Paraskeva Clark (née Plistik), peintre (née le 28 octobre 1898 à Saint-Pétersbourg, en Russie; décédée le 10 août 1986 à Toronto, en Ontario). Paraskeva Clark subit la Révolution russe de plus près. Pendant huit ans, elle habite à Paris où elle travaille dans un magasin de décoration intérieure, se familiarise avec l’art moderne et rencontre des artistes de renom, dont Picasso. Après avoir épousé un comptable canadien qu’elle rencontre à Paris, Paraskeva Clark s’établit à Toronto en 1931. Au début, elle n’est pas impressionnée par les paysages du Groupe des Sept, alors elle se concentre sur les autoportraits et les natures mortes. Finalement, elle commence à peindre les paysages ruraux de l’Ontario et du Québec. Paraskeva Clark se considère comme une artiste socialiste et pense qu’il est de la responsabilité d’un artiste d’utiliser son art pour aborder le problème de la lutte des classes et d’autres thèmes sociaux.
Jeunesse et éducation en Russie
Née Paraskeva Avdeyevna Plistik à Saint-Pétersbourg, en Russie, Paraskeva Clark (le nom de famille de son deuxième mari) est la fille d’un paysan, ouvrier d’usine, qu’il quitte après pour tenir un magasin d’alimentation. Sa mère est formée dans l’ancienne fabrication russe traditionnelle de fleurs et gagne de l’argent pour la famille en fabriquant des fleurs en tissu. Ses origines familiales la rendent bien consciente des difficultés auxquelles de nombreuses familles de la classe ouvrière en Russie et plus tard au Canada, font face. Elle a un frère et une petite sœur; sa mère meurt quand elle a 17 ans.
Jeune fille, Paraskeva Clark tombe amoureuse du théâtre et rêve de devenir actrice, en attendant qu’elle puisse se permettre d’acheter un billet pour une pièce. À cause du faible revenu familial, elle ne peut pas s’inscrire à l’école d’art dramatique. Autrement, elle suit des cours du soir en art à l’Académie des beaux-arts de Petrograd. À l’automne 1916, elle commence à travailler sous un peintre paysagiste Savely Seidenberg. Initialement, elle dessine au fusain des têtes moulées en plâtre, passant après aux cours de dessin et de peinture d’après des modèles vivants. À l’Académie, elle est introduite au travail des peintres impressionnistes, mais aussi par les trois artistes du postimpressionnisme, Paul Cézanne, Pablo Picasso et Georges Braque, entre autres.
Après la révolution de 1917, en octobre 1918, l’Académie devient les Petrograd Free Studios, désormais sous l’autorité du département des beaux-arts du Commissariat du Peuple à l’éducation. Il n’y a aucuns frais de scolarité pour les anciens étudiants, ou ceux qui ont plus de 16 ans, alors Paraskeva Clark va s’inscrire à mi-temps pour quelques cours. Elle travaille d’abord sous Vasili Shukhaev, peintre et scénographe très peu connu. Quand il part pour Paris en 1920, elle se joint à la classe de Kuzma Petrov-Vodkin, un des professeurs les plus importants de l’institution, connu pour ses natures mortes. Paraskeva Clark reprend sa méthode d’incliner les horizontales et les verticales et continue de l’employer dans ses peintures dans les années 1930 et 1940. Cette approche est évidente, par exemple, dans sa nature morte de 1947 Essentials of Life(Les Essentiels de la vie, collection privée, Toronto), qui représente une large poire, des fleurs et un chandelier (avec une moitié de bougie bleue) sur la table couverte par une nappe blanche froissée. Au premier plan du tableau se trouve un livre ouvert d’Ezra Pound.
En mars 1921, Lenin introduit la politique économique nationale, qui vise à redéfinir le socialisme en Russie. Une de mesures mises en œuvre consiste à employer des étudiants pour qu’ils peignent les décors. Paraskeva Clark se trouve parmi les étudiants choisis. Pendant cette période, elle rencontre le fils d’une famille italienne, dont les membres travaillent comme décorateurs. Ils se marient peu de temps après et Paraskeva Clark donne naissance à un fils, Benedict (ou Ben, comme il est surnommé). La famille Allegri a une maison près de Paris, et les jeunes mariés forment le projet de s’y établir en 1923. Pourtant, avant qu’ils partent définitivement pour la France, Oreste Allegri, le mari de Parakseva Clark, se noie accidentellement. La famille Allegri invite Parakseva Clark à déménager en France avec eux, et à l’été 1923 elle s’y installe avec son jeune fils.
Vie et travail à Paris
Pendant les six années suivantes, Paraskeva Clark s’occupe de son fils et tient le ménage de ses beaux-parents. Elle fréquente aussi le théâtre et les expositions d’art. Un jour, on la présente à Pablo Picasso, qui connaît les Allegri en raison de ses liens avec le monde du théâtre (il est aussi marié avec une femme russe à l’époque).
