Le droit
administratif est l’une des trois branches principales du droit public qui gère
la relation entre le gouvernement et ses citoyens; les deux autres domaines
sont le droit
constitutionnel et le droit
criminel. (Voir aussi Primauté
du droit.) Le droit administratif veille à ce que les actions du
gouvernement soient autorisées par le Parlement
ou par les assemblées
législatives provinciales et que les lois soient appliquées et administrées
de manière juste et raisonnable. Le droit administratif s’appuie sur le principe
selon lequel les actions gouvernementales doivent (au sens strict) être
légales, et les citoyens touchés par des actions gouvernementales illégitimes
doivent avoir des recours efficaces. Un droit administratif solide permet
d’assurer la confiance du public envers l’autorité du gouvernement.
Délégation des pouvoirs
Dans
un État
moderne complexe, les
représentants élus n’ont pas la capacité de faire passer des lois
pour régir toutes les
situations. Par conséquent, les gouvernements fédéral
et provinciaux
délèguent nombre de leurs pouvoirs législatifs, ainsi que le pouvoir d’adopter
et d’appliquer les lois, à des organismes administratifs. Ces organismes sont
impliqués dans presque toutes les sphères de l’activité gouvernementale. Ils touchent
directement la vie des citoyens ordinaires de plusieurs manières. Ces
organismes administratifs sont chargés, entre autres, de superviser les permis
de construction, la compensation
reçue par les travailleurs, les réglementations agricoles et le commerce
interprovincial (voir Accord de libre-échange canadien
) ainsi que plusieurs tribunaux administratifs
.
Le droit
administratif régit l’activité gouvernementale de plusieurs façons. D’abord,
selon la Constitution canadienne
, les politiciens élus peuvent
mettre en place n’importe quelle loi tant que celle-ci n’entre pas en conflit
avec les droits et libertés garantis par la Charte canadienne des droits et
libertés
et n’a
pas pour but d’empiéter sur l’autorité législative d’un autre ordre de
gouvernement. (Voir aussi Répartition
des pouvoirs; Paix, ordre et bon gouvernement
). Les autorités administratives sont
également assujetties à ces contraintes constitutionnelles. En effet, ce sont des
corps inférieurs dotés seulement de l’autorité qui leur a été conférée.
Ensuite, la
délégation du pouvoir législatif signifie que les pouvoirs accordés à
l’organisme ou au ministère sont clairement définis. Elle définit également les
règlements encadrant l’exercice de ces pouvoirs. Si les mesures administratives
dépendent de la résolution des faits contestés ou de l’interprétation
d’une loi
, la législation, elle, nécessite
parfois une audience devant un comité ou un tribunal administratif
. Dans certains cas, la décision du
comité ou du tribunal peut être révisée par les cours
s’il y a une erreur de droit
ou une constatation déraisonnable des faits.
Enfin,
certains principes de common law
imposent des contraintes ou
des obligations aux tribunaux. Le meilleur exemple en est le principe selon
lequel les autorités administratives doivent agir conformément à la justice
naturelle, qui suppose un certain nombre de règles de procédure. La doctrine de
la common law agit conjointement aux lois applicables aux enjeux traités.
Si un
citoyen croit qu’une autorité administrative a pris une décision le concernant
qui contrevient à un principe constitutionnel, juridique ou de common law, il
peut demander à une cour de justice d’examiner les actes de ladite autorité.
Les cours canadiennes s’en remettent généralement aux connaissances
spécialisées des autorités administratives; elles n’interviennent que si
l’autorité en question outrepasse ses pouvoirs, si elle prend une décision
incorrecte en lien avec une loi, ou si elle prend une décision déraisonnable
basée sur des faits.
Concept de compétence
Les tribunaux administratifs
doivent agir conformément aux
pouvoirs qui leur sont conférés par leur loi habilitante. Si ces corps prennent
des mesures sans en avoir l’autorité légale, ils outrepassent leurs pouvoirs.
Une cour peut alors infirmer (ou annuler) les décisions prises en dehors de la
compétence d’un corps administratif. Elle interprète la loi habilitante afin de
déterminer si celle-ci autorise le geste du tribunal. Toutefois, les lois
ne sont pas toujours très
claires. Si la question concerne l’essence même de la fonction du tribunal, la
cour agit avec grande prudence lorsqu’il s’agit de contester une compétence.
