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Errol Bouchette

Robert-Errol Bouchette, MSRC, avocat, journaliste, fonctionnaire et intellectuel québécois (né le 2 juin 1863 à Québec, au Québec; décédé le 13 août 1912 à Ottawa, en Ontario). Il se fait surtout connaître par deux ouvrages : un essai, Emparons-nous de l’industrie (1901), dont le titre annonce déjà le programme, et un roman, Robert Lozé (1903), qui met en scène ses idées dans une fiction. Il tâche d’assurer par ses idées l’indépendance économique du Canada français.

Errol Bouchette, avocat, journaliste, fonctionnaire et intellectuel québécois, v. 1912.

Jeunesse et début de carrière

Petit-fils du géographe et arpenteur général Joseph Bouchette et fils du Patriote et commissaire des douanes Robert-Shore-Milnes Bouchette, Errol Bouchette est le camarade de classe de Léon Gérin, avec qui il se lie très jeune d’une solide amitié. Errol Bouchette fréquente le Petit Séminaire de Québec puis s’inscrit à la Faculté de Droit de l’Université Laval. Bien qu’il passe son barreau en 1885, il ne pratique pas immédiatement le droit et exerce entre 1885 et 1893 le métier de journaliste (voir Journalisme). En 1898, il déménage à Ottawa pour travailler dans la fonction publique. Il est d’abord embauché comme commis au département des Travaux publics et comme secrétaire privé du ministre du Revenu de l’intérieur. En 1903, il est nommé commis à la bibliothèque du Parlement du Canada, poste qu’il conserve jusqu’à sa mort. Il se fait surtout connaître par deux ouvrages : un essai, Emparons-nous de l’industrie (1901), dont le titre annonce déjà le programme, et un roman, Robert Lozé (1903), qui met en scène ses idées dans une fiction.

Une passion pour l’économie politique

Actif dans plusieurs clubs et sociétés savantes, Errol Bouchette adhère notamment en 1898 à l’Institut canadien-français d’Ottawa et en 1905 à la Société royale du Canada. Il s’y fait connaître grâce à sa passion pour l’économie politique. Il faut dire que, chargé de la section française à la bibliothèque du Parlement, il a accès à une littérature méconnue du plus large public. Un de ses amis journalistes, Fernand Rinfret, peut ainsi écrire en 1907 que, « [...] dans la conversation intime, il lui vient à tout moment des parcelles de théorie de Karl Marx ou de Léon Say, et il parle des économistes comme de ses meilleurs amis. » Sous l’influence de Léon Gérin, il devient aussi un partisan zélé de la science sociale du sociologue français Frédéric Le Play, telle que diffusée par deux de ses disciples, l’abbé Henri de Tourville et le pédagogue Edmond Demolins.

Alors que le déclassement de la nation canadienne-française se traduit par un exode massif aux États-Unis, Errol Bouchette se dit convaincu que la solution à cette crise se trouve dans une étude rigoureuse des conditions nouvelles suscitées par le développement de la civilisation occidentale (voir Franco-Américains). Il invite donc ses compatriotes à mener des enquêtes empiriques. Donnant lui-même l’exemple, il consacre une monographie d’inspiration leplaysienne (méthode utilisée en science sociales fondée sur l’observation des familles) aux Écossais du Cap Breton, dans laquelle il se livre à une étude de la composition sociale de la population de l’île; une autre monographie suivra sur les francophones de l’Ontario. À sa mort, il s’essayait à une analyse sociographique d’envergure sur les habitants de la vallée de la Chaudière, dans le comté de la Beauce, dont il espérait sonder les lieux en compagnie de Léon Gérin.

Au dire d’Errol Bouchette, par l’étude directe et concrète des phénomènes sociaux, la science sociale rendra d’irremplaçables services à la collectivité canadienne-française: elle sera en mesure d’identifier les problèmes et suggérer des solutions pour la communauté nationale. (Voir aussi Nationalisme canadien-français.)

« Et c’est ici que l’utilité de la science sociale apparaît. En signalant les vraies causes de l’infériorité de certains groupes d’hommes, elle indique en même temps comment on peut les combattre et les faire disparaître. » (Errol Bouchette, L’Évolution économique dans la Province de Québec (1901))


En particulier, devant l’essor de la production agricole aux États-Unis, et l’éclosion là-bas d’une multitude de manufactures, de banques et de commerces, la science sociale peut éclairer les défis qui se posent aux peuples soumis à cette concurrence de plus en plus impitoyable. L’ouvrage d’Errol Bouchette, L’Indépendance économique du Canada français (1906), ne s’ouvre-t-il pas avec un premier chapitre intitulé « Le Canada parmi les peuples américains »?

Lancer des réformes

Selon Errol Bouchette, il existe une loi de l’humanité à laquelle nul ne peut se soustraire : les peuples plus civilisés sont destinés à remplacer les peuples dits arriérés. Pour lui, les peuples avancés sont forts par leur esprit d’entrepreneuriat, leur capacité à innover, leur poursuite des richesses matérielles; les peuples à la traîne négligent les activités industrielles et s’accrochent à des traditions passéistes. « L’arme par excellence d’un peuple, la condition fondamentale de son existence et de ses progrès, c’est la supériorité économique. » Pour assurer la survie de la nation canadienne-française, il faut donc, affirme Errol Bouchette, que les Canadiens français « s’emparent de l’industrie ».

Pour que ce programme ait quelque chance de succès, Errol Bouchette recommande qu’une série de réformes soient mises de l’avant. Il préconise l’intervention modérée de l’État, lequel est invité à encourager une planification plus rationnelle de l’agriculture et de l’industrie. Il s’agit aussi d’organiser un système de prêts aux entreprises industrielles et commerciales, de même que des politiques de subventions ou d’exemption d’ impôts, pour favoriser l’exploitation des ressources naturelles du pays par des Canadiens français.

Errol Bouchette souligne aussi le rôle que doit jouer l’éducation dans l’entreprise de relèvement national. L’école peut aider à former des caractères forts et ambitieux. En recevant une instruction mieux adaptée à leur époque, les enfants issus des nations « inférieures » se transformeraient jusqu’à pouvoir rivaliser avec les enfants des nations les plus modernes. Mais la famille doit se charger également de l’éducation nouvelle dont rêve Errol Bouchette. La réforme sociale provoquée par l’école n’a en effet de chance d’obtenir des résultats probants, pense Errol Bouchette, qu’à la condition de pouvoir compter sur des jeunes ayant déjà appris, très tôt, « the lesson of the race », leçon qui « exalte systématiquement l’effort, mais l’effort concentré, impassible et sans démonstration extérieure, ce qui décuple les forces d’un homme en face d’un ennemi non averti ».

Mémoire de Bouchette

Errol Bouchette meurt de la fièvre typhoïde en août 1912. Admiré de ses contemporains, ses idées n’ont connu qu’une faible influence. De son vivant, ses appels à une vision plus économique de l’avenir du peuple canadien-français dérangeaient des élites davantage portées à encourager les « choses de l’esprit ». Aujourd’hui, au contraire, son programme paraît trop timoré pour être revendiqué par quiconque. Cela explique que la figure de Errol Bouchette soit largement tombée dans l’oubli.

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