Au Canada, le théâtre asiatique remonte à 1933, quand la Chinese United Dramatic Society commence à monter des opéras élaborés en cantonais à Toronto. À son apogée, cette compagnie produit deux spectacles par an qui se distinguent par un foisonnement de costumes luxuriants et font appel à des acteurs professionnels des États-Unis et de Hong Kong pour compléter la distribution locale. La communauté d’origine coréenne ne commence à immigrer au Canada qu’après 1965 et fait ses premières expériences théâtrales au début des années 1980 avec la création de la troupe Kook-dan All (Theatre All), qui monte chaque année des pièces coréennes d’envergure destinées au public torontois.
La communauté philippine
Pour ce qui est de la communauté philippine, le Carlos Bulosan Cultural Workshop (CBCW), fondé en 1982, met l’accent sur les problèmes concrets qu’implique l’adaptation à la vie au Canada. Le CBCW, qui représente au départ l’organe culturel de la coalition nord-américaine contre la dictature de Marcos, est influencé par le théâtre populaire traditionnel des Philippines. La première production de cette troupe, baptisée en l’honneur d’un auteur et militant politique américano-philippin, est Carding (1984, 1986), qui met en scène la vie d’un immigrant philippin en Amérique. Le CBCW, qui joue à la fois en tagal et en anglais, s’efforce de combler le fossé entre les membres de ce groupe ethnique de la première et de la deuxième générations.
Sous l’impulsion de ses principaux membres, la productrice Martha Ocampo, l’auteure et metteure en scène Fely Villasin et l’auteur dramatique Voltaire de Leon, le CBCW monte de nombreux spectacles et ateliers, notamment If My Mother Could See Me Now/Inay Kung Alam Mo Lang, qui décrit les malheurs des personnes travaillant comme domestiques (1989, 1990), Home Sweet Home, qui évoque la violence à l’intérieur de la communauté philippine (1993), et Noong Kapanahunan Ko ... Not in my Time, qui aborde le thème des conflits et de l’incompréhension entre les générations (1994). Le CBCW se lie avec les troupes populaires Ground Zero et The Company of Sirens et est une des rares troupes de théâtre communautaires à avoir réellement atteint un niveau professionnel.
Le Canasian Artists Group
En dehors du milieu philippin, le théâtre reflétant la culture des Canadiens d’origine asiatique se développe de peine et de misère. Le Canasian Artists Group monte Yellow Fever de l’auteur canado-asiatique Rick Shiomi (1983) et F.O.B. de David Henry Hwang (1984), récipiendaire du Prix Obie. Après une éclipse, cette compagnie refait surface en produisant une des premières œuvres de Hwang, The Dance and the Railroad, en 1993. À Vancouver, le Firehall Theatre, centre de rayonnement culturel des Canadiens originaires d’Asie, présente plusieurs pièces de Rick Shiomi telles que Play Ball, Rosie’s Cafe et Yellow Fever ainsi que Powder Blue Chevy de Wen Jee, devant un public réceptif. À Winnipeg, le Prairie Theatre Exchange produit en 1985 la pièce Enemy Graces de Sharon Stearns, qui traite avec délicatesse de l’internement des Japonais durant la guerre.
Les pièces de l’auteur dramatique canado-asiatique le plus connu des années 1980, Rick Shiomi, sont produites aux États-Unis, avant de faire leur marque au Canada. Rares sont les pièces originales d’auteurs canado-asiatiques; mentionnons toutefois Bachelor Man de Winston Kam montée par le Theatre Passe Muraille (1987) et Powder Blue Chevy de Wen Jee, montée par le Firehall Theatre (1990). La troupe Cahoots Theatre Projects présente The Phoenix Cabaret, deux satires politiques mordantes de l’auteur chinois contemporain Xie Min (1986). Enfin, les productions Sansei North produisent Song of the Nisei Fisherman, du dramaturge américain Phillip Kan Gotanda (1987).