Il arrive
que la loi habilitante limite les pouvoirs accordés à une autorité
administrative. Par exemple, un tribunal autorisé à réglementer les loyers
d’immeubles d’habitation de dix logements ou plus n’a pas la compétence de
réglementer les loyers d’immeubles de quatre logements. Les cours de justice
exigent aussi que les pouvoirs ne soient exercés que par ceux à qui on les a
attribués. Par exemple, les membres d’un tribunal chargé de délivrer des permis
d’alcool à des restaurants n’ont pas le droit de déléguer ce pouvoir à un
membre du personnel ou à une personne externe.
En
revanche, si les ministres du cabinet du
gouvernement détiennent des pouvoirs spécifiques qui leur sont conférés par la
loi, il arrive que la charge de travail soit nettement trop lourde pour une
seule personne. Les députés délèguent donc leur autorité à des subalternes. Par
exemple, un député gouvernemental peut détenir le pouvoir d’accorder des visas
aux visiteurs étrangers, mais le nombre élevé de demandes et la nature même de
la tâche exigent que des subalternes exécutent le travail à la place du député.
L’examen de
la compétence ne remet pas en question les mérites d’une décision prise par un
représentant du gouvernement. Normalement, les cours
n’ont pas pour but de se mêler
des affaires du gouvernement. (Voir Répartition des pouvoirs
.) Toutefois, elles peuvent
intervenir si l’autorité abuse de son pouvoir ou pour s’assurer qu’elle exerce
son pouvoir de manière juste. Toute décision prise doit être basée sur des
considérations pertinentes. Le pouvoir discrétionnaire doit être exercé
conformément aux limites imposées par la loi. Si la personne prenant la
décision se base sur une information erronée ou ne prend pas en compte une
information pertinente, une cour pourrait revoir cette décision. Une autorité
ne peut exercer son pouvoir dans une autre intention que celle prévue pour ce
pouvoir. Par exemple, si un ou une ministre avait le pouvoir de ne fermer
un hôpital
que pour des raisons de
sécurité ou de salubrité, il ou elle ne pourrait user de ce pouvoir pour des
raisons financières.
Notons
également qu’un tribunal ne peut se lier ou limiter son pouvoir discrétionnaire
en mettant sur pied des règles générales applicables à tous les cas. Chaque cas
doit être examiné à part, et des preuves doivent être présentées au tribunal
pour justifier une décision basée sur des faits. Une décision ne peut être
déraisonnable au point où aucune autre personne douée de raison en position de
décider ne l’aurait prise. Enfin, les gouvernements provinciaux
ne peuvent enlever à une cour
de justice le droit d’examiner la compétence d’un corps administratif.
Équité procédurale
Le
troisième aspect du contrôle judiciaire d’une mesure administrative concerne
l’équité procédurale. Les organismes administratifs doivent respecter la
procédure appropriée pour en venir à prendre leurs décisions. Dans certains
cas, une loi
ou un règlement définit la
procédure de base régissant le procédé de prise de décisions; par exemple, qui
informer de la tenue d’une audience et les manières de le faire, le droit au
service d’un avocat, le droit de présenter des preuves et de contre-interroger
les témoins. Lorsqu’aucune loi ne définit de procédures, les principes de common law
s’appliquent. Cela permet d’assurer
que toutes les personnes touchées par les mesures gouvernementales soient
traitées équitablement. Il est ici question des principes de justice naturelle
mentionnés plus tôt. Ils ont deux objectifs principaux : assurer que
toutes les personnes dont les intérêts sont en jeu puissent prendre part au
procédé avant qu’une décision ne soit prise, par audience ou par tout autre
moyen, et garantir que la décision prise par le tribunal soit impartiale et non
biaisée. La Cour suprême du Canada
a conclu que l’équité
procédurale est incluse dans les principes fondamentaux de justice de la
section 7 de la Charte
.
Ce qui est
considéré comme de l’équité procédurale dépend de la nature du pouvoir exercé,
des parties impliquées, des résultats de l’action prévue et des aspects
pratiques de ces longues procédures. Dans certains cas graves touchant un
individu, comme la révocation du permis d’exercice d’un médecin, on impose des
procédures semblables à celles exigées dans une cour de justice. Dans d’autres
cas, comme la décision de résilier un bail dans un immeuble d’habitation
subventionné par les fonds publics, les cours ont décrété que le « devoir
d’agir équitablement » suffisait. Ce devoir est donc honoré si le
locataire est informé des plaintes formulées à son endroit et qu’on lui offre
la chance d’y répondre ou d’y remédier.
