Le
développement de l’énergie électrique au Canada au 19e siècle est allé de pair
avec les progrès de la technologie de l’éclairage et de l’industrialisation.
Photo prise par N.M. Hinshelwood.
(Image MP-1985.31.163 © Musée McCord est autorisée par CC BY-ND-NC 2.5 CA.)
Sources d’électricité
Le
physicien italien Alessandro Volta a inventé la première pile électrique en
1800. Son appareil convertissait l’énergie chimique en courant électrique. C’est
le début d’une période d’expériences scientifiques sur le courant électrique
(et non sur l’électricité statique) avec différentes sortes de batteries. L’énergie
des piles est appelée courant continu (c.c.). Le c.c. constitue, à bien des
égards, la forme la plus simple de l’énergie électrique.
Les
premières dynamos (génératrices) sont développées en Europe dans les années 1830.
Ces appareils produisent de l’électricité à l’aide de l’énergie mécanique et
créent un courant qui s’inverse périodiquement (aujourd’hui appelé courant
alternatif ou c.a.). Les premiers expérimentateurs ne savent pas comment
utiliser le c.a. et doivent munir leurs dynamos d’un collecteur afin de
produire du c.c.
Les
nouvelles dynamos et batteries sont une source fiable d’énergie pour leurs
expériences. Grâce à ces outils, les scientifiques et les ingénieurs sont
capables d’expérimenter avec l’électricité de deux nouvelles façons : la
première est la communication (le télégraphe), l’autre l’éclairage (la lampe à
arc). Tous deux nécessitent un équipement très simple.
Éclairage à arc
Les lampes
à arc créent de la lumière en faisant jaillir une étincelle qui passe d’une
électrode à l’autre. Cette lumière brille bien plus que toutes les sources d’illumination
jamais inventées auparavant. Cela étant dit, l’éclairage à arc présente
quelques inconvénients, dont celui de nécessiter une tension assez élevée pour
créer l’étincelle. De plus, les lampes montées en série doivent être alimentées
avec une tension constante. Cela signifie qu’il est difficile de les allumer et
de les éteindre individuellement. Finalement, pour démarrer les premières
lampes, il faut les court-circuiter, c’est-à-dire mettre les électrodes en
contact, puis les séparer après la création de l’étincelle. Le fonctionnement
des lampes provoque l’usure d’une électrode. Il faut donc les régler
manuellement presque chaque jour. Ces inconvénients rendent les lampes à arc
très peu pratiques pour l’intérieur. Toutefois, elles conviennent bien pour l’éclairage
extérieur des rues ou de secteurs.
En Europe
et en Amérique du Nord, on effectue des démonstrations d’éclairage à arc. À Montréal,
en 1878, et à Toronto,
en 1879, on monte de petites installations d’essai. À Toronto, en 1881, J.J. Wright
conçoit et installe un des premiers systèmes d’éclairage à arc permanent dans
plusieurs magasins, dont Eaton’s.
Plusieurs entreprises installent à titre d’essai des lampes à arc fonctionnant
avec des génératrices activées à la vapeur. Éventuellement, le droit exclusif
de fournir l’éclairage électrique à Toronto est accordé à la Toronto Electric
Light Co., société issue de la fusion de ces entreprises. À Hull, on
installe l’éclairage à arc dans plusieurs usines. Plus tard, l’Ottawa Electric
Co. fournit l’éclairage à arc à l’aide de dynamos entraînées par une roue hydraulique.
En 1883,
des systèmes d’éclairage à arc permanents fonctionnent déjà dans les rues de
Toronto et Winnipeg. En 1890, de nombreuses autres villes possèdent ces
systèmes, dont Montréal, Ottawa, Hamilton,
Pembroke,
London, Victoria,
Vancouver
et Sherbrooke.
Durant cette période d’expérimentation, des scientifiques et ingénieurs mettent
au point de nouveaux types de lampes à arc. Parmi eux, on compte les systèmes
Jablochkov Candle, Brush et Thomson-Houston, qui donnent un éclairage beaucoup
plus constant.
