L’idée du chemin de fer de la baie d’Hudson, qui a fini par relier Winnipeg à The Pas, puis à Churchill, au Manitoba, est lancée par des intérêts publics et privés à la fin du XIXe siècle qui cherchent un moyen d’acheminer les grains le plus rapidement possible vers des navires pour les vendre à l’étranger. Pendant près de 50 ans, les efforts de construction se heurtent à de nombreux obstacles : défis d’ingénierie, tempêtes, rigueur du climat nordique, incendies, agitation ouvrière et pénuries de matériaux et de main-d’œuvre. À partir de 1910, le gouvernement fédéral prend en charge les dépenses des travaux d’ingénierie et de construction de la ligne ferroviaire, notamment après la création de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada en 1919. La ligne est achevée en 1929 et ouverte à la circulation en 1931. (Voir aussi Histoire du chemin de fer au Canada.)
Construction du chemin de fer de la baie d’Hudson (1875‑1931)
La planification et la construction du chemin de fer de la baie d’Hudson se déroulent en trois phases distinctes. La première phase (1875‑1886) comprend les relevés topographiques effectués par Dr Robert Bell à la fin des années 1870 et la construction du premier tronçon de 40 milles (64 km) de ligne par la Winnipeg and Hudson’s Bay Railway and Steamship Company (une compagnie privée) en 1886.
Le projet est presque abandonné. Les 40 premiers milles demeurent intacts pendant plus d’une décennie et la plupart des traverses finissent par pourrir. Sir William Mackenzie et Sir Donald Mann de la compagnie Chemin de fer canadien du Nord contribuent à la renaissance de la route en construisant un embranchement depuis Bay Junction jusqu’à The Pas en 1908.
Lors de la deuxième phase (1909‑1995), le gouvernement du Canada participe à la planification de la ligne, tandis que les travaux sont effectués par des entrepreneurs indépendants. C’est au cours de cette phase qu’est construite partiellement la ligne vers Port Nelson, au Manitoba. En 1914, la ligne de chemin de fer s’étend jusqu’à Pikwitonei, au Manitoba (point milliaire 214), puis, en 1915, jusqu’à Kettle Rapids, au Manitoba.
À la troisième phase (1915‑1931), la ligne reliant Kettle Rapids à la rivière Churchill est établie. Il y a, après l’achèvement du tronçon vers Kettle Rapids en 1915, une interruption de 10 ans pendant laquelle peu de choses évoluent. Lorsque la construction reprend en 1926, la ligne est prolongée jusqu’à Amery en 1927, puis jusqu’à Churchill en 1929. Au cours de cette dernière phase, le ministère fédéral des Chemins de fers et Canaux ainsi que la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, la compagnie ferroviaire appartenant au gouvernement, sont chargés de terminer la ligne. (Voir aussi Histoire du chemin de fer au Canada.)
Collectivités autochtones
La construction et le prolongement du chemin de fer, à l’instar de nombreux autres projets ferroviaires, ont des répercussions sociales, économiques et culturelles sur les collectivités autochtones du Nord du Manitoba. (Voir aussi Premières Nations au Manitoba.) L’installation d’une ligne de chemin de fer est un acte de colonialisme, car elle permet à un plus grand nombre de non-autochtones d’accéder à des territoires traditionnels et de s’y établir, en plus de déplacer les peuples autochtones dans des réserves. En revanche, le chemin de fer contribue également à l’approvisionnement des collectivités autochtones, en plus d’être une source d’emplois. À partir de 1930, la plupart des hommes cris locaux entretiennent la ligne de chemin de fer. Ils le font parce qu’ils connaissent la région et savent repérer le ruissellement printanier et d’autres conditions affectant les voies ferrées. Dans les premières années du chemin de fer, ils gagnent entre 30 et 40 cents l’heure. Le travail dans les chemins de fer est également l’un des seuls emplois disponibles pour ces hommes, les lois prévoyant la perte de leur statut d’Indien s’ils quittent leur région (voir Loi sur les Indiens). Travaillant avec des pioches et des pelles, ils sont motivés par le fait que la voie ferrée les garde en contact avec leurs terres traditionnelles ainsi qu’avec les habitants du sud.
Le saviez-vous?
Il est établi, au début de la construction du chemin de fer, que Port Nelson, plus au sud dans la baie d’Hudson, serait le terminus du chemin de fer et le port où les navires viendraient chercher leurs marchandises. Comme l’envasement du fleuve Nelson à proximité rend le port impropre à l’accostage de grands navires, les ingénieurs décident de construire un pont jusqu’à une île artificielle éloignée du rivage. Au cours de l’été 1912 et de l’hiver 1912‑1913, le site est arpenté et la construction d’un quai commence au printemps, suivie de bâtiments et d’autres infrastructures. De 1915 à 1917, la Dominion Bridge Company construit un immense pont ferroviaire (toujours visible par satellite) jusqu’à l’île artificielle. Des pénuries de matériaux, des conflits du travail, des tempêtes, des incendies et des accidents de bateau entraînent d’importants retards dans l’ensemble du projet de Port Nelson. Presque immédiatement après l’achèvement de la construction du pont, il est déterminé que même celui-ci n’est pas adapté aux navires. Le pont et le port sont par conséquent abandonnés. Aujourd’hui, lieu historique, le pont est toujours intact un siècle plus tard, malgré l’absence d’entretien.
