Argenterie
L'argenterie existe au Canada depuis l'époque coloniale. Les classes dirigeantes du régime français possèdent une quantité considérable d'objets en ARGENT apportés dans leurs bagages ou importés de France. Les premières pièces fabriquées en NOUVELLE-FRANCE datent du premier quart du XVIIIe siècle. On les doit à des artisans qui ont appris leur art en effectuant un APPRENTISSAGE auprès d'orfèvres formés en France. Parmi les orfèvres célèbres à Montréal et à Québec durant le régime français figurent Paul Lambert, Roland Paradis, Jacques Pagé et Jean-François Landron.
Comme très peu d'objets en argent fabriqués dans la colonie sont parvenus jusqu'à nous, il est difficile d'estimer combien il s'en est produit. L'argent, obtenu en faisant fondre des pièces de monnaie ou d'autres objets en argent, est toujours rare. Certains objets, fabriqués localement, ont sans aucun doute été perdus lorsqu'ils ont été refondus pour produire des pièces de monnaie, ou ils ont été détruits dans des incendies ou ramenés en France. En se basant sur les ustensiles conservés au fil des ans, on peut déduire que les cuillères sont fabriquées en grande quantité ainsi que les fourchettes et les cuillères à ragoût à long manche. Ces objets pèsent très lourd et imitent le joli style français du XVIIIe siècle, avec le bout du manche incurvé vers le haut. Il est alors d'usage de placer la cuillère et la fourchette face contre table. C'est pourquoi le dos de la cuillère de service est souvent gravé d'un motif décoratif. Les initiales du propriétaire sont souvent gravées au dos, près du poinçon de l'orfèvre.
Pour ce qui est de la vaisselle d'argent, un grand nombre de petits gobelets portent le poinçon d'orfèvres de Québec. Un autre objet populaire est l'écuelle, un bol à deux anses pour servir les ragoûts et les soupes. Par contre, on trouve peu d'assiettes, de taste-vin, de chandeliers et de salières, bien qu'il nous en reste assez pour attester qu'ils ont été fabriqués localement, de même que les tabatières et les boucles. Ces pièces d'argenterie destinées à la vie de tous les jours, bien que peu originales dans leur forme et de style sobre, sont habilement exécutées. La décoration consiste en de simples bandes gravées ou en relief ou en petits motifs de coquillage ou de feuille. Les armoiries ou le nom du propriétaire sont parfois partie intégrante de l'objet.
Sous le régime anglais, les orfèvres continuent de fabriquer de l'argenterie selon les formes traditionnelles françaises. Cependant, à mesure que la colonie se détache de la France comme source d'approvisionnement, les artisans locaux reçoivent à l'occasion des commandes de pièces importantes, comme des soupières ou des aiguières. Les pièces qui nous restent témoignent de l'exceptionnelle qualité de l'art des orfèvres, tels Ignace-François Delezenne, Jacques Varin et François Ranvoyzé (l'un des plus grands orfèvres du Québec).
Peu à peu, les importations et l'influence des immigrants britanniques et européens transforment le mode de vie dans la colonie et, par conséquent, l'argenterie qui en est le reflet. L'introduction de l'argent en feuille permet de mettre au point une nouvelle méthode de fabrication de la vaisselle. Au lieu de mouler le récipient à la main, l'orfèvre taille puis réunit les parties séparées pour obtenir une forme cylindrique.
Des années 1780 aux années 1840, les orfèvres canadiens s'inspirent de cette nouvelle technique pour fabriquer des théières, des sucriers, des bols à crème, des coupes et des gobelets dans le style néoclassique, alors à la mode en Grande-Bretagne et en Europe. Ils fabriquent aussi de petits objets, comme des saupoudreuses à poivre et à épices, des râpes à muscade, des passoires à vin, des moutardiers, des tabatières, des burettes, des boucles et des boutons. Les ustensiles en argent comportent principalement des cuillères à servir, des fourchettes, des louches à soupe, à sauce ou à grog de style « Old English » ou « Fiddle », avec le bout du manche incurvé vers le bas. Certaines cuillères sont décorées d'un motif de coquillage ou de gravures à facettes polies, mais, le plus souvent, elles n'en ont pas. Certaines portent les initiales de leur propriétaire en cursives sur le dos du manche. On trouve également des cuillères à thé, des cuillères à tamiser le sucre, des pinces à sucre, des cuillères à sel, à moutarde et à moelle, des brochettes à viande et des ustensiles pour servir le poisson. Les formes évoluent peu avant l'époque victorienne, où les styles plus décoratifs seront la mode.
À Québec, Laurent Amiot est devenu le meilleur orfèvre après Ranvoyzé, et d'excellents artisans suivent leur trace. Pourtant, c'est Montréal qui devient le centre de l'argenterie grâce à sa population croissante et au succès économique de la TRAITE DES FOURRURES. De grands orfèvres viennent de Grande-Bretagne, comme Robert Cruickshank, James Hanna et, plus tard, George Savage. Parmi les orfèvres européens figurent les Arnoldi, les Schindler et les Bohle. Les orfèvres canadiens trouvent également du travail à Montréal, et les plus connus sont Salomon Marion et Paul Morand, tous deux apprentis de l'atelier de renom de Pierre Huguet, dit Latour, né lui aussi au Canada.
