Architecture - histoire de l'architecture : 1759-1867
Jusqu'aux années 1830 au moins, et même plus tard dans certaines régions, l'architecture du régime anglais est polarisée entre les formes géorgiennes, symbole de l'ordre impérial britannique, et les diverses tendances régionales déjà établies sur le territoire ou en voie de l'être.
Québec après la Conquête
Au Québec, le passage du régime français au régime anglais n'a pas d'impact immédiat sur les formes architecturales. La Guerre de Sept ans sème la destruction dans les villes et les villages en bordure du Saint-Laurent, mais la période de reconstruction qui lui succède favorise des types de construction déjà en usage et raffermit leur interprétation vernaculaire. Des illustrations des villes de Montréal et de Québec au début du XIXe siècle montrent des maisons qui respectent le type de construction établi pendant le régime français. Cependant, la caractéristique la plus marquante de ces bâtiments n'apparaît qu'en coupe : la large charpente de toiture contient un entrait retroussé, qui donne aux fermes l'aspect d'un « A » ouvert à la base. Le plancher de l'étage supérieur se trouve sous les sablières, ce qui crée un espace de vie hybride, en partie entouré de la structure de maçonnerie et en partie entouré par le toit. Les fenêtres des lucarnes typiques situées dans la partie inférieure du toit et reposant directement sur les sablières constituent le résultat de cet aménagement intérieur. En façade, la portion du mur située au-dessus du plancher s'appelle le surcroît parce qu'elle fait apparaître le mur plus haut qu'il ne l'est réellement. C'est l'espace anormalement grand entre les fenêtres les plus élevées et la bordure du toit qui permet de l'identifier. Ce détail architectural marquera les maisons québécoises pendant une bonne partie du XIXe siècle.
Les établissements religieux aident à perpétuer d'autres modes de construction bien établis. Un bon exemple de ce type est le Château Bellevue (1777-1781; agrandi en 1870), situé à Petit-Cap près de Saint-Joachim, que les dirigeants du Séminaire de Québec font construire comme maison de vacances pour leurs étudiants. Cet édifice appartient au type de charpente à pieux utilisé pour les établissements religieux durant tout le régime français. Le Château Bellevue, construit entre 1777 et 1781, est un bâtiment allongé de deux étages avec un toit à pente raide à versants aux deux extrémités. Le toit est soutenu par une charpente à entrait retroussé, ce qui est facilement visible de par la position des lucarnes. Le plan compte une seule série de chambres accessibles par une rangée de portes d'un coté, comme dans les palais et les hôtels français du XVIIIe siècle. Aujourd'hui, la façade principale compte deux portiques à arc plat et bossage : celui de la partie originale, du côté gauche, est fait de pierre et celui de l'agrandissement de 1870 est une copie en bois du précédent. Les ouvertures sont régulièrement réparties, et seules les lucarnes placées dans un ordre plus serré au-dessus de la porte originale montrent une certaine irrégularité.
Par opposition à cette survivance des types de bâtiments français, les dirigeants britanniques ont, peu à peu, marqué leur présence à Québec en transformant les édifices publics existants et en érigeant de nouveaux bâtiments de style palladien. Ces interventions aboutissent parfois à la création de nouvelles agglomérations qui offrent de puissants symboles de la présence britannique, comme sur la Place d'Armes, à Québec, où le Château Haldimand (1786, détruit en 1892) a été construit comme annexe au Château Saint-Louis, pour y tenir les réceptions ne trouvant pas de place dans ce dernier. L'extérieur, que l'on peut voir sur de vieilles photographies, donne un exemple de l'apparence austère qui caractérise les premiers édifices publics érigés par le nouveau régime. Le palais de justice (1799-1804, détruit par le feu en 1873), situé face à la rue Saint-Louis, de l'autre côté de la Place, reprend le modèle adopté par d'autres palais de justice au Canada à cette période, bien que son architecte soit l'artiste François Baillairgé (1759-1830), de la ville de Québec.
Puis la cathédrale Holy Trinity (1800-1804, modifiée en 1816), dont l'abside est traitée en façade secondaire donnant sur la Place, est érigée dans un style palladien sans compromis et selon les plans de deux officiers britanniques, le Capitaine William Hall et le Major William Robe. Robe est également chargé de l'aménagement du paysage de la Place d'Armes. Quelques années plus tard, le vieux Château Saint-Louis (modifié en 1808-1811; incendié en 1834) se transforme en composition palladienne : un troisième étage est ajouté, un nouveau toit à pente plus faible est posé et de larges frontons classiques complètent le tout. C'est ainsi que la Place d'Armes a été transformée en un symbole puissant de l'ordre impérial britannique.
