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Édition de langue française

Il est généralement admis qu'il n'y a pas d'édition en Nouvelle-France sous le régime français. Les premières presses sont installées à Québec par William Brown et Thomas Gilmore en 1764 et à Montréal par Fleury Mesplet en 1776.

Édition de langue française

Il est généralement admis qu'il n'y a pas d'édition en Nouvelle-France sous le régime français. Les premières presses sont installées à Québec par William Brown et Thomas Gilmore en 1764 et à Montréal par Fleury Mesplet en 1776. Ces presses servent principalement à l'impression des JOURNAUX, mais aussi à remplir des commandes du gouvernement, de l'armée, du clergé et de divers commerçants. C'est ainsi que les premières publications françaises ou bilingues sont des textes officiels du gouvernement, des lettres pastorales des évêques, des livres religieux, des manuels et des annonces publicitaires.

Au cours du XIXe siècle, on importe encore la plupart des livres, et le commerce est largement dominé par les Anglais, en vertu des lois sur la navigation, qui ne seront abrogées qu'en 1849. Peu d'oeuvres littéraires sont l'objet de tirages significatifs. Une bonne partie de celles du XIXe siècle est publiée en feuilletons dans les journaux ou MAGAZINES, sauf les Épîtres, satires de Michel Bibeau (1830), L'Influence d'un livre de Philippe-Ignace-François AUBERT DE GASPÉ (1837) et Les Fiancés de 1812 de Joseph DOUTRE (1844).

Puisque l'auteur doit être assuré de vendre pour être édité, de nombreux écrivains fondent des revues littéraires. Ainsi, J.O. Letourneux fonde en 1845 la Revue canadienne, dont L'Album est consacré à la littérature, et le journal La Minerve lance en 1849 L'Album littéraire et musical de la Minerve. En 1848, James Huston, dans le Répertoire national (1848-1850), publie une anthologie d'oeuvres littéraires parues à l'origine dans des journaux, et Henri-Émile Chevalier fonde La Ruche littéraire en 1853 dans le même but. Puis vient l'époque des grandes revues littéraires nationales : LES SOIRÉES CANADIENNES (1861), Le Foyer canadien (1863) et La Revue canadienne (1864) (voir PÉRIODIQUES LITTÉRAIRES DE LANGUE FRANÇAISE).

L'essor des écoles et des universités à compter de 1860 favorise grandement l'édition. La maison Beauchemin est fondée à Montréal en 1842, mais c'est Québec qui devient le centre de l'édition. D'abord simples imprimeurs, les fabricants de livres deviennent imprimeurs-éditeurs ou éditeurs-libraires et doivent s'occuper des textes en plus de fournir le matériel d'impression. Dans sa préface à Charles Guérin (1853), Georges-Hippolyte Cherrier est le premier à définir l'édition comme une profession.

L'État confie à l'Église la responsabilité de l'enseignement, et les communautés religieuses, en affermissant leur position au milieu du XIXe siècle, prennent en charge la production et la distribution des manuels scolaires. Les frères des Écoles chrétiennes fondent leur librairie en 1877, suivis en cela par la Congrégation de Notre-Dame (1881), la Librairie Saint-Viateur (1887), les frères de l'Instruction chrétienne (1900) et les frères du Sacré-Coeur (1902).

Il en va ainsi jusqu'en 1960, les manuels scolaires constituant le gros de l'édition au Québec jusqu'à la fondation du ministère de l'Éducation en 1964. Cette situation occasionne certains abus, lesquels sont dévoilés en 1964 dans le rapport Bouchard qui révèle que les éditeurs de manuels scolaires sont souvent ceux-là même qui en recommandent l'inclusion dans les listes officielles du Comité catholique de l'instruction publique.

À part un renouveau nationaliste, l'édition connaît peu de changements importants pendant la première moitié du XXe siècle. Les fondateurs de divers petits journaux, comme Le Nationaliste, Le Semeur, La Libre parole et surtout LE DEVOIR (1910), favorisent une littérature qui s'adresse surtout aux collèges classiques. La fondation de l'ACTION FRANÇAISE par Lionel GROULX en 1917 marque l'apogée de ce mouvement. La librairie de l'Action française ne tarde pas à devenir le point de vente des publications nationalistes. Groulx doit toutefois se retirer de l'édition lorsque le pape Pie XI condamne le mouvement en France. Albert Lévesque reprend le flambeau en 1926 et devient le principal éditeur d'oeuvres nationalistes.