Pour que
les règles de l’équité procédurale s’appliquent, la décision doit être de
nature administrative. En d’autres termes, les décisions d’ordre législatif ou
fondées sur la politique n’ont pas besoin de suivre les règles de l’équité
procédurale. La décision examinée doit également être le résultat de l’exercice
d’un pouvoir légalement accordé à un corps administratif. Cette décision doit
en outre toucher les droits, les privilèges ou les intérêts du demandeur.
Enfin, ces règles ne sont pas absolues. Certaines motivations d’ordre
politique, telles que la sécurité, l’efficacité ou l’urgence, peuvent amoindrir
l’importance de l’équité procédurale.
Ainsi, l’importance
accordée à l’équité procédurale pour une situation donnée dépend du contexte.
Plus une procédure se rapproche d’une audience au tribunal, plus l’individu a
droit à l’équité procédurale. Si la loi définit des droits d’appel, on exige
une moins grande équité procédurale que si la décision rendue est définitive.
Si la décision touche de quelque façon que ce soit les droits de la personne
ou ceux définis par la Charte,
ou encore invoque les obligations internationales du gouvernement, les cours
accordent habituellement plus d’importance à l’équité procédurale. Si l’objet
du processus a des attentes légitimes en matière d’équité procédurale, les
cours en exigeront également davantage.
Enfin, les
décisions du corps administratif en elles-mêmes serviront à déterminer si le
devoir d’équité procédurale a été respecté. Lorsqu’un corps administratif ou un
décideur peut fournir des justifications écrites qui prouvent le respect des
politiques et des directives officielles ainsi que des faits relatifs au cas
dont il est question, il est bien plus probable qu’une cour de justice juge que
cette décision a été prise équitablement.
Les cours
peuvent conclure que le devoir d’équité procédurale a été négligé si les
mesures prises par l’administrateur ne l’ont pas été d’une manière équitable,
si un délai non nécessaire a empêché la personne concernée de prendre part au
processus, si le décideur s’est montré biaisé, ou s’il y a eu interférence
indue dans le processus décisionnel. Si une cour constate un manquement au
devoir d’équité, elle peut révoquer la décision et exiger que le processus soit
refait correctement; il peut aussi suspendre les procédures dans le cas d’un
retard préjudiciable.
Les droits d’appel
La capacité
d’un citoyen de remettre en cause une décision administrative au tribunal
dépend de la possibilité d’un appel
ou d’un examen judiciaire
ainsi que du statut de l’individu qui se présente devant la cour
. Les droits d’en appeler à une
décision de la cour sont généralement définis par la loi. Dans d’autres
situations, les parties peuvent se fier à la capacité historique et constitutionnelle
des cours de justice « supérieure » d’examiner les mesures prises par
des corps administratifs « inférieurs ». (Voir Cours de justice au Canada
.) L’examen judiciaire impliquait
jadis des recours de « prérogatives »
ayant chacun leurs exigences techniques et juridiques. Aujourd’hui, dans la
majorité des provinces, des réformes légales ont simplifié ces procédures. Il
existe maintenant un recours unique appelé « contrôle judiciaire »,
qui englobe les recours d’autrefois tout en conférant aux cours le pouvoir
discrétionnaire de ne pas intervenir dans les affaires administratives.
Les cours
supérieures de chaque province sont responsables d’accorder ces recours lorsque
les mesures administratives provinciales sont remises en question. Les
décisions ou les mesures prises par un corps administratif fédéral sont
examinées par la Cour fédérale du Canada
. N’importe quelle décision
administrative peut être examinée. Par exemple, en 2014, un avocat a intenté
une poursuite contre le premier
ministre Stephen
Harper et le Gouvernement du Canada pour avoir nommé à la Cour
suprême du Canada un juge qui n’était pas suffisamment qualifié selon la Constitution.
Le second
facteur pouvant influencer la possibilité pour un individu de se voir accorder
le contrôle judiciaire d’une mesure administrative concerne le statut de
l’individu qui intente la procédure. Dans plusieurs cas, l’individu en question
est directement touché par une décision en particulier, telle que la
suppression d’une pension
d’invalidité. Cela ne pose pas
problème. Dans d’autres cas, les individus qui en appellent à la
constitutionnalité d’une loi peuvent chercher à défendre l’intérêt public. Les
cours de justice permettent à ces derniers de procéder s’ils sont en mesure de
démontrer que la validité d’une loi peut sérieusement être mise en doute et s’il
n’y a aucun autre moyen efficace ou raisonnable de faire passer l’affaire
devant un tribunal.