Éclairage par
incandescence
Entre-temps, plusieurs inventeurs s’emploient à perfectionner une lampe pour l’intérieur qui produirait une lumière moins éblouissante. L’éclairage au gaz reste à la mode pendant des années. On produit différents manchons (qui donnent une flamme incandescente brillante). En 1873, les Torontois Henry Woodward et Mathew Evans mettent à l’essai des lampes incandescentes électriques enfermées dans des ampoules de verre. Thomas Edison aux États-Unis et J. W. Swan au Royaume-Uni s’adonnent à des expérimentations semblables. À titre expérimental, on installe des systèmes d’éclairage Edison à Montréal dès 1882, et à Toronto en 1883. Comme ils ne fonctionnent pas très bien, ils sont retirés. La première installation réussie est celle de l’usine Canada Cotton Co. à Cornwall, en Ontario, vers 1882-1883. Au Québec, l’usine Montreal Cotton Co. de Salaberry-de-Valleyfield se dote d’un système Edison en septembre 1883. L’éclairage électrique est un don du ciel pour les filatures et les scieries poussiéreuses, car il réduit le risque d’incendie.
Le brevet de 1874 du duo torontois intitulé « Electric Light » (lampe électrique).
En 1884, on
commence à produire un éclairage par incandescence dans l’édifice
du Parlement d’Ottawa. En
janvier 1887, à Victoria
en Colombie-Britannique,
on termine la construction d’une centrale considérée comme la première centrale
d’éclairage public par incandescence au Canada. Edison devient bientôt le
principal promoteur de l’éclairage par incandescence à courant électrique
continu aux États-Unis et au Canada. Les génératrices à c.c. ont l’avantage de
pouvoir charger les batteries d’accumulateurs. Les ampoules d’éclairage
utilisent généralement des filaments en carbone à vie brève et à faible
rendement. Des filaments en tungstène et de meilleurs câblages et systèmes de
commande les améliorent. Dans divers secteurs, on met à l’essai des lampes à
incandescence pour éclairer les rues, mais les premières ampoules ne brillent
pas suffisamment pour concurrencer les lampes à gaz ou à arc.
Toutes ces
installations sont conçues pour ne fournir de l’énergie qu’à une zone
restreinte.
Les
expériences sur le courant alternatif se poursuivent durant cette période. Les
ingénieurs découvrent qu’en modifiant le câblage dans la génératrice, ils
peuvent remédier à l’inconvénient de l’énergie alternativement croissante et
décroissante du c.a. monophasé. Cela leur permet d’obtenir un courant diphasé
ou triphasé qui, lui, fournit une énergie plus uniforme. Ils adaptent aussi le
c.a. à l’éclairage à arc et à incandescence, et construisent des moteurs à c.a.
qui rivalisent avec les moteurs à c.c.
L’invention
du convertisseur (aujourd’hui appelé transformateur) marque alors un tournant
dans ce domaine. Cet appareil comprend deux enroulements de dimensions
différentes. La tension dans le premier enroulement (ou enroulement primaire)
induit une tension plus grande ou plus faible (selon le nombre de spires dans
les enroulements) dans le deuxième enroulement (ou enroulement secondaire),
avec une intensité (ampérage) de courant correspondante plus faible ou plus
grande. Les ingénieurs découvrent que plus la tension est élevée, plus les
pertes d’énergie sont réduites. Ainsi, en transformant (en élevant) la tension
de sortie de 2 200 V d’une génératrice à 11 000 V ou 50 000 V ou
davantage, on réduit fortement les pertes d’énergie. Les ingénieurs peuvent
donc, pour la première fois, transporter efficacement de l’énergie sur de
longues distances.
Courant continu ou
alternatif?
Ces
découvertes donnent lieu à une vive concurrence entre les partisans du c.c.
(Edison) et ceux du c.a. (Westinghouse). Entre autres choses, les tenants du
c.c. qualifient la tension alternative du c.a. de « meurtrière ». En
1888, on monte le premier système à c.a. Westinghouse au Canada, à Cornwall
en Ontario.
Deux ans plus tard, des systèmes similaires sont installés dans d’autres régions
du Canada. Plusieurs entreprises semblent avoir adapté leurs centrales à c.c.
de façon qu’elles puissent aussi produire du c.a., surtout pour éclairer
les demeures des clients qui en font la demande.
