Dodécaphonisme et sérialisme
Dodécaphonisme et sérialisme. Méthodes de composition musicale régies par une ou plusieurs séries (ensembles, rangées) de notes (un terme plus précis serait « hauteurs ») et/ou d'autres éléments musicaux (nuances, durées, articulations, registres, etc.) qui a eu cours pendant les trois décennies suivant la Deuxième Guerre mondiale. La longueur des séries peut varier selon le désir du compositeur, mais la forme la plus commune de sérialisme est « la technique des 12 sons » (dodécaphonisme) où les 12 hauteurs de l'échelle chromatique occidentale se succèdent dans un ordre particulier (connu sous le nom de « série de base » (« Grundgestalt »)); cette série de base est le principe générateur que le compositeur organise à sa guise pour créer une composition.
Une série donnée peut avoir trois variantes fondamentales : la rétrogradation ou récurrence (on lit de la dernière note à la première); l' inversion ou renversement (on renverse les intervalles de la série de base); et la rétrogradation de l'inversion (on lit l'inversion de la dernière note à la première) (voir l'exemple). Chacune des formes peut être à son tour transposée sur n'importe quelle des 11 autres hauteurs; c'est ainsi que le compositeur a 48 aspects distincts mais interreliés de la série de base à sa disposition pour effectuer une composition stricte de 12 sons. La plupart des oeuvres écrites de cette manière font cependant appel à un nombre d'aspects beaucoup moins élevé.
Le dodécaphonisme a été mis au point, pendant une période de plusieurs années, jusqu'à l'automne de 1921, par Arnold Schoenberg, qui désirait établir une méthodologie de composition pour la musique atonale. Environ à la même époque (1912-21), Josef Hauer a utilisé une méthode faisant appel aux 12 sons qui différait de celle de Schoenberg sur plusieurs aspects essentiels et qui ne connut pas la même popularité. Schoenberg préconisait l'utilisation d'une seule série de base pour assurer l'unité de l'oeuvre et recommandait d'éviter les redoublements à l'octave ou la mise en valeur d'une hauteur particulière, pour réduire le plus possible le danger qu'on l'interprète comme une tonique.
De nombreux musiciens ont adapté le concept de Schoenberg à leur style de composition, en commençant par ses deux élèves les plus célèbres, Berg, qui utilisa le dodécaphonisme plus librement, sans chercher à éviter l'implication tonale, et Webern, qui se servit de la méthode de la façon la plus stricte des trois et appliqua son intérêt pour la mise en système à d'autres éléments musicaux que la hauteur (les nuances et les articulations, par exemple). Il devait ainsi ouvrir la voie à la « musique sérielle totale » qui suivit la Deuxième Guerre mondiale et dont les autres pionniers ont été Milton Babbitt, Olivier Messiaen, Karlheinz Stockhausen et Pierre Boulez. Igor Stravinsky fut également influencé par Webern et son In Memoriam Dylan Thomas (1954) le classe dans le groupe des compositeurs qui ont eu recours à des séries de moins de 12 hauteurs.
Au Canada, John Weinzweig fut pionnier d'un dodécaphonisme à la fois sélectif et personnel dès ses débuts, utilisant la série comme source de divers motifs (Suite n 1 pour piano, 1939) au lieu de l'exploiter de façon systématique. Barbara Pentland fut initiée à la technique sérielle dans les années 1940, mais elle ne fut pas portée à l'utiliser avant d'avoir elle-même entendu la musique de Webern en 1955. Une fois convaincue cependant, elle fit aussi usage du système avec une grande liberté. Weinzweig mit son expérience en pratique à l'Université de Toronto, où une sorte d'« école de composition à 12 sons » se constitua. Parmi les produits de cette « école » se distinguent certaines oeuvres de Harry Somers, notamment les fugues pour piano 12 x 12 (1951) qui rappellent Bach et Schoenberg et le Quintette à vent (1948) qui explore le principe weinzweigien de sélection motivique à partir des séries. Des oeuvres de Norma Beecroft, Bruce Mather et de plusieurs autres affichent également cet usage libre de l'écriture sérielle préconisée par Weinzweig.
Les approches strictes et hautement mathématiques de l'écriture sérielle, dont Boulez fut en France le pionnier, trouvèrent un écho significatif dans les oeuvres d'Udo Kasemets datant des années 1950, dans Lignes et points (1963) de Pierre Mercure, et particulièrement dans Asymétries n 1, Offrande I, II et III (1969-71), Circuits I (1972) et Circuits III (1973) de Serge Garant.
Le sérialisme d'Otto Joachim, dont les Twelve 12-tone Pieces for Children (1961) constituent un exemple intentionnellement simple, découle plus directement des prototypes viennois et de Křenek, tandis que John Beckwith utilise les deux séries, chromatique et non chromatique : la première figure notamment dans Circle With Tangents (1967) et A Concert of Myths (1983), la seconde dans Taking a Stand (1972) et Harp of David (1985).
Pour résumer - ou du moins risquer de le faire - on peut dire que les plus stricts adeptes du dodécaphonisme au Canada ont été Anhalt (de 1950 à 1965), Garant et Kasemets (oeuvres 1950-60). Ceux qui ont écrit des oeuvres strictes sont Beckwith, Ford (de 1969 à 1972), Hartwell, Hawkins, Joachim (jusqu'à la fin des années 1960), Papineau-Couture et Pentland (après 1955). Ceux qui montrent une nette influence des techniques sérielles dans la plupart de leurs oeuvres sont Beckwith (v. 1960), Buczynski, Cherney (années 1960), Dolin (années 1940-années 1960), Fodi (1965-67), Ford (fin des années 1960 - début des années 1970), Freedman (années 1940-années 1960), Joachim (jusqu'à 1969 environ), Prévost (après 1959), Somers et Weinzweig. Les compositeurs qui ont utilisé des approches modifiées au dodécaphonisme et au sérialisme incluent Beecroft, Dolin (années 1960), Hawkins, Sydney Hodkinson, Klein, Mather, Morel, Tremblay, Vallerand et Wilson. Parmi les compositeurs dont les oeuvres montrent une certaine influence dodécaphonique figurent Murray Adaskin, Applebaum, Douglas, Eckhardt-Gramatté, Schafer et Turner. Durant les années 1970, les compositeurs de jazz Gordon Delamont (auteur du traité Modern Twelve-Tone Techniques), Doug Riley et Don Thompson ont utilisé le dodécaphonisme dans quelques-unes de leurs pièces.
Beaucoup de compositeurs canadiens abandonnèrent le dodécaphonisme après le milieu des années 1970, tandis que d'autres adoptaient une approche plus flexible, peut-être influencée par la liberté de la technique à 12 sons de Berg.