Avant la Confédération, Halifax est le troisième centre de l'argenterie le plus important au Canada. Dès 1800, les immigrants britanniques et allemands et les Loyalistes établissent la tradition de cet art en Nouvelle-Écosse. Leurs oeuvres se rapprochent de la production québécoise de l'époque, bien que leurs ustensiles soient souvent plus ornementaux. De rares pièces fabriquées au tout début comprennent un surtout, un encrier et une horloge à dorure d'argent. Un des plus talentueux orfèvres de la Nouvelle-Écosse est probablement Peter Nordbeck, aux côtés de James Langford, de William Veith et, plus tard, de Julius Cornelius et de Michael Septimus Brown. Un grand nombre sont aussi connus pour leurs bijoux (voir BIJOUTERIE ET DE L'ARGENTERIE, INDUSTRIE DE LA), qu'ils sertissent d'or local, de pierres et de coquillages. Chez les Loyalistes établis au Nouveau-Brunswick, des orfèvres s'annoncent également comme bijoutiers et horlogers. Ils font surtout des ustensiles. Dans toutes les provinces de l'Atlantique, l'argenterie est surtout importée. À Terre-Neuve et à l'Île-du-Prince-Édouard, les artisans locaux proposent rarement de fabriquer une pièce d'argenterie.
L'Ontario produit peu d'argenterie faite à la main avant l'avènement de la fabrication à la chaîne. Il semble que les premières pièces fabriquées localement aient été de la main du loyaliste Jordan Post, installé à York (Toronto) en 1787. Des ustensiles datant du début du XIXe siècle portent le poinçon d'orfèvres de Niagara, de Kingston et de Toronto. Il reste peu de pièces de vaisselle connues, à l'exception de grandes coupes commémoratives fabriquées par William Stennett (1829) et Henry Jackson (1838).
Vers les années 1850, les découvertes techniques faites en Angleterre et aux États-Unis ont des répercussions sur le travail de l'orfèvre. De nouvelles techniques de fabrication et l'introduction de la galvanoplastie permettent la production en masse d'articles de table peu coûteux. Les importations augmentent et la production locale d'argenterie devient l'apanage de quelques artisans connus sous le nom de fournisseurs (makers to the trade). La compagnie Robert Hendery, qui deviendra plus tard Hendery and Leslie, est le fabricant le plus important à Montréal. Le poinçon de la compagnie représente un lion rampant dans un ovale et une tête de souverain dans un carré aux coins tronqués. On trouve ce poinçon sur la plupart des pièces d'argenterie produites au Canada pendant la seconde moitié du XIXe siècle, accompagné généralement du nom ou des initiales du négociant pour lequel elles ont été fabriquées. Plus de 100 négociants, dont un en Colombie-Britannique, commandent de l'argenterie auprès de la compagnie Hendery. En 1899, Henry BIRKS and Sons achète Hendery and Leslie et, avec des succursales dans tout le pays, devient la plus grande compagnie d'orfèvrerie au Canada.
À cette époque, caractérisée par l'argent plaqué et la production de masse, les pièces commémoratives, créées individuellement, sont les pièces d'argenterie les plus uniques qui aient été fabriquées au Canada. Des coupes, des médailles, des truelles, des aiguières et des plateaux à servir font l'objet de commandes spéciales pour célébrer une victoire, une occasion ou un talent particulier. On y grave la date, l'occasion qui est soulignée et, souvent, le nom du donateur et du récipiendaire. Un grand nombre de ces objets ainsi que d'autres objets souvenirs sont destinés à être exposés et non à être utilisés, ce qui explique qu'ils aient été conservés. Certaines pièces sont décorées de feuilles d'érable et de castors.
Vers le milieu du XXe siècle, les orfèvres recommencent à produire au Canada des pièces faites à la main, généralement sur commande. Ces commandes sont accordées à l'atelier de l'artisan et sont la preuve que le public reprend contact avec les orfèvres. Les grands fabricants et les négociants se gardent toujours la plus grande part du marché de l'argenterie, mais les artisans attirent un intérêt croissant, eux qui allient les techniques et les styles traditionnels pour produire des oeuvres uniques.
Aucune association et aucune régulation officielle ne régissent, avant le XXe siècle, le poinçonnage ou la qualité de l'argent utilisé au Canada. Sous le régime français, les orfèvres utilisent un poinçon à leurs initiales, avec une fleur de lys ou une couronne au-dessus de celles-ci et un motif en forme d'étoile ou de croissant en dessous, le tout inséré dans un cartouche de forme irrégulière. Vers la fin du XVIIIe siècle, les orfèvres québécois ont tendance à placer leurs initiales, en lettres moulées ou cursives, dans un cartouche rond ou rectangulaire. Ils ajoutent parfois un poinçon au nom de la ville. Cette pratique est la même dans les Maritimes, comportant également une tête de souverain, un lion et quelquefois une ancre. À partir de 1820, les orfèvres de Québec utilisent parfois des symboles similaires, de type britannique, et les orfèvres ontariens les imitent un peu plus tard.