasme de l’après-guerre, joints à l’intérêt renouvelé pour la France et à la présence de consuls honoraires, expliquent l’émergence de nouveaux comités de l’Alliance Française, notamment à Calgary (1947) et à Edmonton (1947). En 1951, les Alliances Françaises du Canada se réunissent à Ottawa et forment une fédération, qui siège d’abord à Ottawa et à compter de 1968 à Montréal, pour coordonner leur développement. De nouvelles Alliances Françaises voient le jour Regina (1964) et à Saskatoon (1981), puis à Sherbrooke et à Rivière-du-Loup, entre autres. Le patronage des 106 000 expatriés français (1972) au Canada contribue à l’augmentation du nombre des membres et des octrois et permet à l’Alliance Française de construire ou d’acquérir un patrimoine immobilier. Grâce à ces acquisitions, l’Alliance Française dispose d’un plus grand espace pour ses diverses activités et pour l’enseignement.
L’Alliance Française et le bilinguisme officiel
En 1969, l’adoption de la Loi sur les langues officielles engage le gouvernement fédéral dans le financement de l’enseignement du français et inscrit le bilinguisme dans l’identité canadienne, deux éléments qui favorisent les inscriptions aux cours de français de l’Alliance Française.
À Vancouver, elle inaugure des cours à l’intention des juges britanno-colombiens qui souhaitent siéger à un tribunal fédéral. En 1971, sur les 490 élèves de l’Alliance Française à North Vancouver, 365 sont des enfants, ce qui indique que l’immersion française suscite un certain intérêt. Les subventions qu’accorde le Secrétariat d’État pour la culture en milieu minoritaire incitent l’Alliance Française à se donner pour mission de diffuser la culture française auprès des anglophones et à créer le Petit théâtre du Pacifique (1978).
Par ailleurs, à Ottawa, le nombre de membres de l’Alliance Française diminue; il passe de 250 en 1952 à 118 en 1979, mais la mission d’enseignement s’intensifie. En 1969, on fonde une école dans l’espoir qu’elle devienne un important fournisseur de services auprès du gouvernement fédéral, lequel doit rendre l’appareil fédéral plus bilingue. Le corps d’apprenants passe de 170 à 1239 entre 1971 et 1988, mais l’Alliance Française d’Ottawa n’est pas seule dans cet environnement qui compte une trentaine d’écoles de langue accréditées. Pendant la décennie 1990, les compressions du gouvernement libéral font reculer les inscriptions de 34 %. En 1998, les cours offerts à la fonction publique ne représentent plus que pour 8 % de l’ensemble. L’Alliance Française se tourne alors vers des entreprises ottaviennes désireuses d’offrir des services bilingues à la population; cette clientèle représente alors 34 % des cours offerts.
À Toronto, l’admissibilité de l’Alliance Française aux subventions du Secrétariat d’État l’incite à ouvrir une école de langue au tournant des années 1970, puis à développer sa programmation culturelle. L’Alliance Française crée la première école Montessori francophone de Toronto (1987), elle acquiert des édifices, entre autres, une demeure victorienne pour ses bureaux (1986), elle inaugure une bibliothèque (1998), puis des antennes à Mississauga (1991), North York (1991) et Markham (2010).
La Délégation générale au Canada et la Fondation Alliance Française
En France, l’Alliance Française constate que ses réalisations sont mal connues, ce qui incite le président François Mitterrand à investir dans le réseau. En 1984, le ministère des Affaires étrangères de France mandate un délégué général auprès des Alliances Françaises du Canada. Comme le faisait la Fédération (dissoute en 1992) avant elle, la Délégation générale répartit des livres dans les différentes Alliances Françaises, elle offre des abonnements au journal LeMonde et à la revue pédagogique Reflet et coordonne des tournées de conférenciers et d’expositions. La subvention qu’elle reçoit du gouvernement français passe de 140 000 FF à 220 000 FF (32 000$ à 51 000$ environ) entre 1990 et 1996, mais elle stagne pendant la présidence de Jacques Chirac (1995-2007). Or, la volonté soutenue d’appuyer les Alliances Françaises dans le monde, de leur procurer des revenus d’appoint et d’uniformiser le réseau, jusque-là demeuré décentralisé, mène à la création de la Fondation Alliance Française en 2007, sous laquelle travaillent désormais les délégations générales des Alliances Françaises.
Fermeture de plusieurs Alliances Françaises au Canada
Les compressions budgétaires des gouvernements canadien, français et provinciaux, jointes à l’importance moindre de certaines Alliances Françaises, au désengagement de bénévoles, à la concurrence des autres écoles de langue et à la saturation de l’offre culturelle francophone, entrainent la fermeture des AF au Québec et en Saskatchewan. Créée sous l’impulsion du Sommet de la Francophonie de 1999, l’Alliance Française de Moncton est le seul ajout récent au réseau.
L’Alliance Française du Canada aujourd’hui
En 2018, les neuf Alliances Françaises du Canada gèrent médiathèques, films, concerts, clubs de lecture, dégustations de vin et rencontres interactives. Contraintes à se soucier de marketing, de professionnalisation et de croissance comme si elles étaient de « petites entreprises », les Alliances Françaises tirent désormais de 80 à 90 % de leurs recettes des cours offerts. Elles mettent de l’avant une offre de services de formation franco-française donnée par des enseignants français ou maghrébins, une formation conforme au Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL). Pour les apprenants qui jugent les écoles de langue canadiennes ou les écoles d’immersion insatisfaisantes, l’Alliance Française offre une formation solide qui augmente leurs chances d’avoir une promotion ou d’être admis à une université francophone (voirEnseignement des langues secondes). Elles préparent aussi leurs clients à lapassation de diplômes internationaux (DELF, DALF, DEAFLE) et de tests d’immigration canadiens (TEF) et québécois (TEF, TCF, TCFQ, TEFaQ). De Vancouver (majoritairement composée d’enfants d’origine asiatique) à Ottawa (largement composée de fonctionnaires), les Alliances Françaises ont chacune leurs particularités et le nombre d’apprenants varie grandement de l’une à l’autre : 150 à Moncton, 850 à Halifax, 1000 à Calgary et 6500 à Toronto.
L’Alliance Française et l’avenir du français
À travers le monde, le nombre d’Alliance Française est passé de 1050 en 2004 à 822 en 2016. Par ailleurs, le nombre d’apprenants se maintient à environ 500 000 par année, mais le Canada compte pour peu dans ce réseau avec seulement 12 403 apprenants en 2016. Dans un monde où l’anglais est désormais la lingua franca, l’Alliance Française œuvre pour que le français demeure une des grandes langues du monde.