Bien qu’elle n’ait pas beaucoup de temps pour peindre, Paraskeva Clark réalise un autoportrait en 1925 qui se trouve maintenant au Musée des beaux-arts de l’Ontario. L’œuvre souligne son teint frais, son visage vaste qui domine la toile. Lèvres pincées, elle regarde le spectateur. Ses lèvres constituent un de ses traits les plus distinctifs, et Paraskeva Clark se représente toujours soit sans sourire, soit avec un petit sourire aux lèvres fermées, comme dans son œuvre magistrale Moi-même de 1933 (Musée des beaux-arts du Canada), qui la représente dans des vêtements foncés et un chapeau. C’est un autoportrait à mi-corps où ses mains magnifiques se détachent de sa tenue foncée.
À la recherche d’indépendance et de temps pour elle-même, Paraskeva Clark se trouve un emploi dans un magasin au cœur de Paris en 1929, où l’on vend, entre autres, des pièces en verre de Venise et de petites sculptures pour décorer la maison. C’est là qu’elle rencontre son futur deuxième mari, Philip Clark, qui vient en Europe avec son ami musicien après avoir pris trois mois d’absence autorisée de son emploi à Toronto.
Le couple reste en contact après le retour de Philip au Canada, et finalement, il la demande en mariage. Paraskeva Clark accepte sa proposition en mai 1931 et la même année ils voyagent en Angleterre pour s’y marier le 9 juin. Toujours en Angleterre, Paraskeva Clark en profite pour visiter la Lefevre Gallery à Londres et voir l’exposition Thirty Years of Pablo Picasso. Elle a toujours le catalogue de l’exposition à la fin de sa vie. Le couple part à Toronto en compagnie de Ben.
Artiste russe à Toronto
Toronto, que Paraskeva Clark décrit à un certain moment comme « sanctimonious icebox » (une glacière moralisatrice) est une ville extrêmement conservatrice dans les années 1930, et Paraskeva Clark avec ses origines russes est considérée comme exotique. En plus, sa forte personnalité ne correspond pas avec les idées des Torontois à propos du comportement approprié des femmes.
Environ six mois après son arrivée à Toronto, Paraskeva Clark voit une exposition de paysages du Groupe des Sept, mais n’est pas impressionnée. Plus important pour elle en tant qu’artiste en herbe, le fait que l’exposition An Exhibition of Seascapes and Water-Fronts by Contemporary Artists and an Exhibition by the Group of Seven (Une exposition de paysages marins et riverains par des artistes contemporains et une Exposition du Groupe des Sept) de décembre 1931 soit marquée par une forte présence des femmes (14 femmes sur 32 artistes au total). Entre elles se trouve Emily Carr, que Paraskeva Clark rencontre bientôt. Une autre – Prudence Heward, dont un nu de femme blanche Femme sous un arbre (1931) est considéré par Lawren Harris comme le meilleur nu jamais peint au Canada – sera une grande inspiration pour Paraskeva Clark.
La raison la plus importante pour laquelle Paraskeva Clark n’est pas impressionnée par les paysages du Groupe des Sept, c’est leur absence de référence au monde réel et aux questions relatives à la classe sociale. Son identité socialiste – en effet elle s’identifie comme « une communiste russe et rouge » – est centrale aussi pour son identité et sa philosophie en tant qu’artiste. À l’époque il y a d’autres artistes à Toronto, également conscients de la lutte des classes, comme Bertram Brooker et Pegi Nicol. Paraskeva Clark ressent des affinités pour chaque artiste qui soutient la création d’art socialement conscient au Canada.
Œuvres phares et expositions
En plus de ses autoportraits, qui montrent Paraskeva Clark comme une femme dominante, parfois élégante et à l’apparence physique forte, ce sont ses peintures et dessins politiques qui influencent le plus fortement chaque spectateur pour qui l’art est lié inextricablement aux questions sociales et à l’expérience vécue. Bien qu’elle ait peint de nombreuses natures mortes et, finalement, de nombreux paysages, ainsi que des tableaux abstraits (dans les années 1960), les œuvres telles que Petrouchka (1937), qui représente la foule dense dans la rue, caractérisent tout ce qu’il y a de mieux dans son travail. Au centre de la composition se trouve une scène qui se lève au-dessus de la foule avec une marionnette policier tenant un fusil et un bâton, prêt à battre un ouvrier. À gauche, l’on voit Paraskeva Clark elle-même tenant son petit fils Clive, avec son fils aîné Ben devant elle. Elle s’est donc insérée dans cette scène d’agitation et de brutalité policière, en tant que témoin, ce qui reflète sa conviction qu’un artiste doit agir comme témoin face à la lutte des classes et d’autres questions sociétales.