Durant les années 1990, M. Butterfly de Hwang, récipiendaire d’un Tony Award, est présentée un peu partout au Canada de 1991 à 1993. Le Young People’s Theatre se lance dans le théâtre asiatique avec Naomi’s Road de Joy Kogawa. Cette pièce, adaptée pour la scène par Paula Wing, obtient beaucoup de succès et est mise en nomination pour quatre prix Dora. Le lancement de Miss Saigon en 1993 favorise l’emploi d’un plus grand nombre de comédiens asiatiques. Toutefois, la pièce soulève des débats enflammés dans les milieux asiatiques. Les protestataires, sous la direction du mouvement populaire Asian ReVisions, accusent Miss Saigon de colporter de vieux stéréotypes raciaux.
Nouveau théâtre canado-asiatique
L’émergence de nouvelles œuvres et de nouveaux auteurs canado-asiatiques demeure relativement lente dans les années 1990. Le Nightwood Theatre contribue à la création des pièces de Beverly Yhap, de Betty Quan et de Jean Yoon grâce à son festival Groundswell. La troupe torontoise Workman Theatre Projects monte la pièce de Terry Watada Tale of a Mask, qui décrit l’isolement, le désespoir et le suicide d’un immigrant japonais (1993). La compagnie multiculturelle Cahoots Theatre Projects inaugure sa saison annuelle de nouvelles pièces Lift Off ‘93! en montant plusieurs œuvres de dramaturges asiatiques dans le cadre de son programme, dont Noran Bang: The Yellow Room de M.J. Kang, présentée lors du festival 3D de Cahoots en automne 1993, qui traite des problèmes propres aux Canadiens d’origine coréenne.
Au cours de sa saison Lift Off ‘94, la troupe Cahoots crée deux pièces asiatiques : Mom, Dad, I’m Living with a White Girl du dramaturge résidant à Edmonton Marty Chan, et Mother Tongue de Betty Quan. La première de ces pièces est produite en 1995 sous la direction de Sally Han. Quant à Mother Tongue, une œuvre dramatique mettant en scène les divisions d’une famille provoquées par l’emploi de différentes langues (le chinois, l’anglais et le langage des signes), elle est finalement produite au Firehall Theatre de Vancouver en 1995. Parmi les autres œuvres de Quan, mentionnons Nancy Chew Enters the Dragon, adaptée pour la radio et diffusée sur le réseau de langue anglaise de la Société Radio-Canada, et The Dragon’s Pearl, produite par le YPT au printemps 1995.
Bien que les pièces Noran Bang, Mother Tongue et Mom, Dad soient de styles différents et abordent des sujets variés, elles s’adressent aux jeunes Canadiens d’origine asiatique coupés de leurs parents en raison de la langue et de leurs valeurs personnelles. Les professionnels au sommet de leur art dans le domaine du théâtre asiatique sont la metteure en scène Sally Han, le scénographe Ange Shang, le chorégraphe Xing Bang Fu et le compositeur Donald Quan. Durant les années 1990, le théâtre canado-asiatique trouve enfin sa voie et ses voix. En 2002, la fu-GEN Asian-Canadian Theatre Company est fondée à Toronto. Parmi ses plus grands succès, citons Banana Boys de Leon Aureus (2005), Singkil de Catherine Hernandez (2007) et Lady in the Red Dressde David Yee (2009).
En 2011, la pièce Kim’s Convenience du dramaturge torontois d’origine coréenne Ins Choi fait ses débuts au Fringe Festival de Toronto. Se déroulant dans un dépanneur du quartier Regent Park de Toronto, la pièce est jouée par le Soulpepper Theatre en 2012, remportant deux Toronto Theatre Critics’ Awards – un pour la prestation de Paul Sun-Hyung Lee dans la catégorie Meilleur acteur dans une pièce et un dans la catégorie Meilleure pièce canadienne – en plus d’être mise en nomination pour un prix Dora Mavor Moore dans la catégorie Nouvelle pièce exceptionnelle. Publiée par House of Anansi Press, la pièce effectue une tournée au Canada entre 2013 et 2014. En octobre 2016, une série télévisée basée sur la pièce Kim’s Convenience est lancée à la télévision de la CBC.