Le 6 juin 1919, le gouvernement fédéral a créé la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada ou Canadien National (CN). Il visait ainsi à intégrer les systèmes ferroviaires privés et gouvernementaux en un seul organisme public (voir Histoire du chemin de fer au Canada). Le mandat du CN était d’offrir des services ferroviaires partout au Canada. Il avait également plusieurs autres fonctions, dont celle de promouvoir l’immigration et la colonisation au Canada. Pour cette raison ainsi que pour stimuler l’augmentation de la main-d’œuvre, le CN a établi son Colonization and Agriculture Department (1919-1963) et sa filiale, la Canadian National Land Settlement Association (1925-1961). Les deux entités ont contribué à des migrations de population et à l’établissement de nouvelles fermes dans l’ouest du Canada (voir aussi Histoire de la colonisation des Prairies canadiennes).
Entente ferroviaire
L’entente ferroviaire de 1925 est une manière que le gouvernement libéral de William Lyon Mackenzie King trouve de répondre aux besoins en main-d’œuvre du Canada. Comme les chemins de fer contribuent à l’immigration et à la colonisation, le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada conclut une entente avec les deux principales compagnies ferroviaires du pays : le Canadien Pacifique (CP) et le CN. L’entente donne au CP et au CN le droit de recruter des agriculteurs et d’autres travailleurs agricoles immigrants de l’Europe centrale et de l’Est.
L’entente donne à des milliers d’immigrants l’occasion de venir au Canada. Toutefois, certaines de ses parties sont annulées par le fédéral en 1930. Le gouvernement conservateur de R.B. Bennett, nouvellement élu, annule le programme en réaction à la crise des années 1930 et en raison de pressions exercées par des groupes et organisations travaillistes, qui s’opposent à une forte immigration de certaines parties de l’Europe. Cependant, la réglementation sur l’immigration demeure largement en place jusque dans les années 1950, ce qui permet à la Canadian National Land Settlement Association (CNLSA) et à son équivalent du CP de continuer à mener leurs activités jusqu’en 1961.
Canadian National Land Settlement Association
En réaction à l’entente ferroviaire de 1925, le CN crée une division pour la colonisation au sein de son Colonization and Agriculture Department. La nouvelle division se nomme Canadian National Land Settlement Association (CNLSA). Établie le 9 mars 1925, elle fait partie du programme du CN visant à promouvoir l’immigration et la colonisation au Canada. Ces derniers augmentent la circulation ferroviaire et aident la compagnie à utiliser une partie des terres concédées par le gouvernement fédéral. Elle trouve des terres, puis des fonds sont remis aux immigrants pour acheter celles-ci ainsi que de l’équipement et des animaux d’élevage.
Il est possible que le CN, comme il est financé par l’État, ait été intéressé par l’expansion de la nation rendue possible par l’immigration. L’immigration présente toutefois avant tout des avantages économiques considérables pour la compagnie. En effet, les nouveaux immigrants permettent au CN de toucher des revenus supplémentaires lorsqu’ils achètent des terres qu’il vend. Ils augmentent également le nombre de passagers et la quantité de marchandises transportés par ses trains.
La CNLSA aide des milliers d’immigrants à s’établir au Canada. Un rapport publié par l’association en 1934 indique que 177 000 personnes sont venues grâce à elle entre 1925 et 1934, dont 8 000 familles. Par ailleurs, elle encourage les résidents du Canada à déménager à l’intérieur du pays.
Le saviez-vous?
De nombreux immigrants européens en route vers les fermes de l’ouest du Canada s’arrêtent dans les hangars de l’immigration de Winnipeg rattachés aux gares du CN. Le bureau d’accueil de la CNLSA, la salle 100, y est également situé.
Le saviez-vous?
La CNLSA fait concurrence à l’association pour la colonisation du Canadien Pacifique, la Canadian Colonization Association, active de 1923 à 1961.
Activités
Les activités de la CNLSA se résument principalement aux points suivants :
- Immigration (en collaboration avec différentes compagnies de navigation);
- Colonisation;
- Développement agricole.
Le département se divise en quatre régions. Montréal comporte un bureau central, tandis que des bureaux de district se trouvent à Toronto, à Québec et à Halifax. Ils sont chargés de gérer l’est du Canada. Un bureau régional situé à Winnipeg est responsable de l’ouest du Canada. Saskatoon, Edmonton et Prince George ont également des bureaux de district pour cette région. Aux États-Unis, un bureau se trouve à St. Paul, au Minnesota. Le bureau européen, pour sa part, est situé à Londres, en Angleterre, et des succursales plus petites sont basées dans d’autres parties du Royaume-Uni et de l’Europe (notamment à Liverpool, à Glasgow, à Oslo, à Copenhague, à Rotterdam, à Göteborg, à Varsovie et à Zagreb).
Le bureau européen principal, à Londres, évalue et achemine les dossiers d’immigrants jugés convenables pour le Canada, et communique avec ces personnes. Des agents délivrant des certificats établissent également des relations avec les compagnies de navigation. Ces agents se fient à divers critères du Continental Family Settlement Programme du CN. (Le mot « Continental » renvoie en vérité aux immigrants « non préférés » tels que définis dans l’entente ferroviaire de 1925.) Les lignes directrices du CN organisent les immigrants en groupes (notamment en fonction de la taille de leur famille et de leur nationalité) et des quotas sont attribués à certaines origines ethniques. Les bureaux canadiens, pour leur part, ont des tâches plus variées (qu’ils accomplissent grâce à 400 agents sur le terrain et sur place travaillant à temps partiel). Parmi celles-ci, on compte :
- diffuser des renseignements sur le Canada par des brochures, des conférences, la radio et la télévision;
- trouver des fermes à mettre en vente, les inscrire et s’occuper de leur achat;
- rencontrer des immigrants et les aider à s’établir sur ces fermes.
