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Constitution Express

Le Constitution Express était une caravane politique en route vers Ottawa en novembre 1980. Sous l’autorité du premier ministre Pierre Trudeau, le gouvernement de l’époque n’a pas voulu autoriser les Autochtones à participer activement aux discussions qui ont abouti au rapatriement de la Constitution canadienne. Les communautés autochtones n’avaient qu’un statut d’observateur, et les dirigeants autochtones craignaient que leurs droits soient exclus de la constitution sans leur participation directe (voir aussi Droits des Autochtones au Canada). Ils ont donc décidé qu’ils ne pourraient renverser leur exclusion du processus que s’ils manifestaient leur mécontentement envers le gouvernement Trudeau.

Direction Ottawa

La Union of British Columbia Indian Chiefs (UBCIC) nolise deux trains de voyageurs pour emmener des Autochtones de tout le Canada jusqu’à Ottawa. La caravane ainsi créée vise à protester à la fois contre le contenu du projet de constitution et contre la démarche suivie. L’UBCIC s’inspire de mouvements antérieurs, notamment les marches Moccasin Miles qui ont contribué au financement de la fondation de l’UBCIC, la marche Trail of Broken Treaties de 1972 jusqu’à Washington et les délégations autochtones envoyées par le passé à Victoria, à London et à Ottawa. Le Constitution Express est un puissant moyen dont se servent les Autochtones de partout au pays pour montrer qu’ils sont là et demander qu’on tienne compte de leur point de vue.

Organisation

L’UBCIC met en place cinq axes stratégiques dans l’organisation du Constitution Express : des équipes dans les communautés, une équipe juridique à son siège social, une équipe de coordination en amont à Ottawa, une équipe de stratégie politique nationale et une équipe internationale en Europe et à New York. Les femmes autochtones ont une fonction de premier plan dans chacun de ces axes, veillant à ce que la vision de la souveraineté autochtone portée par le mouvement intègre pleinement les réalités et les besoins qui leur sont propres (voir aussi Questions relatives aux femmes autochtones du Canada). L’UBCIC privilégie la participation communautaire afin que le Constitution Express soit arrimé aux intérêts des communautés. C’est ainsi que les travailleurs sur le terrain et le personnel de l’UBCIC parcourent les communautés de tout le pays pour faire connaître les enjeux constitutionnels et encourager les gens à participer au Constitution Express. Ils invitent aussi les gens à y aller en famille afin de renforcer leur identité culturelle et leur engagement politique. L’UBCIC publie des bulletins qui se veulent informatifs et cherchent à mobiliser les gens.

Pendant la caravane, les organisateurs s’occupent de l’hébergement des participants sur le chemin et à Ottawa. L’UBCIC invite de plus les gens à apporter des tambours et des ornements traditionnels pour participer aux chants et aux cérémonies. À bord des trains, les contributeurs ont droit à des ateliers sur la constitution pour enrichir leur bagage politique. Ces ateliers visent à bien faire connaître leurs droits aux membres du groupe. Le Constitution Express suscite un élan de solidarité à grande échelle. Environ 1000 personnes se joignent à la caravane et beaucoup d’autres offrent de l’aide pendant le parcours.

Difficultés

En partie à cause d’événements passés qui avaient abouti à des conflits, les organisateurs et les participants tiennent à ce que l’opinion publique leur soit favorable. L’UBCIC interdit la consommation de drogues et d’alcool sur le Constitution Express et met en place des règles strictes pour éviter les comportements abusifs. Malgré tout, le gouvernement fédéral craint que des manifestations violentes éclatent à l’arrivée des trains à Ottawa. Pour apaiser les esprits, la GRC arrête et fouille les trains dans le nord de l’Ontario. La GRC prétend qu’elle répond à une alerte à la bombe. Cependant, Robert (Bobby) Manuel, qui dirige la délégation en l’absence de son père, demeure méfiant (voir aussi George Manuel). Alors que les trains sont évacués et que les sacs sont fouillés, il est convaincu que la GRC cherche des armes et non des bombes. N’ayant trouvé aucune preuve de bombe (ou d’armes), la police permet au Constitution Express de continuer son chemin. À l’arrivée de la caravane à Ottawa le 5 décembre 1980, le frère de George Manuel, Arthur Manuel, sur place pour rencontrer les manifestants, qualifie l’atmosphère d’électrique.


Évolution

Le Constitution Express illustre parfaitement l’unité et l’activisme politique chez les Autochtones (voir aussi Organisation politique des Autochtones et activisme au Canada). Cependant, il ne réussit pas à faire changer d’avis Pierre Trudeau sur les droits ancestraux. Cet été-là, les Autochtones continuent à élaborer des stratégies et à proposer des mesures pour faire reconnaître leurs droits. Selon George Manuel et de nombreux participants, le Constitution Express « a fait sortir nos nations de la torpeur ». C’est aussi une occasion où l’UBCIC troque son compromis stratégique habituel avec l’État colonisateur pour une campagne visant à faire connaître sa vision de la gouvernance, de la souveraineté et de la nation pour les Autochtones partout dans le monde. Les peuples autochtones, en grande partie dirigés par des femmes, organisent des potlatchs communautaires afin de collecter des fonds pour la caravane. C’est aussi un moyen de transformer la manifestation qu’était au départ le Constitution Express en véritable mouvement politique.

Un mouvement international

En 1980 et 1981, l’UBCIC envoie des représentants sur les lieux de grands événements internationaux. Parmi ces représentants figurent des membres de Concerned Aboriginal Women, un groupe communautaire qui veut des stratégies pour la souveraineté qui tiennent compte des femmes. Des représentants se rendent aux Pays-Bas, au siège social des Nations Unies à New York et au parlement britannique à Londres. Aux Pays-Bas, ils témoignent devant le Tribunal Russell, un organisme indépendant qui juge les causes relatives aux droits de la personne. En novembre 1980, le Tribunal Russell rend une décision écrite en faveur de la souveraineté autochtone. Il condamne l’exclusion par le Canada des Autochtones dans le processus de rapatriement de la Constitution et affirme leur droit au statut de nations distinctes et autonomes. Motivés par cette décision, 41 militants qui avaient participé au Constitution Express vers Ottawa portent leur protestation devant les Nations Unies. Les militants y exigent reconnaissance et justice partout dans le monde. Au même moment, une autre délégation du Constitution Express adresse une pétition au Parlement britannique pour qu’il refuse le rapatriement de la Constitution canadienne tant que les Autochtones n’ont pas été dûment consultés. La Grande-Bretagne refuse de se mêler à la situation. Les dirigeants autochtones de la Colombie-Britannique n’auront finalement pas réussi à enchâsser leurs définitions de la souveraineté autochtone dans la Constitution. Cependant, leur protestation et leur ténacité auront prolongé les débats sur la Constitution. C’est leur travail qui aura mené à la rédaction du paragraphe 35(1) qui « reconnaît » et « confirme » « les droits existants – ancestraux ou issus de traités – des peuples autochtones du Canada » dans la Constitution.

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Liens externes