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Le Canada et la campagne de la Rhénanie

La campagne de la Rhénanie (du 8 février au 24 mars 1945) compte parmi les dernières grandes campagnes européennes de la Deuxième Guerre mondiale. Au cours de ce qui constitue l’un des combats les plus acharnés de la guerre, la Première Armée canadienne et la Neuvième Armée américaine repoussent les Allemands jusqu’au Rhin. Pour l’armée canadienne, la première phase consiste en l’opération Veritable (du 8 au 21 février), une attaque sur un terrain inondé dans la forêt de Reichswald. La deuxième phase, l’opération Blockbuster (du 22 février au 10 mars), constitue une attaque exténuante dans la forêt de Hochwald. Les Canadiens participent également à l’opération Plunder (du 23 mars au 1er avril), un assaut sur le Rhin et l’expansion de la tête de pont, ainsi qu’à l’opération Varsity (24 mars), un assaut aéroporté. Sous le commandement du général Harry Crerar, la Première Armée canadienne livre de rudes batailles dans les forêts de Reichswald et de Hochwald, préparant ainsi la traversée du Rhin par les Alliés et leur entrée en Allemagne. Plus de 5 300 Canadiens sont tués, blessés ou capturés pendant cette campagne.

La bataille de l’Escaut

Contexte

Le 7 novembre 1944 marque la fin de la campagne de l’Escaut. La Première Armée canadienne libère l’estuaire de l’Escaut et ouvre le port d’Anvers à la marine marchande alliée. Pendant les trois mois suivants, soit jusqu’au 8 février 1945, les Canadiens entrent dans une phase d’inactivité relative.

Cette période, surnommée « l’hiver sur la Meuse », se caractérise par des patrouilles agressives visant à donner à l’ennemi l’impression qu’une attaque imminente se prépare. C’est aussi une occasion de remplacer les hommes et le matériel perdus lors des batailles de l’Escaut.

Adolf Hitler, cependant, prévoit autre chose. Le 16 décembre, l’armée allemande lance une attaque-surprise massive à travers les Ardennes. Son objectif consiste à scinder les armées anglo-canadiennes déployées au nord des armées américaines au sud, puis à prendre Anvers. La bataille des Ardennes marque un revers pour les Allemands, qui y mènent leur dernière grande offensive à l’ouest. Cependant, elle retarde l’offensive hivernale alliée jusqu’en février 1945.

Le fed-maréchal Bernard Montgomery commande le 21e groupe d’armées, composé à l’époque de la Première Armée canadienne, de la Deuxième Armée britannique et de la Neuvième Armée américaine. Disposant d’effectifs et de matériels largement supérieurs, Montgomery veut épuiser l’ennemi à l’ouest du Rhin en lui livrant une gigantesque bataille d’usure.

La Deuxième Armée britannique fixe les Allemands qui lui font face le long de la Meuse et planifie une traversée ultérieure du Rhin. Pendant ce temps, la Première Armée canadienne du général Harry Crerar attaque par le nord et la Neuvième armée américaine attaque au sud, dans une vaste manœuvre en tenaille. L’effectif de la Première Armée canadienne s’élève à près de 450 000 Canadiens, Britanniques et d’autres nationalités, ce qui représente la plus grande force jamais commandée par un Canadien.

3rd Super Heavy Regiment

Opération Veritable

L’armée anglo-canadienne du général Crerar se heurte à trois lignes d’obstacles majeurs dans son avancée. La première constitue une série d’avant-postes puissants, suivie par le Mur ouest ou la ligne Siegfried qui traverse la forêt de Reichswald. La dernière correspond à la position de repli de Hochwald, dans la forêt de Hochwald, couvrant l’approche finale du Rhin à Xanten. Chaque ligne se compose de fossés antichars, de champs de mines, de bunkers d’armes en béton et d’obstacles antichars appelés « dents de dragon ». Les villages situés entre les lignes sont fortement fortifiés.

Une force allemande puissante, disposant d’importantes réserves, bloque l’avancée des Alliés. L’étroitesse du front entre la Meuse et le Rhin amène le général Crerar à confier la phase initiale au XXXe Corps d’armée britannique, commandé par le lieutenant-général Brian Horrocks. Il lui confie également le contrôle opérationnel des 2e et 3e Divisions d’infanterie canadienne pour la bataille. Le XXXe Corps compte alors une division blindée, six divisions d’infanterie et trois brigades blindées. Une fois la Reichswald dégagée, le 2e Corps canadien doit entrer sur la ligne par la gauche.

Canadian Scottish Regiment

À 10 h 30, le 8 février 1945, l’opération Veritable, la première phase de la bataille du Rhin, est lancée en direction sud-est depuis Nimègue. Précédées d’un barrage d’artillerie intense et d’un appui aérien, quatre divisions, dont la 2e Division canadienne sur la gauche, lancent l’attaque initiale. Des chars d’assaut Sherman ouvrent la voie, mais ils peinent à avancer dans la boue causée par les conditions météorologiques et les bombardements. Les Allemands font également sauter des digues le long du Rhin, inondant une vaste étendue de terrain dans le secteur nord.