Le CNLSA entretient également des liens étroits avec diverses organisations culturelles au Canada et à l’étranger, notamment la Polish Catholic Immigration Society, la British Immigration and Colonial Society et la German Baptist Society. Elle s’associe également à plusieurs organisations ukrainiennes, dont la Ukrainian Immigration and Colonization Association et la Ukrainian Immigrants' Welfare Association. Ces réseaux aident la CNLSA à promouvoir l’immigration canadienne.
Archives
Le Colonization and Agriculture Department du CN et la CNLSA entretiennent une étroite association pour faire venir des immigrants au Canada. Comme la CNLSA fait pratiquement partie du département, les archives des deux entités sont souvent entremêlées. Les archives administratives et opérationnelles permettent de documenter les efforts du CN pour trouver des colons, les installer sur des terres et suivre leurs progrès. Parmi les documents, on compte des rapports, des dossiers de politiques et de correspondance, des dossiers sur des personnes et des organisations (normalement identifiées en fonction de leur origine ethnique), des rapports sur les progrès des collectivités, des propositions de colonisation, des dossiers d’expédition, des documents traitant de relations avec divers gouvernements et des copies de rapports annuels et d’autres publications.
Les dossiers des immigrants sont particulièrement intéressants. Ils comprennent un questionnaire de candidature qui précise leur nationalité, leur langue, leur religion, leur âge et les noms des membres de leur famille; une carte d’identité; des états de service pour les familles, notamment le nom de la compagnie de navigation et du navire ayant permis leur traversée au Canada; des reçus; de la documentation sur la situation géographique de leurs terres au Canada; et des correspondances variées.
Lettre de Mijo Silobodec :
« Cher monsieur, je vous écris pour remercier votre département de m’avoir aidé à obtenir mes terres… Ma femme et moi aimons beaucoup ce pays et nous souhaitons nous y installer pour de bon.
Signé : Mijo Silobodec. »
Cet extrait est tiré d’une lettre écrite en 1936 au Department of Colonization and Agriculture du CN. La famille Silobodec fait partie des milliers à immigrer au Canada entre les années 1920 et le début des années 1960.
(avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada / e011000582-v8)
Conséquences pour les Premières Nations
Avant l’arrivée de nouveaux immigrants à la fin des années 1920, le gouvernement fédéral réduit systématiquement les revendications territoriales autochtones. Il le fait par la Loi sur les Indiens en 1876 et par l’adoption de plusieurs traités entre 1871 et 1921. Les traités ont d’immenses répercussions sociales, économiques et culturelles sur les Premières Nations. En effet, ils permettent la création de réserves, d’écoles et d’autres instruments d’assimilation qui ont des conséquences dévastatrices sur les modes de vie traditionnels autochtones. Au moment où la CNLSA recrute activement des immigrants pour l’ouest du Canada, la plupart des Autochtones ont déjà été retranchés dans des réserves. Les terres autrefois occupées par les Premières Nations sont considérées comme vacantes, ce qui permet au CN (et au ministère de l’Immigration fédéral) de présenter les provinces des Prairies et la Colombie-Britannique en grande partie comme des endroits où les terres sont inoccupées et peuvent être achetées et exploitées (voir Histoire de la colonisation des Prairies canadiennes). Dans de nombreux cas, plusieurs solitudes coexistent : des immigrants de différentes nationalités sont invités à « coloniser » divers endroits tant qu’ils demeurent regroupés et à l’écart de ces communautés ethniques se trouvent les réserves des Premières Nations.
Dernières années de la CNLSA
Du milieu des années 1930 au milieu des années 1940, la CNLSA consacre plus de temps à déplacer des gens à l’intérieur du Canada. De la fin de la Deuxième Guerre mondiale à la fin des années 1950, la CNLSA contribue à transporter de nouveaux immigrants vers plusieurs parties du Canada. Ceux-ci proviennent de diverses régions européennes ravagées par la guerre (voir Immigration au Canada). Un rapport annuel publié par la CNLSA à la fin des années 1950 indique que, dans le cadre de ses activités, elle a assisté plus de 1,1 million de personnes (sur environ 2,3 millions de nouveaux arrivants au Canada en tout) et aidé plus de 71 000 familles d’agriculteurs à s’installer.
Cependant, à la fin de 1961, le gouvernement fédéral décide que le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration gérera désormais tous les programmes et activités d’immigration du pays. Il met donc fin à sa collaboration en la matière avec les compagnies ferroviaires. Cette décision ainsi qu’une restructuration du CN signent la fin des activités de colonisation de la compagnie. Le CN ferme sa salle de réception des immigrants à Winnipeg en 1964 et se défait de toutes ses archives.
Archives
Au milieu des années 1960, la CNSLA n’existe plus, mais de nombreuses archives, notamment des photos et des listes documentant l’établissement de familles, sont acheminées à Archives publiques du Canada. Ces archives sont actuellement conservées par Bibliothèque et Archives Canada. Certaines livrent des renseignements sur les fermes et les maisons de ferme construites par les immigrants de l’ouest du Canada. D’autres rendent compte de l’installation de familles immigrantes de 1920 à 1940. Elles contiennent des photos des familles ainsi que des renseignements plutôt détaillés sur celles-ci, notamment les noms de leurs membres, leur pays d’origine, leur langue et leur situation géographique. Les photos d’archives de la CNLSA offrent également aux chercheurs des renseignements sur les gens et les tendances des colonies agricoles dans l’ouest du Canada. Ces archives constituent des sources historiques d’importance puisque les données des recensements des années 1930 n’ont pas encore été publiées (au moment d’écrire ces lignes).