Ces constructions symboliques sont accompagnées du renforcement des fortifications de la ville, couronné par l'érection, de 1820 à 1831, d'une citadelle conçue par Elias Walker Durnford. Le parti architectural de la citadelle s'inspire des principes développés en France, sous le règne de Louis XIV, par Sébastien Le Prestre, marquis de Vauban. Elle est essentiellement composée d'une série de bastions interconnectés, reliés par des courtines et disposés de façon à pouvoir se défendre mutuellement. Ce système de fortification principal est complété par des éléments externes destinés à rendre la place forte encore plus difficile d'approche. Conçue pour protéger la ville de Québec contre une attaque éventuelle des Américains, la citadelle de Durnford est un des derniers exemples de ce type de construction classique.
Provinces maritimes avant les loyalistes
Dans les Maritimes, la déportation des Acadiens et l'arrivée de pionniers venant des colonies britanniques situées le long de la côte atlantique créent une situation assez différente de celle qui existe au Québec. Néanmoins, la polarité entre le régionalisme et l'impérialisme demeure une caractéristique majeure de l'architecture de cette période. Les nouveaux colons apportent avec eux des types et des techniques de construction qui leur sont familiers. Ce mouvement établit un lien solide avec la Nouvelle-Angleterre bien avant l'arrivée des loyalistes dans les années 1780. La Maison Simeon Perkins (1766-1767, agrandissements 1781, 1792), à Liverpool, en Nouvelle-Écosse, en constitue un excellent exemple. Il s'agit d'un bâtiment à ossature de bois, parement de clin et toit à pignon, comme on en retrouve en Nouvelle-Angleterre. Sur la façade avant, les fenêtres sont situées près du haut du mur et ne laissent pas d'espace pour un surcroît. Ce détail laisse supposer que les fermes qui soutiennent le toit sont triangulaires, munies de tirants à la base, plutôt que des coyaux communément utilisés au Québec. En 1781, lors de l'agrandissement de la maison, des lucarnes sont ajoutées et elles doivent être placées à demi dans la pente du toit de façon à correspondre à l'espace intérieur.
La ville de Barrington, en Nouvelle-Écosse, est fondée en 1761 sur le site de La Passage, qui avait été rasé par les habitants de la Nouvelle-Angleterre en 1755. Son église (1765) appartient à un type communément utilisé par les congrégationalistes de la Nouvelle-Angleterre du XVIIIe siècle. La porte d'entrée est située au milieu d'un des longs côtés, alors que l'intérieur est disposé le long du plus court axe du bâtiment. La chaire fait face à l'entrée, et la grande salle d'assemblée est entourée de galeries sur les trois autres côtés. À l'extérieur, les fenêtres du haut, qui apportent de la lumière aux galeries, se replient contre les avant-toits d'une manière typique de la Nouvelle-Angleterre et scindent la frise sous la corniche. Cette dernière de même que les longs pilastres corniers constituent les seuls éléments d'ornementation classique du bâtiment.
Contrairement à ces édifices vernaculaires, les projets menés par les dirigeants se conforment généralement à des précédents britanniques qui évoquent l'allégeance à la Couronne. Le duc de Kent, qui a fait part de son mécontentement devant l'architecture des édifices publics d'Halifax lors de son séjour dans cette ville, fait construire l'Horloge de la Ville sur la colline de la Citadelle en 1802-1803. Il s'agit d'une adaptation du petit temple de Bramante (Tempietto), à Rome. Cet édifice est donc un exemple typique du classicisme géorgien appliqué aux colonies.
La Province House (1811-1819), qui ressemble au bloc central d'une résidence d'été du XVIIIe siècle en Angleterre est un bâtiment plus élaboré et plus monumental. Dans cet édifice, les formes palladiennes sont traitées de façon baroque. Des colonnes ioniques monumentales soutiennent un fronton central arborant les armoiries royales. Aux deux extrémités de la façade principale et au centre des façades latérales, des pilastres soutiennent également leurs propres frontons, plus petits que ceux de la façade principale. Ces colonnes et pilastres relient les deux niveaux supérieurs de l'élévation, et un premier étage rustiqué fournit le basilaire pour la partie supérieure.