Cet après-midi-là, la 3e Division entre dans la bataille par la gauche et traverse le paysage inondé à bord de véhicules amphibies Buffalo blindés et chenillés. Cela rappelle aux soldats de la 3e Division leur surnom de « rats d’eau », dû aux combats dans les polders de l’Escaut l’automne précédent, le ravitaillement s’effectuant par des véhicules DUKW amphibies et chenillés, mais non blindés.

Le 10 février, les Canadiens franchissent la ligne Siegfried et, après trois jours de violents affrontements, libèrent la forêt de Reichswald. La tâche suivante consiste à traverser le bois Moyland, une petite forêt au-delà de la Reichswald. Ils mettent une semaine pour s’emparer de cette position lourdement fortifiée. Entre-temps, le front s’élargit suffisamment pour permettre au IIe Corps canadien de pénétrer la ligne par la gauche le 15 février.

L’obstacle suivant consiste en une route défendue entre Goch et Calcar, perpendiculaire à l’avancée. Le 19 février, la Royal Hamilton Light Infantry et l’Essex Scottish lancent l’attaque à bord de Kangaroo, des véhicules blindés de transport de troupes improvisés, fabriqués à partir de chars d’assaut Ram canadiens. Un escadron de chars Sherman du régiment blindé Fort Garry Horse appuie chaque bataillon. L’attaque se heurte immédiatement aux tirs des canons de 88 mm et des chars d’assaut.

Le sol détrempé ne fait qu’aggraver la riposte allemande. Plusieurs chars d’assaut et Kangaroo s’enlisent dans la boue. Les Canadiens se retranchent. Cette nuit-là, les Allemands contre-attaquent et prennent d’assaut certaines positions canadiennes. Le lendemain, le Royal Regiment of Canada et le 3e escadron du régiment Fort Garry Horse viennent en aide aux bataillons assiégés.

Après une bataille acharnée et meurtrière, les Allemands restants se retirent le matin du 20 février. L’opération Veritable est terminée; l’opération Blockbuster suit. Mais il faut d’abord quelques jours pour se reposer, récupérer et se ravitailler.

Opération Blockbuster

L’opération Blockbuster commence à 3 h 45, le 26 février 1945. Les 2e et 3e Divisions canadiennes ouvrent le passage vers la forêt de Hochwald, attaquant sur un front de 2750 mètres derrière un barrage massif. Une longue ouverture, connue sous le nom de trouée de Hochwald, traverse le centre de la forêt. Elle permet le passage de la ligne de chemin de fer Goch-Xanten, essentielle à la progression future du IIe Corps vers le Rhin.

Alors que les Canadiens progressent, le Queen’s Own Rifles attaquent Mooshof, un complexe agricole fortement défendu. Pendant l’affrontement, le sergent Aubrey Cosens neutralise une contre-attaque allemande et libère trois bâtiments de ferme. Une balle tirée par un tireur embusqué le touche mortellement alors qu’il se dirige vers son commandant de compagnie pour lui rendre compte de la situation. Il reçoit la Croix de Victoria à titre posthume.

Devant l’avance des Canadiens, les Allemands se retirent vers les positions qu’ils ont préparées. À l’approche de la nouvelle ligne, les Canadiens font face à des tirs d’artillerie et de mortiers ennemis intenses, suivis de contre-attaques vigoureuses. Mais les Allemands, subissant de lourdes pertes, sont forcés de reculer.

Le 27 février, à l’aube, des unités de la 4e Division blindée canadienne entament l’assaut dans la trouée. Elles parviennent à percer les dernières lignes de défense allemandes sur le Rhin, mais font face à une résistance acharnée. L’ennemi piège les Canadiens dans un passage étroit, stoppant net leur avancée. Une nouvelle attaque le lendemain échoue et ralentit les opérations pendant trois jours.

Le 1er mars, la 6e brigade d’infanterie canadienne prend position. C’est le major Fred Tilston, du régiment Essex Scottish, qui mène la compagnie d’avant-garde. Au cours de l’assaut initial, le major Tilston est blessé trois fois, mais il continue de diriger ses hommes jusqu’à ce que la perte de sang l’oblige à céder le commandement. Il perd ses deux jambes et reçoit la Croix de Victoria pour sa bravoure.

La 4e Brigade blindée se dirige vers le Rhin avec son infanterie à bord de Kangaroo. Les contre-attaques allemandes freinent sa progression, et des combats plus intenses s’ensuivent. Finalement, le 8 mars, elle parvient à franchir la forêt de Hochwald et à capturer la ville de Xanten qui se trouve juste derrière.