En mars 1933, des membres du Groupe des Sept invitent un nombre de jeunes artistes à une réunion chez Lawren Harris pour discuter de l’état de l’art au Canada. Résultat : la formation du Groupe des peintres canadiens (GPC). Sa première exposition a lieu en été 1933 à Atlantic City et en novembre les 28 membres font leurs débuts canadiens à l’Art Gallery of Toronto (maintenant le Musée des beaux-arts de l’Ontario). Paraskeva Clark est l’un des 25 artistes non membres invités à exposer. Elle est élue membre en 1936. Le mois de la formation du GPC, Paraskeva Clark présente une nouvelle peinture, Philip Clark, Esq. (1933), à l’exposition annuelle de l’Ontario Society of Artists (OSA) à l’Art Gallery of Toronto.
Paraskeva Clark continue à exposer régulièrement. En janvier 1936, une exposition de ses œuvres est tenue aux Galleries of J. Merritt Malloney à Toronto et reçoit des critiques favorables. En 1937, Paraskeva Clark est invitée à exposer en solo à la nouvelle Picture Loan Society à Toronto, ouverte depuis l’automne 1936. Fait révélateur, Paraskeva Clark fait ses débuts en tant qu’écrivaine la même année. Dans un article de Canadian Forum, une revue à tendance socialiste, Elizabeth Wyn Wood dit que la force de l’art canadien vient du fait qu’il n’est pas lié à la vie quotidienne (et par extension, à la politique). Cette idée contredit directement la conviction de Paraskeva Clark à propos de l’art et de la responsabilité sociale des artistes. Elle répond à Elizabeth Wyn Wood dans un article intitulé « Come Out From Behind the Pre-Cambrian Shield» (Sortir de derrière le bouclier précambrien), publié dans le New Frontier en avril 1937.
En 1942, Paraskeva Clark réalise un autre autoportrait, Autoportrait au programme de concert, qui la montre assise dans son salon. Vêtue d’un tailleur rose typique pour l’époque, elle tient un programme d’un concert auquel elle a assisté l’année précédente, Salute to Russia. Au lieu de peindre le programme, elle colle le vrai programme sur la toile, ce qui fait penser aux collages cubistes mixtes créés par Picasso au début du siècle. Dans cette œuvre, son froncement de sourcils et l’inclusion du programme font une allusion directe à la Russie et indiquent sa conscience des événements mondiaux, à savoir le siège de Leningrad et la Deuxième Guerre mondiale, et exprime son inquiétude liée aux événements.
Vers la fin de la guerre, la Galerie nationale du Canada (maintenant le Musée des beaux-arts du Canada) demande à Parskeva Clark d’illustrer le travail de la division féminine de l’Aviation royale du Canada (ARC). Elle peint ainsi quatre toiles : Bedtime Story (1945), Travaux d’entretien au hangar (1945, Musée canadien de la guerre), Les arrimeuses de parachutes (1946-1947, Musée canadien de la guerre) et Les filles du télégraphe (1946, Musée canadien de la guerre).
Portrait de l’artiste en vieille femme
Après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, Paraskeva Clark commence à donner des conférences sur l’art russe. En février 1944, elle aborde dans deux groupes le sujet de l’art russe et ses artistes : la Women’s Art Society (l’Association culturelle des femmes) et la Art Association of Montréal au Musée des beaux-arts de Montréal.
Elle donne également une conférence en 1959 sur les femmes artistes au Ridley College à St. Catharines, en Ontario, où elle distingue Emily Carr (c’est la seule artiste canadienne qu’elle mentionne), ainsi que des artistes européens comme Suzanne Valadon, Angelica Kauffman et Paula Modersohn-Becker, entre autres.
Paraskeva Clark est élue académicienne à part entière de l'Académie royale des arts du Canada (ARC) en 1966. En 1973, Charles Hill, alors le conservateur adjoint de la Galerie nationale du Canada (Musée des beaux-arts du Canada), la contacte pour présenter son projet d’un vernissage consacré à l’art canadien des années 1930 et l’informer qu’il veut y inclure ses œuvres et s’entretenir avec elle. L’exposition fait un tour en 1975, comprenant quatre toiles de Paraskeva Clark : Moi-même (1933), Champ de blé (1936), Petrouchka (1937) et Truites (1940).
En 1978, Mary MacLaughlin de la Dalhousie Art Gallery (située dans le Arts Centre de l’Université Dalhousie) visite Paraskeva Clark pour l’informer qu’elle veut organiser une exposition d’ensemble de ses œuvres. Intitulé Paraskeva Clark: Paintings and Drawings, l’exposition ouvre en 1982 à la Dalhousie Art Gallery; plus tard elle fait une tournée à Ottawa, Toronto et Victoria. À peu près au même moment, un metteur en scène Gail Singer commence à tourner le documentaire à propos de la vie de Paraskeva Clark intitulé Portrait of the Artist as an Old Lady.