Le style palladien constitue une façon originale d'utiliser le vocabulaire classique en Angleterre, basée sur le travail de l'architecte de la Renaissance, Andrea Palladio. Ce style sera utilisé pour la construction d'édifices représentant l'ordre britannique jusqu'à la moitié du siècle, et l'édifice colonial (maintenant la Province House, 1843-1848) à Charlottetown, à l'Île-du-Prince-Édouard, l'utilise plutôt efficacement. Située à Queen Square, il fait partie d'un autre petit groupe d'édifices qui symbolisent les institutions britanniques. À St. John's, à Terre-Neuve, l'édifice Colonial (James Purcell, 1846-1850) est également une conception de type palladien fort bien rendue dont le portique ionique monumental soutient un fronton classique aux armoiries royales.
Loyalistes
Les loyalistes, dont l'arrivée dans les années 1783-1784 se traduit par une augmentation radicale de la population dans bien des régions, ramènent des colonies qu'ils laissent derrière eux de nouvelles conceptions architecturales, mais ils se tournent aussi directement vers les modèles britanniques que préfèrent les élites locales. La ville de Shelburne, en Nouvelle-Écosse, fait l'objet d'un relevé à l'intention des nouveaux colons. Des terres sont distribuées gratuitement, et près de 1500 bâtiments sont construits en 1783 et en 1784. Deux édifices adjacents connus sous le nom de la maison et du magasin Ross-Thompson (début des années 1780) témoignent de l'influence coloniale américaine déjà présente en Nouvelle-Écosse. Le toit à deux pentes, qui ajoute une note tout à fait géorgienne au magasin, se voit fréquemment en Nouvelle-Angleterre sur les maisons et les édifices publics du XVIIIe siècle.
Beaucoup de maisons de cette période utilisent un vocabulaire classique qui correspond aux modèles coloniaux américains, mais leurs caractéristiques géorgiennes ont la même signification que dans les colonies du XVIIIe siècle, notamment l'aspiration vers les valeurs britanniques et la loyauté à la Couronne. C'est le contexte colonial lui-même plutôt que la source réelle d'inspiration qui donne un sens à ces formes. La Maison des loyalistes de Saint Jean, au Nouveau-Brunswick, (vers 1810-1817), une maison à double pilotis, montée sur sous-sol élevé et recouverte d'un toit plat, rappelle les maisons des commerçants de Salem, dans le Massachusetts, de Marblehead, dans le Massachusetts, ou de Portsmouth, dans le New Hampshire. Sa construction à ossature de bois recouverte de bardeaux est typiquement américaine, mais son entrée adamesque témoigne d'une bonne connaissance des modèles britanniques.
Acacia Grove (1811-1817), à Starr's Point, en Nouvelle-Écosse, est une structure de maçonnerie imposante mais compacte dont le type de plan est similaire. Cependant, ses deux cheminées s'élèvent entre les chambres de l'avant et de l'arrière, et les conduits apparaissent au milieu des arêtes du toit plutôt que dans les murs d'extrémité. Sa sobriété et sa stabilité ne sont pas sans rappeler les maisons des plantations du Sud mais, comme toute bonne conception géorgienne, elle exprime son allégeance aux valeurs britanniques, comme elle l'aurait fait en Virginie ou dans les Carolines avant la révolution.
Haut-Canada (Ontario)
Avant le début de l'immigration des Loyalistes au Canada, le Haut-Canada était peu peuplé. Leur installation au pays constitue seulement une partie des moyens utilisés par les autorités britanniques pour développer la région. Cataraqui (Kingston) fait l'objet d'un relevé en octobre 1783 afin d'accueillir un groupe de Loyalistes de New York. Newark (Niagara-on-the-Lake) est fondée en 1792 pour devenir la capitale du Haut-Canada. Ces villes loyalistes, tout comme de nombreuses autres, sont conçues sur le modèle d'une grille régulière déployée avec une rigidité toute militaire. De la même façon, les plans de la ville de York (Toronto), qui remplacera Newark à titre de capitale en 1796, sont conçus en 1793 sans tenir compte de la topographie.
Pendant une bonne partie du XIXe siècle, la plupart des habitants du Haut-Canada vivent dans des maisons en rondins ou, moins souvent, dans des maisons à charpente de bois ou des maisons de maçonnerie. Les constructeurs canadiens-français contribuent à faire connaître les techniques de construction avec lesquelles ils sont familiers, et les loyalistes, qui viennent de diverses régions des États-Unis, en font autant. Cependant, la plupart des propriétaires ambitionnent de se construire les modèles géorgiens proposés par l'élite. Comme dans les autres régions, le vocabulaire classique géorgien et, plus particulièrement, le style palladien, constituent les symboles de la structure du pouvoir colonial britannique et contribuent à sa légitimation, car ils sont associés au bon goût et au raffinement culturel.