Queen's Own Cameron Highlanders

Opération Plunder

Maintenant que les Alliés ont atteint le Rhin, ils doivent franchir le dernier obstacle naturel majeur à leur avancée en Allemagne. Le maréchal Montgomery confie à la Deuxième Armée britannique et à la Neuvième Armée américaine l’opération Plunder, soit la traversée du Rhin. Au départ, l’opération n’inclut pas les soldats canadiens. Cependant, le commandant Crerar estimant que ses hommes méritent d’y participer, Montgomery cède et rattache le IIe Corps canadien à la Deuxième Armée britannique.

Les préparatifs de l’opération sont très intenses. On stocke plus de 250 000 tonnes de matériel, on assemble 4 000 pièces d’artillerie et on construit de nouvelles routes d’accès. Dès le 16 mars, un immense écran de fumée de plus de 100 km de large (le plus grand à ce jour) dissimule ces préparatifs aux Allemands.

Dès la nuit du 23 mars, la Deuxième Armée britannique franchit le Rhin, entre Rees et Wesel. Deux divisions d’infanterie écossaises passent en premier, suivies par une brigade de commandos embarqués dans des véhicules Buffalo. Lorsqu’un bataillon écossais rencontre une forte résistance au nord de Rees, la 9e brigade d’infanterie canadienne traverse à bord de véhicules Buffalo pour le relever au début du 24 mars.

Traversée du Rhin
Cameron Highlanders of Ottawa

Le Highland Light Infantry (HLI) dirige la brigade et fait rapidement face à une résistance acharnée de la part des parachutistes allemands. Malgré cela, il parvient à atteindre ses objectifs au nord de Rees. De leur côté, les deux autres bataillons de la brigade, les Stormont, Dundas and Glengarry Highlanders et les North Nova Scotia Highlanders, affrontent également des soldats allemands déterminés. Le 25 mars, le North Novas livre un combat particulièrement difficile à Bienen et perd 30 % de ses effectifs.

Le 27 mars, l’ensemble de la 3e Division canadienne franchit le Rhin et s’empare d’Emmerich et de Hoch Elten, un point stratégique situé à proximité. Le Génie royal canadien suit l’assaut et construit trois ponts sur le Rhin pour faciliter la traversée des troupes suivantes.

Génie royal canadien
Pont Blackfriars

Opération Varsity

L’opération Varsity commence le 24 mars 1945, à 10 h, peu après le lancement de l’opération Plunder. Au cours du plus important largage de troupes jamais réalisé en une seule journée, environ 14 000 parachutistes de la 6e Division aéroportée britannique et de la 17e Division aéroportée américaine descendent à l’est du Rhin pour s’emparer d’importants territoires. La 6e Division aéroportée comprend 475 hommes du 1er Bataillon canadien de parachutistes, qui relève de la 3e Brigade de parachutistes.

Chenillette porte-Bren

Le bataillon canadien atterrit au nord du bois de Diersfort, sur une vaste zone. Les parachutistes essuient immédiatement des tirs nourris de mitrailleuses et de tireurs embusqués. À 11 h 30, cependant, ils franchissent leurs objectifs, tuant ou capturant au passage des centaines d’Allemands. Les Canadiens subissent 65 pertes, dont le commandant de l’unité, le lieutenant-colonel Jeff Nicklin. On découvre ce joueur de football étoile d’avant-guerre, toujours dans son parachute, pendu à un arbre, le corps criblé de balles.

Pendant l’opération, un infirmier du bataillon, le caporal Fred Topham, se distingue. Alors qu’il soigne un blessé exposé aux tirs ennemis, une balle l’atteint au visage. Malgré sa blessure, il parvient à transporter le blessé en lieu sûr. Plus tard, il continue de soigner d’autres victimes et sauve trois hommes d’une chenillette en flammes. Il reçoit la Croix de Victoria pour sa bravoure.

Importance

Après les échecs initiaux à Hong Kong et à Dieppe, l’armée canadienne mène des campagnes fructueuses en Sicile, dans la péninsule italienne, et dans le nord-ouest de l’Europe jusqu’en Allemagne. L’offensive sur le Rhin marque la dernière grande campagne menée dans l’Ouest et le Canada y joue un rôle clé. Sous le commandement d’Henry Crerar, la Première Armée canadienne livre des combats acharnés dans les forêts de Reichswald et de Hochwald, permettant aux Alliés de franchir le Rhin et de pénétrer en Allemagne.

Le 26 mars, le général Dwight D. Eisenhower, commandant suprême des forces alliées en Europe, écrit à Crerar :

« J’écris ce billet pour vous exprimer personnellement mon admiration pour la manière dont vous avez dirigé l’attaque de votre armée, depuis le 8 février jusqu’à ce que l’ennemi abandonne sa dernière tête de pont à Wesel. Il est probable qu’aucun assaut de la guerre n’a été effectué en des conditions plus épouvantables. La réussite de cette entreprise témoigne de votre habileté, de votre détermination et de la valeur de vos soldats. »

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Lecture supplémentaire

  • C.P. Stacey, The Victory Campaign (1960).

Liens externes

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