Henrietta Louise Edwards (née Muir), militante pour les droits des femmes, réformatrice, artiste (née le 18 décembre 1849 à Montréal, Canada-Est, décédée le 9 novembre 1931 à Fort Macleod, en Alberta). Henrietta Edwards lutte dès le jeune âge pour les droits et l’éducation des femmes, ainsi que pour leur travail et leur santé. Elle contribue à fonder un grand nombre de mouvements, de sociétés et d’organisations visant à améliorer la vie des femmes. Elle est l’une des cinq requérantes, ou « Cinq femmes célèbres », dans l’affaire « personne », la campagne réussie pour que les femmes soient déclarées des personnes aux yeux du droit britannique. Cependant, ses opinions sur l’immigration et l’eugénisme ont été critiquées comme étant racistes et élitistes. Henrietta Muir Edwards a été nommée Personnalité d’importance historique nationale en 1962 et sénatrice honoraire en 2009.
Jeunesse et éducation
Henrietta Muir est l’une des sept enfants de Jane et William Muir. Les Muir sont alors une prospère famille de marchands-tailleurs de Montréal. Fortement guidée par sa foi évangélique, la famille Muir est à l’origine de la construction de la chapelle de St. Helen – la première chapelle baptiste de Montréal — ainsi que du Collège Baptiste de Montréal.
Selon l’historienne Patricia Roome, Henrietta tire une grande partie de ses convictions sur les droits juridiques des femmes de la « foi religieuse démocratique » de ses parents. Leur contrat de mariage est notamment progressif pour l’époque : il « garantit que Jane [Muir] aurait sa propre propriété et serait protégée de toute responsabilité juridique quant aux obligations commerciales et aux dettes personnelles de William ». Henrietta fait une copie du contrat de mariage de ses parents avant son propre mariage en 1876. En outre, dans son testament, son grand-père stipule une division équitable de sa succession entre ses enfants, et ce, sans égard au sexe.
Henrietta Edwards est à la fois instruite à domicile et dans des écoles privées de Montréal. Là, elle fait la connaissance de femmes fortes faisant figure de modèles : des directrices d’école et autres organisatrices qui luttent pour l’inclusion des femmes dans le milieu universitaire. (Voir Femmes et éducation.)
Philanthropie
En 1874, Henrietta Edwards demande à son père et à d’autres investisseurs de louer une maison à Montréal. Elle et sa sœur Amelia l’utilisent pour ouvrir la Young Women’s Reading Room, faisant office de bibliothèque et de lieu de rassemblement pour réunions religieuses et activités sociales.
Les sœurs œuvrent également au sein de la Working Girls Association (plus tard renommée Working Women’s Association, ou WWA). Il s’agit d’un projet philanthropique de promotion de l’autonomie chez les jeunes femmes. Soutenue par l’Église baptiste ainsi que par le père d’Henrietta Edwards et ses collègues, la WWA fournit aux jeunes femmes un logement, une formation et un soutien abordables. Henrietta, qui est plus tard nommée unique administratrice, contribue au financement de l’association par la vente de ses œuvres.
Art
Henrietta Edwards n’est pas admissible, en tant que femme, aux écoles d’art de Montréal. Elle se tourne donc vers la formation privée. En 1876, elle se rend à New York pour étudier auprès de la portraitiste renommée Wyatt Eaton. Elle devient à son tour une artiste accomplie, réalisant des portraits miniatures de personnalités comme Wilfrid Laurier (un ami personnel) et lord Strathcona. Ses tableaux sont exposés à l’Art Association of Montreal, à l’Ontario Society of Artists et à l’Académie royale des arts du Canada. En 1893, le gouvernement fédéral retient ses services pour peindre un ensemble de porcelaine pour le pavillon du Canada à l’Exposition universelle de Chicago.
Mariage et famille
En 1876, Henrietta Edwards épouse le Dr Oliver C. Edwards. (À leur cérémonie intime, le garçon d’honneur n’est nul autre que le Dr William Osler.) Les jeunes mariés emménagent dans la maison Muir alors que le Dr Edwards établit sa pratique médicale. Entre 1878 et 1885, ils donnent naissance à trois enfants : Alice, William et Margaret.
Woman’s Work in Canada
En 1878, Henrietta Edwards et sa sœur Amelia lancent Woman’s Work in Canada, une publication mensuelle considérée comme le tout premier magazine canadien s’adressant aux travailleuses. La publication se démarque pour l’époque, en ce qu’elle n’emploie que des femmes et qu’elle les forme de manière à ce qu’elles se chargent elles-mêmes de l’impression. Les deux sœurs établissent également le Montreal Women’s Printing Office en 1878. Pendant ce temps, Henrietta Edwards continue de peindre dans son studio et d’y exposer ses œuvres. Les recettes tirées de celles-ci sont consacrées à ses activités philanthropiques, y compris Woman’s Work.
Expertise juridique
En 1883, la famille Edwards met le cap vers l’Ouest, à destination d’Indian Head, Territoires du Nord-Ouest (aujourd’hui en Saskatchewan), le Dr Edwards étant envoyé en affectation sur les réserves des Premières Nations en tant que médecin du gouvernement. Henrietta Edwards se met alors à étudier le droit canadien à temps perdu, et plus particulièrement les codes concernant les femmes et les enfants. (Voir aussi Code criminel au Canada.)
