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Chris Ayotte (source primaire)

Le brigadier-général (retraité) Chris Ayotte s’est enrôlé dans les Forces armées canadiennes en 1992 et a obtenu un diplôme en génie chimique et des matériaux du Collège militaire royal en 1996. Membre du Corps royal du génie canadien, le Bgén (retraité) Ayotte a servi partout au Canada dans le cadre de nombreuses opérations nationales, ainsi qu’à l’étranger dans les Balkans, en Afghanistan et au Moyen-Orient. Il a pris sa retraite en 2022 après 30 ans de service. En 2024, le Bgén (retraité) Ayotte a raconté à Historica Canada ses expériences en tant qu’officier du génie de combat au Kosovo.

Veuillez noter que le compte rendu écrit suivant ne reflète pas nécessairement les opinions d’Historica Canada.

Il semble que chaque nouveau militaire craint de rater une opération à l’étranger. Car c’est en étant « déployé » qu’un soldat a l’occasion de mettre en pratique sa formation. C’est pour lui un accomplissement professionnel. L’aventure au cours d’un déploiement est ce qui incite de nombreux Canadiens à s’enrôler dans l’armée. C’est l’une des principales raisons qui m’ont amené à m’engager il y a plus de trente ans. Cette crainte qu’ont les militaires de passer à côté de quelque chose est toujours présente aujourd’hui, bien que le monde ne soit pas menacé de retrouver la paix de sitôt.

Je suis arrivé à Edmonton en 1997 et ma première activité d’entraînement majeure se concentrait sur la préparation du déploiement du prochain groupe en Bosnie. En fait, presque tout ce que j’ai fait dès mon arrivée était axé sur la préparation des coéquipiers pour la prochaine mission dans les Balkans. J’étais plongé dans tous les aspects des déploiements, à l’exception du déploiement proprement dit. Si je n’aidais pas à former les gens en vue d’un prochain déploiement, j’écoutais les récits des déploiements passés au Koweït, en Croatie, au Pakistan et au Rwanda. Ou je regardais tous les souvenirs des déploiements passés placardés sur les murs de chaque unité militaire.

Après deux ans, et à mon grand soulagement, j’ai été sélectionné pour mon premier déploiement international en 1999. Il s’agissait d’une nouvelle mission de l’OTAN au Kosovo. Certains se rappelleront qu’une campagne de frappes aériennes de l’OTAN avait commencé en mars de cette année-là, dans le but de mettre un terme au nettoyage ethnique des Albanais du Kosovo par l’armée serbe. Si le président serbe, Slobodan Milosevic, capitulait et retirait ses forces de la province du Kosovo, l’OTAN établirait une présence sur le terrain. À l’origine, les objectifs de la Force pour le Kosovo (KFOR) consistaient « à décourager une reprise des hostilités, à instaurer un environnement sûr et à veiller au maintien de la sécurité et de l’ordre publics, à démilitariser l’Armée de libération du Kosovo, à appuyer l’action humanitaire internationale et à assurer une coordination avec la communauté civile internationale présente sur place ».

Comme la campagne de bombardements aériens se poursuivait, nous ne pouvions pas simplement atterrir au Kosovo. L’OTAN a commencé à déployer des troupes dans les pays voisins en prévision d’une éventuelle campagne terrestre. Notre équipe canadienne était rattachée à la 4e brigade blindée britannique qui se formait juste à l’extérieur de Skopje, en Macédoine. En tant qu’officier des opérations de l’escadron du génie, j’ai rejoint une petite équipe de reconnaissance chargée de trouver un endroit où notre groupe pourrait s’installer. Nous avons été les premiers à nous déployer aux termes d’un voyage à bord d’un avion militaire CC-130 Hercules depuis Edmonton, en Alberta, jusqu’à Skopje, en Macédoine, en passant par Trenton, en Ontario, Gander, à Terre-Neuve-et-Labrador et un endroit quelconque au Royaume-Uni avant d’arriver à notre destination. C’était comme être installé dans un agitateur à peinture pendant trois jours avec six de ses amis les plus proches.