Un autre utilisateur important de l’énergie électrique apparaît dans les années 1880 : le tramway pourvu d’un moteur électrique à c.c., lequel s’est rapidement répandu dans les zones urbaines. En général, les sociétés de tramways génèrent et distribuent leur propre énergie. En 1892, on utilise pour la première fois l’énergie des chutes Niagara, au Canada, afin de produire de l’électricité. Une société de chemin de fer (qui deviendra l’International Railway Co.) y installe 3 turbines générant 2100 chevaux-vapeur pour faire fonctionner son tramway électrique et distribuer de l’énergie. La transmission du courant se fait à la tension des génératrices et non sur de grandes distances.
La rivalité
entre les partisans du c.a. et du c.c. atteint son paroxysme durant l’aménagement
des chutes Niagara aux États-Unis. Le projet prévoit la génération
et le transport
d’énergie pour les industries. En particulier, il permettrait d’alimenter les
nouvelles industries électrochimiques et électrométallurgiques de la région de
Buffalo, dans l’État de New York. Les tenants du c.c. proposent de générer de l’énergie
électrique et de la convertir en énergie mécanique. Ils espèrent ainsi la
transporter hydrauliquement ou encore au moyen d’air comprimé ou de câbles et
de poulies. De leur côté, les partisans du c.a. suggèrent d’utiliser le nouveau
transformateur (qui ne fonctionne pas avec du c.c.) pour en élever la tension, pour
ensuite transporter l’énergie par des fils jusqu’à Buffalo. Le système à c.a.
de George Westinghouse et de Nikola Tesla finit par l’emporter, ce qui donne
naissance, en 1895, à l’un des aménagements électriques les plus importants au
monde. Ce système fait passer la puissance de 2 200 à 22 000 volts pour la
transmission à Buffalo. Il augmente la puissance à 11 000 volts pour l’utilisation
par les industries le long de la rivière Niagara vers Tonawanda, New York.
Énergie électrique et
industrialisation
La capacité
à transporter de l’énergie électrique sur de grandes distances revêt une
importance cruciale pour l’industrialisation du Canada. Avec une telle
technologie, de nombreux emplacements hydroélectriques
dans des régions éloignées peuvent être aménagés pour alimenter les usines, les
manufactures et les moulins en électricité.
Entre environ
1895 et 1897, la centrale électrique de la rivière Batiscan, au Québec, est
reliée à Trois-Rivières,
à 26 km. C’est probablement la première fois au Canada que le transport
de l’électricité s’effectue sur une longue distance. Cette ligne transporte
alors de 11 000 à 12 000 V. En 1898, la centrale électrique DeCew Falls de
St.
Catharines, en Ontario, commence
à transmettre de l’énergie sur 56 km au centre manufacturier de Hamilton
sur une ligne de 22 400 volts. En 1902, on entreprend d’exploiter l’énergie
des chutes de Shawinigan
pour l’industrie
des pâtes et papiers et la nouvelle industrie de l’aluminium
au Québec. L’année suivante, une ligne de 50 000 V partant de ces chutes
atteint Montréal.
En moins d’une décennie, elle transporte 100 000 V.
L’ensemble
de l’industrie
de l’appareillage électrique se développe presque aussi rapidement. Cette
nouvelle source d’énergie a besoin de génératrices, d’alternateurs, de moteurs,
de lampes, d’appareils de mesure et de commutateurs. Avant tout, toutefois, il
faut des fils de cuivre de
qualité à bon marché. Il faut normaliser tout cet équipement pour le rendre interchangeable
mondialement. Il faut modifier les codes du bâtiment de telle sorte que les
installations et l’utilisation de l’équipement électrique soient sécuritaires.
La majeure partie de cette technologie est importée au Canada ; la Westinghouse
Co. construit une usine à Hamilton
et la General Electric (auparavant Edison Electric) fait de même à Peterborough.
La demande du fil de cuivre stimule l’exploitation minière
canadienne. Les sociétés minières ainsi que celles des pâtes et papiers,
grandes consommatrices d’énergie
électrique, ont aussi participé à l’évolution de la technologie. Le
développement de l’énergie hydroélectrique et l’exploitation des ressources
naturelles au Canada se sont ainsi effectués de concert.