Conditions de travail
Au cours de la première grande phase de construction menée par le gouvernement du Canada (1910‑1917), la plupart des personnes employées pour bâtir le chemin de fer sont des immigrants nouvellement arrivés (principalement du nord et du sud de l’Europe). (Voir aussi Immigration au Canada.) Selon le système de classification des emplois de l’époque, les travaux de construction sont confiés à des entrepreneurs et à des sous-traitants qui embauchent des ouvriers chargés des travaux difficiles de creusage et de remblayage. Bon nombre de ces ouvriers sont des immigrants embauchés à Winnipeg et payés 2 dollars par jour. Beaucoup gagnent cependant moins, car ils doivent payer le gîte et le couvert. Lorsque ces ouvriers arrivent sur le chantier près de The Pas, ils sont confrontés à des marécages, à des muskegs, à des rochers et à des lacs en forêt, et ce sur une distance de 862 km (424 milles), jusqu’à Fort Nelson. Les journées de travail sont strictement réglementées, de 6 heures à 18 heures, et les travailleurs doivent marcher jusqu’à cinq milles avant de pouvoir commencer à creuser l’emprise. Par temps froid, les hommes reviennent souvent au camp souffrant d’engelures aux pieds ou de cécité des neiges. Pendant la saison chaude, la chaleur, les moustiques et les mouches noires sont des irritants courants. Les accidents sont également fréquents. Dans un cas, la Royale Gendarmerie à cheval du Nord-Ouest dénombre 50 tombes sur un tronçon d’un mille.
Pendant la deuxième phase de la construction (1926‑1929), les conditions s’améliorent légèrement, les employés travaillant désormais pour la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, une société d’État. Malheureusement, la ligne de chemin de fer existante (pratiquement abandonnée pendant près de 10 ans) est dans un état de délabrement extrême. Les traverses sont pourries, des sections entières de talus et de voies sont enfoncées dans le muskeg et des chevalets ont été brûlés par des incendies de forêt ou extraits du sol par le gel. On compte au total 5 734 employés de la construction ferroviaire la première année (1926), plus de 11 804 la deuxième année (1927), 11 713 en 1928, soit un peu moins, et plus de 12 000 la dernière année (1929). Comme par le passé, il s’agit d’une main-d’œuvre cosmopolite appelée à travailler toute l’année durant ou de mai à octobre. De nouvelles machines, telles que des tracteurs, des avions et des hydravions, facilitent le travail de la main-d’œuvre, et permettent d’acheminer plus facilement les fournitures.
Le saviez-vous?
La gare de Churchill, construite en 1929‑1930, est protégée en vertu de la Loi sur la protection des gares ferroviaires patrimoniales. Elle est toujours utilisée par VIA Rail et connue sous le nom VIA Rail – Gare ferroviaire de Canadien National. Aujourd’hui, la gare est la dernière structure qui subsiste de la période initiale de construction du chemin de fer de la baie d’Hudson.
Le chemin de fer de la baie d’Hudson depuis 1931
Son exploitation en tant que chemin de fer de transport de passagers et de marchandises commence en 1931 et relève de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada jusqu’en 1997. Même si la ligne ne réussit pas à transporter suffisamment de grains vers les navires (en raison de la courte saison de navigation sans glace dans la baie d’Hudson), elle répond à d’autres besoins des régions. Elle offre notamment un moyen de transport local pour ceux qui vivent le long de la ligne, favorise le développement des ressources minérales, appuie les opérations militaires et la recherche scientifique dans l’Arctique et sert de fournisseur de fret lourd pour faciliter le réapprovisionnement d’autres collectivités nordiques éloignées au-delà du port de Churchill.
En 1977‑1978, VIA Rail prend la relève du transport de passagers vers Churchill. Pendant plus de deux décennies, des équipes du Canadien National (CN) travaillent à bord des trains de VIA. Depuis 1997, VIA Rail dispose de son propre personnel et, bien qu’elle offre un service essentiel à diverses collectivités isolées, elle fait de plus en plus la promotion de voyages touristiques à Churchill pour l’observation d’ours polaires. Comme dans beaucoup d’autres endroits au Canada, VIA Rail n’est pas propriétaire des voies sur lesquelles elle circule.
En 1997, le CN vend la ligne à une filiale canadienne de la société américaine OmniTRAX. Lorsqu’un tronçon de voie ferrée entre The Pas et Pukatawagan est menacé de démolition, trois nations cries fondent la Keewatin Railway Company et reprennent la ligne après l’avoir acheté d’OmniTRAX en 2006. Keewatin Railway exploite deux fois par semaine des trains mixtes de voyageurs et de marchandises en partenariat avec VIA Rail.
OmniTRAX est propriétaire du reste de la ligne jusqu’en 2018, moment auquel (après que des inondations dévastatrices aient entraîné la fermeture de la ligne ferroviaire en 2017) elle vend le chemin de fer à un consortium composé de Fairfax Financial Holdings & AGT Limited Partnership et de Missinippi Rail Limited Partnership, représentant les membres des Premières Nations (aussi appelé Groupe Arctic Gateway). En 2021, les partenaires autochtones obtiennent 100 % des droits de propriété sur la ligne et la renomment OneNorth. Près d’un siècle après l’achèvement du chemin de fer, les peuples autochtones ont leur mot à dire sur l’exploitation de la ligne de chemin de fer. Cette ligne est désormais un service essentiel, tant sur le plan pratique que spirituel.