The Grange, la maison de brique construite par D'Arcy Boulton fils, à Toronto (1817-1818, agrandissement vers 1840 et 1880), représente l'une des conceptions palladiennes les mieux réussies de cette période. Les trois baies centrales de la façade à cinq baies font saillie vers l'avant, et un large fronton classique les surplombe. La base de l'élévation est peu élevée, comme dans les villas à deux étages de Palladio, le toit en croupe présente une faible pente et la sobriété générale des détails permet à l'ensemble de respirer aisément. Au début du XIXe siècle, la plupart des maisons de l'élite s'inspirent de modèles similaires. La Maison William-Campbell (1822), située à Toronto, en est un autre exemple remarquable, et on en trouve plusieurs autres spécimens à Kingston et à Perth.
Prairies
Au cours de cette période, le développement des Prairies est sous le contrôle des compagnies qui font le commerce de la fourrure et qui, au début, ne favorisent pas la colonisation permanente de la terre sur laquelle on leur a accordé des droits de commerce. La Compagnie de la Baie d'Hudson et la Compagnie du Nord-Ouest embauchent plusieurs artisans de Québec pour construire des postes de traite, contribuant ainsi à la dissémination des techniques de construction venues de la Nouvelle-France, comme le colombage pierrotté et le pièce sur pièce avec tenon à coulisse, ou la technique dite du « poteau à rainures ».
Lower Fort Garry, construit en 1830 au bord de la rivière Rouge au Manitoba, offre un bel exemple d'architecture de poste de traite, même s'il n'est pas tout à fait typique étant donné l'utilisation de la maçonnerie. C'est un complexe de bâtiments à l'organisation hiérarchique très claire, entouré de murs de maçonnerie droits dont les angles sont munis de bastions circulaires. L'édifice principal, appelé la grande maison (1831-1832), est une structure de maçonnerie au toit en croupe à forte pente, et elle est entourée sur trois côtés d'une véranda dont les caractéristiques rappellent l'architecture domestique québécoise. On peut observer des exemples de poteaux cannelés dans la récente reconstruction de la Maison Carlton, à Carlton, en Saskatchewan. Un poste de traite construit par la Compagnie de la Baie d'Hudson en 1810 présente un aménagement formel d'édifices entourés d'une palissade en bois dont les coins sont munis de bastions, comme au Lower Fort Garry, mais entièrement fait de bois.
Le développement de la région de la rivière Rouge est stimulé par lord SELKIRK, qui fait l'acquisition d'une portion importante de terre de la Compagnie de la Baie d'Hudson en 1811, afin de poursuivre sa mission philanthropique en faveur des dépossédés de l'Écosse et de l'Irlande du Nord. En dépit des conflits avec la Compagnie du Nord-Ouest, la colonisation de la rivière Rouge se poursuit, et des documents montrent que la technique du poteau à rainures, qui est depuis connue sous l'appellation de pièce sur pièce à tenons en coulisse (plus loin, on y fait référence en tant que « charpente de bois de la Rivière rouge »), est la technique de construction la plus commune. Dans cette technique, les poteaux reposant sur un seuil, fournissent un cadre solide dont les baies sont remplies de pièces de bois horizontales et munies de languettes glissant dans les rainures pratiquées dans les côtés de chaque poteau. Ces maisons ne comportant généralement qu'un seul étage, elles ont souvent une mansarde dont le plancher est fixé dans les murs, créant ainsi un surcroît dans le style québécois. La Maison Pierre Delorme (vers 1857-1871), préservée dans le Parc provincial de Saint-Norbert, en est un excellent exemple.
Le couvent de deux étages des Soeurs grises de Saint-Boniface, au Manitoba (1846-1851), est aussi une construction à charpente de bois de la rivière Rouge. Les lucarnes fixées à la base du toit et le grand pan de mur au-dessus des fenêtres supérieures de l'élévation révèlent encore une fois l'existence d'un surcroît.
On ne rencontre pas souvent le vocabulaire géorgien dans les Prairies au cours de cette période mais, quand on cherche des références aux institutions britanniques, des modèles et des types communs dans l'Est du Canada font surface. Vers le milieu du siècle cependant, la popularité de la renaissance des styles pratique de larges brèches dans l'autorité que le vocabulaire classique a héritée de la Renaissance, et d'autres références commencent à émerger dans l'ensemble du Canada colonial.