Lorsque son mari tombe malade en 1890, elle et sa famille s’installent à Ottawa. Elle fait alors la rencontre de lady Ishbel Aberdeen, l’épouse du gouverneur général, avec laquelle elle finit par unir ses forces, l’aidant à fonder de nombreux organismes. Les aptitudes d’organisation d’Henrietta Edwards et de création de règlements cohérents, ainsi que ses talents de communicatrice, sont indispensables dans l’établissement des Infirmières de l’Ordre de Victoria du Canada, du Conseil national des femmes du Canada (CNFC) et de la Young Women’s Christian Association d’Ottawa.
Lady Aberdeen la nomme responsable du comité du droit du CNFC.
Dans les premiers temps, lady Aberdeen ne sait trop que penser d’Henrietta Edwards, écrivant qu’elle n’était « pas très connue, peu pratique et agressivement évangélique, compte tenu du poste qu’elle est appelée à occuper, impliquant de nombreux contacts avec des [catholiques] ». Néanmoins, au cours des trente années pendant lesquelles Henrietta Edwards occupe ce poste, elle rédige deux manuels juridiques pour les femmes : Legal Status of Canadian Women (1908), et Legal Status of Women of Alberta (1916). La deuxième édition est « émise par et sous autorité du procureur général de l’Alberta » en 1921.
Lorsque des associations ont besoin d’un coup de main dans la rédaction de résolutions, de pétitions et de documents officiels, elles font appel à l’expertise juridique d’Henrietta Edwards. S’y connaissant bien en droit des femmes et des enfants, elle ne se tourne pas vers les avocats ou les juges pour obtenir de l’aide. On dit même que ceux-ci se tournent plutôt vers elle pour obtenir conseil. Elle ne s’inscrit toutefois jamais à l’école de droit, ne tente pas d’être admise au Barreau et ne possède aucune formation juridique formelle.
Droit de vote des femmes au Canada
Le Dr Edwards retourne en Alberta, où il a du mal à gagner sa vie jusqu’au moment d’être nommé médecin auprès des Kainai (Gens-du-Sang) et des Piikani (Peigans), en 1901. Deux ans plus tard, la famille Edwards s’installe dans les environs de Fort MacLeod. Henrietta Edwards se joint à la Woman’s Christian Temperance Union (WCTU), tout en devenant vice-présidente du chapitre des Territoires du Nord-Ouest du CNFC. C’est par l’entremise de la WCTU qu’elle s’engage dans des campagnes en faveur du droit de vote des femmes et de l’égalité de leurs droits. À l’époque, tant le CNFC que la WCTU se concentrent sur la réforme des prisons, les allocations financières pour les femmes et l’égalité dans les cas de divorces. Le CNFC ne soutient toutefois pas encore officiellement le droit de vote des femmes.
Voici ce qu’Henrietta Edwards déclare sur le droit de vote des femmes dans un manuel du CNFC de 1900 :
« La femme est reine à domicile, mais malheureusement, les lois qu’elle y impose se limitent aux quatre murs de son foyer […] Pour que ses lois, écrites ou non, soient adoptées à l’extérieur de son domicile, elle doit également se tailler une place dans le monde politique, ce qu’elle fait déjà. »
Henrietta Edwards fait campagne sans relâche pour le droit de vote des femmes. Elle organise des campagnes, fait circuler des pétitions et participe à de nombreuses réunions. Les femmes de la province remportent le droit de voter et de se présenter aux élections provinciales en Alberta, le 19 avril 1916.
Loi sur le douaire (1917)
En aidant son mari dans le cadre de ses tournées médicales, Henrietta Edwards observe que les femmes et les enfants des Prairies sont souvent en difficulté après un divorce ou le décès du mari, ou encore lorsque le mari vend à son profit la maison familiale, même si celle-ci a été acquise avec l’argent de la femme. Elle travaille avec la juge Emily Murphy et la députée provinciale indépendante Louise McKinney dans les efforts d’adoption de la Loi sur le douaire (1917) par l’Assemblée législative de l’Alberta. Cette loi constitue un élément législatif vital protégeant les droits de propriété des femmes mariées. (Voir Douaire.)
Affaire « personne »
En août 1927, Emily Murphy, première femme juge au Canada, invite Henrietta Edwards, Irene Parlby, Louise McKinney et Nellie McClung à une rencontre à son domicile d’Edmonton. Emily Murphy vient alors de rédiger soigneusement une pétition qu’elle souhaite présenter à la Cour suprême du Canada en ce qui concerne l’interprétation du mot personne dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (maintenant la Loi constitutionnelle de 1867). À l’époque, les femmes sont exclues de la définition du terme personne en vertu de la Constitution.