Comme peuvent en témoigner de nombreux anciens combattants, malgré toute l’équipe en Macédoine, rien ne garantissait que nous pourrions un jour entrer au Kosovo. À la base, un conflit militaire est un rapport de force et tant Milosevic ne céderait pas sous la pression, l’OTAN ne bougerait pas. Après une compagne de bombardement de 78 jours, nous sommes entrés au Kosovo par une voie du sud connue sous le nom de défilé de Kacanik. Il s’agit d’un col de montagne qui nous rendait vulnérables aux forces serbes restantes qui voulaient rester et combattre. Je me souviens que les émotions, comme le stress, l’anxiété et l’excitation, étaient élevées alors que nous traversions la frontière vers la Serbie, sans savoir ce qui nous attendait. Contrairement au champ de bataille moderne où l’incertitude peut être réduite grâce à des communications constantes, des images satellites et des drones pointant à chaque coin de rue, nous n’avions rien de tout cela. Nous avions des radios militaires à l’ancienne et des cartes en papier pour nous guider dans notre avancée vers le nord.

En sortant du défilé de Kacanik, nous avons rencontré des réfugiés qui se dirigeaient vers le sud pour échapper à la violence. Il ne s’agissait pas de quelques personnes, mais de centaines, voire de milliers d’Albanais kosovars en quête de sécurité. Ils étaient soulagés de nous voir, mais la peur se lisait manifestement sur tous les visages. Au fur et à mesure que nous avancions vers le nord, nous comprenions mieux pourquoi tant de gens se déplaçaient. Nous avons rencontré d’importantes poches de forces militaires serbes disséminées dans la région et de nombreuses maisons en feu, probablement allumées par les premiers en guise de représailles.

Bien qu’il y ait moins de 100 km entre Skopje et Pristina, nous avons reçu l’ordre de passer la nuit quelque part entre les deux villes. Nous avons fini par nous installer dans le village d’Uroševac, dans un ancien abattoir. Je ne sais pas qui a pris cette décision, mais c’était le cadet de nos soucis. Les militaires serbes occupaient toujours le village, ce qui exerçait des tensions élevées sur les habitants et sur nous. Après quelques heures en ville, mon supérieur est parti en reconnaissance dans la région, et je suis resté « aux commandes ».

À peine était-il parti qu’un soldat annonçait par radio qu’il se passait quelque chose à la barrière d’entrée. Un Kosovar local nous amenait deux civils gravement blessés. Un père et son jeune fils avaient été blessés en essayant de déplacer une pièce de munition non explosée. Nos assistants médicaux sont intervenus pendant que nous demandions par radio une évacuation médicale pour amener les blessés à l’hôpital de Pristina. Après ce qui nous a semblé être une éternité, une ambulance britannique est arrivée et a transporté le fils vers la capitale. Nous nous sommes retrouvés avec le corps du père et avons passé les deux heures suivantes à rouler avec lui en essayant de trouver de la famille ou des amis qui s’occuperaient de lui avec dignité.

Nous sommes partis tôt le lendemain matin pour Pristina et nous nous sommes rapidement retrouvés au milieu de l’équivalent kosovar de la ruée vers les terres de l’Ouest américain. Toutes les unités militaires convergeaient vers la capitale à la recherche d’endroit où s’installer. Le quartier général britannique s’est emparé d’un immeuble de bureaux vacant, notre escadron blindé canadien s’est installé dans une base de l’armée serbe récemment libérée, et nous avons planté notre drapeau dans un entrepôt partiellement construit. C’est là que nous allions nous installer pour les sept mois à venir, alors que nous commencions à aider le peuple kosovar à jeter les bases de son avenir.

La plupart des Canadiens ne vivront jamais ce type d’expérience et c’est bien ainsi. Toutefois, il est important de comprendre ce que nous exigeons de nos militaires en notre nom, et pourquoi c’est important. Dans ce cas, au cours de mes 48 premières heures au Kosovo, j’ai été témoin de milliers de réfugiés, d’une campagne de la terre brûlée, des dommages que les armes de guerre infligent au corps humain, de la douleur d’une famille prenant possession de la dépouille d’un être cher, et de la joie d’apprendre que le petit garçon avait survécu à ses blessures. Les raisons pour lesquelles nous faisons ces choses ne finissent pas toujours comme nous l’espérons, mais c’est ce qui s’est passé au Kosovo.