Renaissances stylistiques
La renaissance des styles, comme le néoclassicisme, le style néogrec et le néogothique établissent un type particulier de relation avec la passé. Chacun d'entre eux traite l'architecture d'une période distincte comme s'il s'agissait d'un système rigide qu'on pouvait adopter en fonction des associations qu'il engendre dans l'esprit des usagers. Au Canada, un nombre important d'édifices suivent rigoureusement les codes d'un style de renouveau particulier, mais plus souvent encore les éléments architecturaux sont utilisés comme des fragments, exacts sur le plan archéologique, intégrés à des compositions qui, autrement, respectent les conventions géorgiennes. L'édifice colonial de St. John's, à Terre-Neuve, est un bon exemple de cette pratique. Le porche, inspiré des temples antiques, reflète une certaine connaissance archéologique. Les marches rappellent celles d'un temple, et les chapiteaux ioniques ont des volutes à l'avant et à l'arrière uniquement, plutôt que sur les quatre côtés.
L'Église presbytérienne St. Andrew (1831, flèche remplacée en 1854) à Niagara-on-the-Lake représente un exemple plus complet du style néogrec. Sa façade est aménagée tel le devant d'un temple et présente une colonnade dorique autoportante à la manière antique. Les colonnes n'ont pas de base, les chapiteaux ne présentent qu'une simple échine (moulure arrondie) et l'abaque est un simple élément carré. Le toit, dont le pignon forme un fronton classique, intègre ce fragment archéologique au reste de l'édifice.
Néoclassicisme
La période néoclassique, qui couvre surtout les années 1830, 1840 et 1850, est la période au cours de laquelle un nombre important d'architectes de la Grande-Bretagne immigrent au Canada. Parmi eux, on trouve Henry Musgrave Blaiklock (1790-1843) à Québec, George Browne (1811-1885), qui vit tour à tour dans les villes de Québec, de Montréal et de Kingston, John Ostell (1813-1892) à Montréal, Thomas Rogers (vers 1780-1853) à Kingston et à Toronto, William Thomas (1799-1860) à Toronto et John Wells (1789-1864) à Montréal.
Le style néoclassique est rapidement adopté pour les édifices publics, tant par l'administration municipale que gouvernementale. L'hôtel de ville monumental de Kingston (George Browne, 1843-1844, dôme remplacé en 1909) est un excellent exemple de cette évolution. L'avant du temple placé au centre de sa longue façade est très bien intégré. Les colonnes toscanes simples, la corniche qui court sur toute la façade, les pilastres aux deux extrémités, le bossage, les arches autour des fenêtres, tous ces éléments sont conçus de façon claire, simple et puissante.
À Toronto, l'Osgoode Hall, construit en plusieurs étapes (1833, 1844-1845, 1857-1860), est également un bel exemple de l'interprétation néoclassique du vocabulaire géorgien. Cependant, l'exemple le plus élégant est probablement celui de la Banque de Montréal (1845-1848) sur la Place d'Armes à Montréal, dont la façade a été conservée avant l'addition de l'édifice Beaux-arts de McKim, Mead et White. On peut apprécier l'accent mis sur l'ordre et le vocabulaire dans le renouveau classique en comparant cette façade à l'édifice précédent de la Banque de Montréal (1818-1819), près duquel il a été érigé.
Néoclassicisme québécois
Au Québec, le néoclassicisme est fortement associé à l'Abbé Jérôme Demers (1774-1853) et à son architecte, Thomas Baillairgé (1791-1859). Demers, vicaire général du diocèse, donnait un cours d'architecture au Séminaire de Québec qui visait à adapter les idées de Jacques-François Blondel au contexte québécois, applicant ainsi des principes néo-classiques à l'architecture héritée de la Nouvelle-France. Le Séminaire de Nicolet (1826-33) est conçu par Demers lui-même, alors que son « architecture » (le fronton, la corniche, le portail et le beffroi) l'est par Baillairgé.
Cependant, dans les années 1830, les réalisations de Baillairgé deviennent plus élaborées, en partie sous l'influence des architectes britanniques établis dans la ville. Ses réalisations pour le Parlement de Québec (construit de 1831 à 1850, incendié en 1854) et la Cathédrale Notre-Dame de Québec (construite en partie en 1843-44) révèlent son assimilation du vocabulaire architectural contemporain.