L'Action française a toutefois ses opposants, comme le prouve la fondation de revues telles La Relève et Les Idées en 1934, cette dernière publie son premier numéro en janvier 1935. Toujours en 1934, Albert Pelletier fonde les Éditions du Totem, qui marquent l'histoire de l'édition au Québec. Malgré tout, les oeuvres importantes comme Les Engagés du Grand Portage de Léo-Paul DESROSIERS, Né à Québec d'Alain GRANDBOIS et TRENTE ARPENTS de Philippe PANNETON sont publiées à Paris.

La défaite de la France en 1940 est un événement significatif pour l'édition au Québec. De nombreux écrivains, qui ont fui le régime de Vichy pour conserver leur liberté d'expression, s'adressent à des éditeurs de New York ou de Sao Paulo, mais la plupart préfèrent Montréal. De 1940 à 1946, 21 millions de livres sortent des presses montréalaises. Le marché est nettement dominé par Fides et Variétés, mais de nouvelles maisons d'édition font leur apparition : L'Arbre-Robert Charbonneau, Les Éditions du Lévrier, Les Éditions du Lumen, Les Éditions du Mangin, Gérard Parizeau, la Société des Éditions Pascal, Jean-Guy Pilon, Victor Serge et Bernard Valiquette.

À la fin de la guerre, cependant, des écrivains français dénoncent le monopole exercé par les éditeurs de Montréal, accusation à laquelle Robert CHARBONNEAU répond par un livre, La France et nous (1947). Bien que l'après-guerre soit difficile pour les éditeurs montréalais, dont plusieurs font faillite, le bilan est positif : les éditeurs québécois ont acquis l'expérience du métier et se sont libérés de l'emprise du clergé et des mouvements nationalistes.

Une fois la paix rétablie, l'édition se concentre à nouveau sur les manuels scolaires. La prospérité générale qui règne à l'époque accroît le nombre des élèves qui sont les grands consommateurs de livres. Aux maisons d'édition déjà bien établies, comme Beauchemin, Granger et Fides, se joignent bientôt le Centre pédagogique (1940), le Centre de pédagogie et de psychologie (1945), le Centre éducatif et culturel (1959), les Éditions du pélican, les Éditions pédagogiques (1960) et les Presses de l'Université Laval (1950).

Le succès de romanciers comme Gabrielle ROY et Roger LEMELIN prouve que les éditeurs québécois sont en mesure de produire autre chose que des manuels scolaires. Fides se tient en général à l'écart des oeuvres de fiction, mais ajoute à son catalogue L'Histoire de la province de Québec de Robert Rumilly et d'autres ouvrages d'histoire, dont ceux de Guy Frégault et de Marcel Trudel. Pierre Tisseyre fonde le Cercle du livre de France, un club du livre qui garantit une clientèle aux oeuvres de fiction et décerne un prix annuel. C'est d'ailleurs ainsi que sont lancés Françoise LORANGER, André LANGEVIN et d'autres auteurs dont les oeuvres font maintenant partie des classiques.

En dépit de ce succès, l'édition québécoise éprouve des problèmes graves. Il n'y a pas à proprement parler de réseau de distribution. Les libraires s'établissent de préférence à Montréal et à Québec de sorte que des villes de 10 000 habitants n'ont souvent pas de librairie. Les grandes maisons comme Beauchemin, Fides, Granger et Dussault ainsi que d'autres plus récentes écoulent 70 p. 100 de leur production auprès des institutions d'enseignement. Le reste ne suffit pas à faire vivre les librairies régionales. De plus, le réseau des bibliothèques en est à ses premiers balbutiements, et les maisons d'enseignement exercent une surveillance sévère sur les lectures de leurs élèves. En fait, le marché du livre est si restreint que seuls les ouvrages pédagogiques sont viables.

La littérature continue toutefois à évoluer. Au cours des années 60, des éditeurs jouent un rôle de premier plan dans la RÉVOLUTION TRANQUILLE. Gaston MIRON, qui fonde les Éditions de l'hexagone en 1953, rassemble les poètes du Québec, proclamant qu'ils appartiennent au « pays du Québec ». La revue Écrits du Canada français fait connaître de nombreuses oeuvres littéraires. Les Éditions parti pris adoptent un ton anticlérical et anticolonialiste. Certaines petites maisons, par exemple, les Éditions Erta et les Éditions Orphée, se consacrent à la poésie; Leméac ne publie que du théâtre. D'autres éditeurs explorent le marché courant. Les Éditions de l'homme et les Éditions du jour, qui mettent l'accent sur les événements et la politique, introduisent au Québec la mise en marché de masse. Par l'entremise d'agences, ils rejettent le carcan des librairies et s'introduisent dans les tabagies, les supermarchés, les pharmacies et les gares. Néanmoins, l'édition est toujours en difficulté.