Dans la
majorité des cas, le recours d’un citoyen se limite à faire annuler une
décision administrative. La cour peut, à l’occasion, accorder la réparation
demandée (p. ex., délivrer un permis qui avait été refusé) ou, comme c’est plus
souvent le cas, la cour peut renvoyer l’affaire devant un organisme administratif
afin qu’il revoie sa décision en se fondant sur une interprétation correcte de
la loi
ou sur l’interprétation de
faits vérifiables et pertinents. Dans de rares cas (p. ex., lorsque la mesure
administrative est non seulement illégale, mais intentée de mauvaise foi), une
indemnité peut être accordée pour les dommages subis. Dans l’affaire Roncarelli c. Duplessis
, notamment, la Cour suprême du Canada ordonne au premier ministre
du Québec
de verser 25 000 $
en dommages et intérêts pour avoir révoqué un permis d’alcool simplement parce
qu’il désapprouvait des convictions religieuses
du détenteur de ce permis.
Dans
certaines situations, la loi prévoit que la décision du tribunal
ne peut faire l’objet d’un
appel ou d’un contrôle judiciaire. Cela se produit habituellement dans des
domaines spécialisés tels que les relations de travail
. Les cours de justice n’ont pas
toujours l’expérience ou les connaissances nécessaires pour rendre une décision
définitive. Ces restrictions sur les appels n’empêchent pas les cours de
justice d’examiner les décisions des tribunaux en question si ceux-ci
outrepassent leur compétence. Toutefois, les cours semblent admettre que ces
tribunaux peuvent prendre des décisions que la cour elle-même n’aurait pas
prises, soit à cause de son interprétation de la loi qui s’applique ou de son
interprétation des faits. Dans de pareils cas, la Cour suprême a établi que le
tribunal outrepassait sa compétence seulement s’il en venait à une décision
considérée comme déraisonnable. Les cours tendent à ne pas intervenir lorsqu’il
est question de domaines spécialisés ou techniques. C’est le cas même lorsque
les organismes administratifs ne sont pas protégés par ce genre de clauses. Parmi
ces domaines, on compte les professions de la santé, la sécurité, l’aménagement urbain
, l’énergie nucléaire
et les droits de la personne
.
La norme de contrôle
Les cours
doivent tôt ou tard décider quelle déférence accorder à un décideur
administratif : c’est ce que l’on appelle la norme de contrôle judiciaire.
Les cours évaluent une décision pour déterminer si elle est raisonnable ou
correcte selon les circonstances. Des cas semblables ou la loi habilitante
peuvent définir ce critère. Telle que décrite ci-dessus, la décision n’est pas
tenue d’être la même que celle qu’aurait prise la cour, mais elle doit avoir
été prise de manière raisonnable. Habituellement, la raisonnabilité est la
première norme pour l’examen des faits, du droit de réserve, des politiques ou
d’une question mixte de fait et de droit. Ceci s’explique par le fait que les
décideurs administratifs sont plus près des preuves. Ils possèdent donc sur le
sujet de plus grandes connaissances que la cour. Les cours adoptent une « approche
fonctionnelle et réaliste » lorsqu’il s’agit d’établir une norme de
contrôle. Les cours examinent les décisions en en évaluant l’exactitude. En
d’autres mots, elles veillent à ce que la décision du corps administratif soit
cohérente avec les conclusions de la cour. Cela s’applique à ce qui a trait à
la compétence, au partage constitutionnel des pouvoirs, ou à des enjeux qui
sont « d’une importance fondamentale pour le système judiciaire ».
Le droit administratif et
les peuples autochtones
Afin de décider
dans quelle mesure le gouvernement doit consulter les peuples autochtones
(selon ce que prescrit l’obligation de consulter
), les cours de justice s’assureront
que le corps administratif concerné a fait preuve de raisonnabilité. Les cours
peuvent appliquer des normes de contrôle selon la gravité du comportement
délinquant examiné.
Il arrive
également que le gouvernement s’appuie sur des corps ou des procédés
administratifs pour déléguer son obligation de consulter. Dans ce cas,
toutefois, le corps administratif est tenu d’agir conformément à l’obligation
constitutionnelle de consulter les peuples autochtones et aux principes du
droit administratif. En d’autres termes, la procédure doit être équitable et
entreprise avec sérieux, doit prendre en compte les droits des Autochtones et
évaluer les impacts que la décision aura sur eux, et peut, enfin, être soumise
à un contrôle judiciaire.
Voir aussi Primauté du droit; Droit constitutionnel; Droit criminel; Tribunaux administratifs au Canada; Arbitrage; Bureaucratie.