Néogothique
Le renouveau gothique devient graduellement le courant le plus important de l'architecture canadienne dans la seconde moitié du XIXe siècle. Le néogothique en Grande-Bretagne évolue en partie parce que les édifices gothiques sont considérés comme la forme même de l'architecture antique de la Grande-Bretagne. Il passe d'une tendance décorative et picturale à une meilleure compréhension archéologique des édifices médiévaux et, par le biais de cette compréhension, il atteint un rationalisme structural étayé par une philosophie morale. Les différentes phases de la renaissance gothique ont toutes un effet sur l'architecture canadienne.
Églises néogothiques
Le plus ancien édifice de prestige à adopter le vocabulaire gothique est l'église Notre-Dame (1823-29; tours terminées en 1843) à Montréal. Conçue par James O'Donnell (1774-1830), architecte établi à New York, l'église possède un plan rectangulaire simple de type géorgien, mais son vocabulaire architectural : arc en tiers-point, supports polygonaux, créneaux est entièrement emprunté au gothique.
Bien que la renaissance gothique continue de connaître un certain succès auprès de l'Église catholique romaine, elle ne deviendra jamais son style privilégié. Le néo-baroque, offrant des associations avec l'Italie, sera avantagé. À l'opposé, pour l'Église anglicane, le gothique devient rapidement la référence la plus courante. La cathédrale Christ Church (Frank Wills, corrections apportées par William Butterfield, 1845-1853; flèche reconstruite en 1911-1912) à Fredericton, au Nouveau-Brunswick, reflète les idées du mouvement ecclésiologique de Grande-Bretagne. Non seulement l'édifice présente des détails ornementaux bien assimilés, mais il se distingue également par des espaces complexes qui s'expriment à l'extérieur comme s'il s'agissait de volumes distincts. Même l'entrée est traitée comme un volume indépendant juxtaposé au corps de l'église.
Les principes du mouvement ecclésiologique sont également suivis dans les églises de paroisse telles que St. Stephen's-in-the-Fields (1858, restaurée en 1865) à Toronto, et d'autres Églises protestantes y adhèrent rapidement. Ces principes sont également appliqués à de petites églises en bois bâties des Maritimes jusqu'en Colombie-Britannique, dont le développement connaît une expansion extraordinaire due à la Ruée vers l'or à la fin des années 1850. De cette façon, la renaissance gothique supplante complètement le vocabulaire géorgien, dont l'universalité n'avait pas été remise en question jusqu'aux années 1830. Au milieu du XIXe siècle, un langage architectural universel étant devenu impossible, l'éclectisme typologique, qui définit le style approprié à donner à chaque type d'édifice, prend la relève : le classicisme devient associé aux banques, le gothique, aux églises anglicanes et protestantes, le baroque, aux églises catholiques romaines, etc.
Édifices du Parlement d'Ottawa
La popularité du gothique atteint un point culminant avec l'érection des édifices du Parlement, à Ottawa, qui est choisie comme capitale du Canada en 1857. À cette époque, les édifices se doivent d'adopter le « style gothique civil » que l'on peut observer, par exemple, dans les hôtels de ville flamands de la fin du Moyen Âge. Cependant, ils représentent aussi une étape vers la combinaison de références et de styles multiples dans un seul et unique projet. La composition de l'ensemble du complexe peut être comparée au Campidoglio de Michel-Ange à Rome, dans lequel le siège du gouvernement se trouve à l'extrémité d'une cour et les édifices assortis se trouvent sur deux côtés opposés. L'édifice du Parlement (Thomas Fuller et Chilion Jones, 1859-76; incendié en 1916), dont la tour monumentale se trouve au milieu de la façade, et les immeubles ministériels disposés de façon symétrique (Thomas Stent et Augustus Laver, 1859-77) établissent un ensemble de relations comparable, mais le caractère formel de l'ensemble est contrebalancé par la multitude d'éléments gothiques, par la maçonnerie polychrome et par certaines dissemblances dans la composition des deux derniers édifices.
La bibliothèque du Parlement, qui constitue la seule partie ayant survécu à l'édifice principal d'origine, illustre clairement cette approche synthétique en combinant la bibliothèque de type circulaire, concept classique bien établi, et l'extérieur d'une salle capitulaire médiévale, édifice également circulaire. Les architectes multiplient les lucarnes en tiers-point, les pignons et les pinacles dans la mesure du possible, pour créer la masse picturale qui domine, encore aujourd'hui, la Colline parlementaire lorsqu'on la regarde d'un point éloigné.