Vers la fin des années 60, les éditeurs dépendent du gouvernement plus que jamais. Leur association, constituée dans les années 40, fait en 1961 des représentations auprès du ministère provincial des Affaires culturelles, fondé peu de temps auparavant. Celui-ci réagit en faisant adopter, l'année suivante, la Loi d'aide à l'édition. Le ministère établit une direction des lettres et des arts, qui entraîne la formation du Conseil supérieur du livre, fédération des associations d'éditeurs et de libraires destinée à conseiller le ministère sur les questions d'édition.

Le rapport Bouchard sur la diffusion de la culture, déposé en 1964, propose notamment la création d'un organisme central du livre. Une loi adoptée en 1965 pour établir un cadre d'accréditation des librairies jette les premiers jalons d'une politique gouvernementale du livre. Elle présente cependant une lacune en ce sens qu'elle n'élimine pas les grossistes. C'est par la force des circonstances que le gouvernement en vient à prendre des mesures plus efficaces.

À compter de 1960, les grands éditeurs français manifestent de l'intérêt pour le marché québécois, qui croit à un rythme annuel de 12 p. 100. En 1968, Hachette, par l'entremise des Messageries internationales (MIL), s'impose à toutes les librairies québécoises comme distributeur exclusif d'ouvrages français. Cette situation inquiète le Conseil supérieur du livre qui craint de voir tomber entre des mains étrangères toute l'édition et la distribution d'ouvrages en langue française au Québec. Ces craintes sont confirmées quand Hachette se porte acquéreur des librairies Garneau.

Le gouvernement du Québec ne réagit qu'en 1973, en adoptant trois lois obligeant les établissements qu'il subventionne à acheter leurs livres québécois et étrangers auprès de librairies accréditées dont les intérêts sont québécois à au moins 50 p. 100. Cette deuxième étape en vue d'une politique officielle du livre porte fruit en 1976 avec la parution du livre vert de Jean-Paul L'Allier, qui présente une analyse rigoureuse des grands problèmes de l'édition au Québec : omniprésence des grandes maisons étrangères, absence de points de vente à l'étranger, insuffisance du réseau de bibliothèques publiques et scolaires, prix élevé des livres, faible protection accordée aux auteurs, absence d'un réseau adéquat de distribution et efforts insuffisants du gouvernement en vue d'établir une véritable politique du livre.

Cette analyse inspire d'ailleurs la publication en 1978 du livre blanc intitulé La Politique québécoise du développement culturel. Malheureusement, le manque de fonds empêche l'application de ces recommandations, et les éditeurs se tournent vers Ottawa, délaissant Québec.

La fondation du CONSEIL DES ARTS DU CANADA, en 1957, marque les premiers pas, timides, il est vrai, du gouvernement fédéral dans le domaine de la culture, jusque-là de compétence provincia1e. Les budgets du Conseil sont au départ trop modestes pour soulever des objections, mais avec le temps, et surtout en raison du mouvement indépendantiste au Québec, les subventions augmentent et deviennent la source la plus accessible d'aide à l'édition. Les éditeurs, qui bénéficient de revenus provinciaux et fédéraux, augmentent considérablement leur catalogue dans les années 70 : 3997 titres en 1977 comparativement à 819 en 1968.

Ce fait n'est pas attribuable exclusivement aux subventions. Comme les éditeurs prennent moins de risques, ils relâchent leurs critères de sélection. Des critiques estiment que la quantité n'améliore en rien la qualité, mais la situation tient probablement surtout aux changements sociaux.

Après 1968, la littérature cède le pas aux sciences humaines et sociales en tant que véhicule des idées, des tendances sociales et des aspirations. La nouvelle génération de lecteurs, dont un grand nombre détient un diplôme universitaire, travaille dans les domaines de l'éducation et de la culture tels que la fonction publique, la radio, la télévision, les journaux et les universités. Des ouvrages spécialisés sur l'administration et les sciences politiques prennent place auprès des ouvrages pédagogiques et littéraires. Les presses universitaires (suivies plus tard de Gaëtan Morin) acquièrent une part importante de ce marché, mais d'autres éditeurs tentent d'équilibrer leur catalogue grâce à un mélange d'ouvrages théoriques, pratiques et de fiction. Les nouvelles maisons comme La Presse, HMH, Québec Amérique, les Quinze, Alain Stanké et VLB éditeur mettent encore l'accent sur la littérature quoiqu'elles touchent également une vaste gamme de sujets.

Malgré la protection offerte par la politique du gouvernement, l'importance des subventions et l'accroissement du nombre de lecteurs, l'édition québécoise connaît encore des difficultés en raison surtout d'un marché restreint. Les récessions, comme celles de 1982 et de 1990, peuvent avoir de sérieuses répercussions pour nombre d'éditeurs.