Emily Murphy et ses collègues militantes signent la pétition. La signature d’Henrietta Edwards étant la première apposée, la cause est baptisée Edwards c. Procureur général du Canada. La pétition demande essentiellement à la Cour suprême si le terme « personne » comme utilisé à l’article 24 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 inclut les femmes. Si la Cour suprême statue que les femmes sont des personnes, la Constitution permettrait aux femmes d’être nommées au Sénat du Canada.
Dans son jugement du 24 avril 1928, la Cour suprême rejette la requête. Cela ne sonne toutefois pas le glas du combat. D’abord surnommées les « Cinq Albertaines » et plus tard les « Cinq femmes célèbres », elles soumettent leur requête au plus haut tribunal, le Comité judiciaire du Conseil privé en Angleterre (la plus haute cour d’appel du Canada jusqu’en 1949).
Le 18 octobre 1929, après de longues délibérations, le Conseil privé annule la décision de la Cour suprême. Il conclut que « le mot “personnes” dans l’article 24 inclut les femmes, et que les femmes peuvent être convoquées et devenir membres du Sénat du Canada ». Lord Sankey, qui a rendu le jugement au nom du Conseil privé dans ce qui est devenu l’affaire « personne », a également fait remarquer que « l’exclusion des femmes de toutes les fonctions publiques est un vestige d’une époque plus barbare que la nôtre [...] et à ceux qui demandent pourquoi le mot [personnes] devrait inclure les femmes, la réponse évidente est pourquoi il ne le devrait pas ».
Comme l’écrit Henrietta Edwards l’année suivante : « La joie ressentie dans l’ensemble du Canada n’était pas tellement en raison de l’accès des femmes au Sénat, mais surtout de la reconnaissance de l’entité personnelle des femmes, de leur individualité distincte en tant que personnes ».
Eugénisme
Comme les Cinq femmes célèbres, Henrietta Edwards est critiquée pour ses idées racistes et élitistes et parce qu’elle soutient le mouvement eugénique, une pseudoscience qui adhère à l’idée que la population humaine peut être améliorée grâce au contrôle de la reproduction. Plusieurs personnalités canadiennes, influentes comme J. S. Woodsworth, Tommy Douglas et le Dr Clarence Hincks, soutiennent les idées eugéniques au début des années 1900. (Voir Tommy Doulgas et l’eugénisme.)Ils font la promotion de l’eugénisme « positif » (promotion de la sélection des membres « sains » de la société) et « négatif » (découragement de la procréation par ceux considérés « non sains »). Les eugénistes prétendent que les « déficients mentaux » et les « faibles d’esprit » sont prédisposés à l’alcoolisme, à la promiscuité, aux maladies mentales, à la délinquance et aux comportements criminels, ce qui menace la bonne morale de la communauté. Ces inquiétudes mènent à l’accroissement du soutien à la législation eugénique, y compris la stérilisation des « défectueux ».
Henrietta Edwards est aussi animée d’opinions nativistes – ou teintées de préjugés – envers l’immigration non anglo-saxonne. Ses opinions raciales sont néanmoins complexes. Comme responsable du Comité de droit du CNFC, elle plaide en faveur de l’égalité juridique pour les femmes autochtones, déclarant par écrit que « ces législations permettront d’élever le statut social de nos femmes indiennes et de permettre une protection juridique égale à celle dont jouissent nos femmes blanches ». Malgré sa nomination comme représentante du CNFC auprès du Comité du Conseil de Service social des Affaires indiennes en 1921, ses idées ne sont pas prises en considération par le ministère des Affaires indiennes.
En 1928, Henrietta Edwards est nommée au Comité consultatif sur la santé du gouvernement de l’Alberta. La même année, la Sexual Sterilization Act (loi sur la stérilisation sexuelle) est adoptée. La loi demeure en vigueur jusqu’en 1972. Henrietta Edwards estime que la loi contribuera à mettre un terme à la « perversion morale ».
Entre 1933 et 1973, une loi similaire entre en vigueur en Colombie-Britannique. À l’époque, des milliers de personnes considérées comme « psychotiques » ou « déficientes mentales » subiront ainsi la stérilisation forcée. Un nombre disproportionné d’entre elles sont des femmes autochtones. (Voir aussi Stérilisation sexuelle des femmes autochtones au Canada.)
Héritage
Henrietta Edwards meurt le 9 novembre 1931 à Fort Macleod, en Alberta. Elle est alors âgée de 81 ans.
En 1962, elle est nommée personne d’importance historique nationale par le gouvernement du Canada. En octobre 2009, soit 80 ans après l’affaire « personne », le Sénat vote pour décerner aux Cinq femmes célèbres le statut de sénatrices honoraires. C’est la première fois que le Sénat accorde une telle distinction.
Le 18 décembre 2014, le moteur de recherche Google affiche un « Doodle » illustré par la bédéiste Kate Beaton pour célébrer Henrietta Edwards, à l’occasion du 165e anniversaire de naissance de celle-ci. Elle déclare alors : « Henrietta était une femme qui a fait bouger les choses et qui s’est battue avec une conviction inébranlable. Le Canada peut se compter choyé de l’avoir eue comme citoyenne ».
Voir aussi Mouvements de femmes au Canada; Condition féminine; Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada; Conseil du statut de la femme; Femmes et loi; Organisations féminines.